The place beyond the pines - 8/10

Par Aelezig

Un film de Derek Cianfrance (2013 - USA) avec Ryan Gosling, Bradley Cooper, Eva Mendes, Dane DeHaan, Emory Cohen, Ben Mendelsohn, Rose Byrne, Mahershalalhashbaz Ali, Harris Yulin, Ray Liotta, Bruce Greenwood

Noir et beau, comme une tragédie antique.

L'histoire : Luke est un jeune motard, solitaire, qui utilise son talent dans un cirque ambulant, cascadeur dans des sphères. Alors qu'il se trouve dans la ville de son enfance, il reçoit la visite de son ex-petite amie, Romina, qu'il a quittée. Parce que. Parce qu'il n'était pas mûr, sans doute, encore trop épris de liberté et de désirs fous. Il découvre que Romina était enceinte lorsqu'il est parti et il a soudain une révélation : il veut cet enfant, il veut cette femme, il veut avoir une famille. Mais Romina est en couple désormais et semble être heureuse. Peu importe, il va la reconquérir. Un ami le convainc que seul l'argent aura le dernier mot, il lui en faut, là tout de suite, et après ils pourront mener la vie qu'ils veulent ; il lui "apprend" à braquer des banques... Il va croiser la route d'un policier. Un policier très ordinaire...

Mon avis : Quel film magnifique ! Empreint d'une sourde mélancolique, allant parfois jusqu'au malaise. Denses et sensibles, profonds et fragiles, les personnages m'ont tous bouleversée !

Et j'adore ces histoires, ces scénarios implacables, parfaitement écrits, où les engrenages du hasard ou du destin, appelons-les comme on veut, font se croiser des gens qui n'avaient rien en commun et dont la vie va être irrémédiablement changée, ainsi que celle de leurs proches. Cianfrance maîtrise d'un bout à l'autre son histoire, depuis la vie d'un jeune homme pauvre jusqu'à celle de son fils, avec entre les deux, amours contrariées, délinquance ordinaire et corruption policière, la mort en plein vol et l'ascension politique, un adolescent sans père, un autre sans repères... Le tout forme un triptyque : Luke ; Avery ; leurs fils. De l'humain, rien que de l'humain. Du rude, qