Robert Cahen, Entrevoir au MAMCS

Publié le 17 mars 2014 par Elisabeth1

Le poète Jean Cocteau dit « Je suis un mensonge qui dit toujours la vérité »

Pas de chemise bleue ? interroge une admiratrice de l’artiste, en effet c’est de violet qu’il s’habille (la chemise) ce jour de vernissage
Le violet est une couleur royale qui représente la subtilité, le mystère, le romantisme, l’idéalisme, la protection, la mélancolie, la fraicheur, la pureté, la paix et le luxe. (dictionnaire)
Le violet est, dans la synthèse soustrative [......... ] une couleur secondaire issue du mélange entre le bleu et l’orange et, dans la synthèse additive (lumière), etc ...
C’est toute la caractéristique de l’oeuvre de Robert Cahen.

Dans l’exposition Entrevoir du Musée d’Art Moderne et contemporain de Strasbourg, ce sont les deux dernières décennies qui sont montrées, 16 vidéos et installations, dans l’espace conséquent du musée.  Elle nous donne l’occasion d’
« Entrevoir » :
Subtilité, mystère, romantisme, idéalisme, mélancolie, fraîcheur, pureté, paix, sérénité, lumière, spiritualité.
Certaines oeuvres déjà connues, mais aussi des nouveautés comme "Entrevoir" qui donne son titre à l'exposition. Un mystérieuse traversée de la forêt vosgienne, nous mène à travers champs,  avec une tonalité bergmanienne, à la recherche des Fraises Sauvages.
L'Entre, les passants du monde. Françoise Endormie.

Dès l'entrée du musée, les Visions Fugitives laissent entrevoir cette partie d'Asie que l'artiste aime tant.

Jeune compositeur, ancien élève de Pierre Schaeffer,  à l’orée des années 70, diplômé du Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris Service de la recherche de la RTF, qui l'intègre dans son équipe en tant que chercheur, responsable de recherches à l’INA, pour ensuite produire ses propres créations.  Robert Cahen rencontre à New York un certain Nam June Paik (1977),  année au cours de laquelle  il pose les bases de son travail de l’image. Lauréat, hors les murs, de la Villa Médicis à Rome, (1992) il parcourt le monde. Professeur associé au Fresnoy, dans les années 2012, il réalise un film sur Pierre Boulez, le maître du temps dirigeant  « Mémoriale » que l’on peut voir de face comme de dos.
Le fil conducteur  des oeuvres de Robert Cahen interroge le temps, le passage, la mémoire, l’apparition et la disparition. Autant de façons de réfléchir sur l’humain et sa “finitude”, dans une gravité mélancolique qu’illustrent des pièces comme Suaire ou Françoise endormie, Traverses.  La foule ou la rue sont des sujets récurrents dans son travail, un poète de l’intériorité, de l’introspection méditative dont témoignent fortement ses Portraits.

Le monde entier connaît sa haute silhouette vêtue de noir, (ou de bleu) boucles devenues blanches, yeux bleus au regard soutenu, à la démarche virevoltante, voire flottante.
RKN est à l’image de certains oiseaux migrateurs qui voguent d’un continent, l’autre, à la rencontre de la beauté et de la poésie du monde, qui sont au cœur de son travail . Mais qu’est-ce qui fait courir RKN ? Il n’est jamais à court d’idées, un projet à Macao juxtapose un autre aux Philippines, la Patagonie, l’Argentine, proustien et baudelairien, dans sa recherche du temps, qu’il ne perd jamais, en tentant de l’arrêter, par des effets qui lui sont si personnels, reconnaissables, flous, poétiques.
"C’est en regardant longtemps de l’eau tomber, et en écoutant le bruit de sa chute, que le temps semble s’arrêter".Robert Cahen


Du pôle nord, à l’équateur, en passant par l’Asie, les Etats Unis,  l’Europe, l’Alsace,  aux antipodes du monde, tout l’intéresse. Les traces de ses envolées sont visibles. Son œuvre vidéo est là pour nous montrer ses voyages et la réalité qu'il en extrait.  Dans ses nombreux voyages, il regarde défiler, le paysage, les gens. C’est ainsi que l’on croit percevoir, des souvenirs d’enfance, de vie d’adultes de tous âges, de toutes nationalités, avec une préférence pour l’Asie, des références cinématographiques à Hitchcock teintées d’érotisme, de fétichisme. Ce sont des rencontres, des apparitions, des disparitions,  qui évoquent le passage éphémère des choses et du temps. Ce temps suspendu, étiré, proustien dixit Stephan Audeguy, saturnien, onirique, où les personnages effectuent des passages, pour devenir flou avant de disparaître.

Les images sont musicales, les sons qui les accompagnent sont une évidence, le compositeur de musique concrète a rejoint l’œil du cinéaste, non pas comme dans un documentaire, mais dans un conte de souvenirs, une invitation à voir et regarder les choses, la beauté du monde, par le prisme du poète.
Dans un temps ralenti, arrêté,  pour mieux voir et en même temps nous faire toucher du regard, sinon de la conscience de l’éphémère de la vie. De l’eau qui coule, des corps qui flottent, comme le temps, la vie qui s’écoulent de façon immuable. Par cela même c’est une évocation constante de la mort, voire d’êtres chers disparus.

Contempler, pour en extraire les grâces, il a inventé un rapport à la beauté du monde. Affinité touchante avec les estampes, un désir de rendre au monde sa réalité, un rapport au temps et à l’éternité, tout en nous emmenant dans son voyage dans l'imaginaire.
C’est un personnage touchant, aux rêves communicatifs, ses amis du monde entier peuvent témoigner de sa curiosité, de sa cordialité, de son amabilité, et de son ouverture au monde.
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les oeuvres :
Visions Fugitives 1995/1997
Présentée à l’entrée du musée en guise d’introduction à l’exposition, cette installation tient le spectateur à distance des images comme s’il regardait par une longue vue ces visions fugaces et néanmoins symboliques de l’Orient. Selon l’artiste : « C’est dans l'idée du passage où, pour moi, quelque chose d'essentiel se noue, que s'écrivent en images, sept courts poèmes, visions fugitives d'une Chine entr’aperçue, entre vue, entre entendue, toujours en mouvement. »
- ArtMatic, 1980
En retenant l’empreinte de certains mouvements comme ceux des pages d’un livre ou de la main de l’artiste, une caméra - la première en France construite au Lactamme-École Polytechnique -, numérise l’image toutes les 3 ou 5 secondes et la colorise, permettant des effets de glissements de matières et de couleurs qui happent le regard. Cette numérisation des images dès 1980 constitue une prouesse technologique.- L'Entr'Aperçu, 1980
En mettant au jour, dans une succession de plans rapides, les scènes cachées d’un entretien mystérieux entre deux personnages, L'Entr'aperçu recherche un dévoilement du réel se concentrant avant tout sur un désir de voir, de savoir ce qui est donné comme « entr’aperçu » et devant être vu.
- Traverses, 2002
D’un brouillard émergent lentement des personnes peu à peu recouvertes par l’opacité blanche. Des rideaux de fumées blanches spatialisés en post-production avec une machine appelée « inferno » a permis d’obtenir ces nébuleuses à peine discernables qui possèdent une grande puissance auratique.
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Entrevoir, 2014,
Composée de plans panoramiques de paysages (forêts, champs, sous-bois…) projetés sur deux grands écrans plats, cette oeuvre invite le spectateur à s’immerger dans la nature tout en le maintenant à distance par un hiatus entre les deux projections. La bande son de l’installation réalisée en collaboration avec Francisco Ruiz de Infante à partir des Fraises sauvages de Bergman ajoute au mystère et à la mélancolie qui émane de cette « traversée » du paysage tout en y incluant une dimension fictionnelle, narrative.
Françoise, 2013
L’artiste a ici filmé sa soeur. L’usage du gros plan et les variations d’expressions à peine perceptibles confèrent à ce visage strié par le temps la sérénité d’un paysage, miroir de l’âme.

- Portraits, 2013,
De ses nombreux voyages, l’artiste a ramené ces dialogues silencieux. Qui regarde qui, et pour voir quoi ? De longs plans presque fixes sondent le mystère de l'autre en faisant du regard - tantôt frontal et persistant, tantôt en cours de dévoilement – le point d’accroche de ce dialogue visuel d’où émerge d’un au-delà de l'apparence, une compréhension tacite de la relation à l’autre. Ces portraits constituent les prémices d’un travail que l’artiste souhaite poursuivre sur la question de « l’anonyme singulier », selon l’expression de Michel Chion.

Françoise Endormie, 2014
La soeur de l’artiste est de nouveau au coeur de cette installation dans laquelle les partis-pris filmiques invitent le spectateur à se confronter non pas à ce qui pourrait être une veillée funèbre mais à la contemplation d’un corps qui paraît endormi. Le basculement à la verticale de l’image participe de même que les légers mouvements de la caméra si ce n’est à une conjuration de la mort, tout du moins au suspens du vol du temps.

- L'entre 2014
L’Entre met en scène ceux que l’artiste nomme « les passants du monde » et qui réunit autant les personnes filmées que celles qui les observent. Les jeux d'apparitions et de disparitions, accentués par les stries de l’image donnent ainsi au spectateur l’impression d’être lui-même en mouvement et rendent difficile la reconnaissance d’un visage en particulier. L’artiste fait appel à notre mémoire pour déceler dans ce flot de portraits croisés ceux et celles qui nous touchent et qui nous renvoie à un sentiment de déjà-vu.
- Le maître du temps - Pierre Boulez dirige "Mémoriale" 2011
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L’artiste filme le chef d’orchestre Pierre Boulez et lui seul dirigeant sa pièce
« Mémoriale » composée en 1985. Mémoriale est une courte oeuvre pour flûte et huit instruments, interprétée par l’Ensemble Intercontemporain, en hommage à Larry Beauregard, disparu cette année là. Ce flûtiste qui tentait de trouver la jonction entre instrument et ordinateur musical incarnait, d’après le compositeur, le « modèle de ce que devrait être, idéalement, tout musicien du futur ».
Pierre Boulez, l'art de diriger, 2011
Un entretien avec Pierre Boulez sur le thème notamment de la direction d’orchestre a été réalisé par l’artiste en 2011 et complète la présentation de cette installation.
- Temps contre temps, 2014,
Cette vidéo met en scène la rencontre entre Indestructible Objet (1923-1959) de Man Ray et L’Infiltration homogène pour piano à queue de Joseph Beuys (1966). Ici se joue le croisement de deux temporalités : l’une rythmée par les pulsations du métronome, l’autre marquée par le silence continu du piano de Beuys.
-  La Barre jaune, 2014
La barre jaune est ici ligne de démarcation de l’image. Basculé à la verticale, le paysage filmé à bord d’un taxi en Chine glisse sous nos yeux comme les gouttes de pluie ruissellent sur la vitre du véhicule. La répétition de la même séquence ajoute à l’impression d’un cycle intemporel de l’image, renforcé par le défilement du panorama urbain rendu presque abstrait par la vitesse.
- La traversée du rail,  2014
Cette vidéo montre dans un bruit de moteurs le ballet des vélos, des motocyclettes et des piétons à un passage à niveau en Chine. La présence centrale et stable d’un rail quasi désert en contraste du défilé incessant des personnes et des véhicules crée une partition de l’image entre la fixité de la caméra et le sentiment d’éternel passage, de flux, que soutient un montage en boucle à peine visible.


- Sanaa, passages en noir 2007
La vidéo a été filmée à Sanaa, capitale du Yemen, où des femmes voilées de noir, passent dans une ruelle étroite. Le côté fugace mais répétitif de l’image retravaillée donne à la vidéo un caractère hypnotique que renforce le choix de la musique : un extrait de La Passion selon St Jean de Jean Sébastien Bach. Au-delà du travail sur la notion de passage, l’artiste met en scène un échange inattendu entre deux cultures.

- Suaire, 1997
Cette oeuvre interroge l’équilibre précaire entre émergence et absence, silence et résonance ; le blanc omniprésent symbolise d’ailleurs à la fois le vide et le plein. C’est cette dualité que l’on perçoit dans l’apparition puis l’évanouissement de quatre visages sur le tissu suspendu audessus de l’étendue de graviers que le visiteur doit traverser pour entendre le son de ses pas. Le suaire renvoie aussi bien évidemment à la Sainte Véronique qui en essuyant le visage du Christ créa sur un linge la Vera Iconica, la vraie icône.

- Tombe (avec les objets) 1997
Divers objets entrent dans le champ visuel, se déplacent lentement et tombent de haut en bas, comme dans une sorte d'apesanteur, ralentis dans leur déplacement par l’élément liquide. L’idée du passage une fois encore hante ce travail, mais augmentée d’une émotion particulière et mortifère, contenue déjà dans l’intitulé de l’oeuvre.

Catalogue
Entrevoir. Robert Cahen Éditions des Musées de la Ville de Strasbourg Avec les contributions de Joseph Attié, Entrevoir. Robert Cahen
Éditions des Musées de la Ville de Strasbourg
Avec les contributions de Joseph Attié, Héloïse Conésa, Sean Cubitt
160 pages, environ 200 illustrations
ISBN : 9782351251096
Diffusion / Distribution : Le Seuil / Volumen
Prix : 25 euros, Sean Cubitt 160 pages, environ 200 illustrations ISBN : 9782351251096 Diffusion / Distribution : Le Seuil / Volumen
Prix : 25 euros

Commissaire : Héloïse Conesa

Programmation éducative et culturelle
Pour consulter la programmation détaillée (dates et horaires) :
www.musees.strasbourg.eu
Visites commentées Jeudis à 12h30 du 20 mars au 24 avril
Visites « Une heure / une oeuvre » Vendredi 11 avril, à 12h30 L’entr’aperçu, 1980
Visite « Le temps d’une rencontre » Samedi 22 mars à 14h30 En présence de l’artiste
À L’AUDITORIUM DES MUSÉES
Autour de l’exposition, trois conférences traitant de l’oeuvre de l’artiste sont programmées à l’Auditorium des Musées. Ces trois séances sont à chaque fois accompagnées de la projection de film et vidéos de Robert Cahen.
-  26 mars 2014 à 19h Tiphaine Larroque
- 4 avril 2014 à 19h
Tiphaine Larroque
- 15 avril 2014 à 19h Jean-Luc Nancy
2 avril à 20h sera aussi programmée une soirée initiée par Philippe Lepeut, artiste et enseignant à la HEAR, avec les étudiants du Groupe de Recherche Arts Hors Format / Phonon-Lab de la Haute École des Arts du Rhin.
"Attack, release and sustain",
concert-projection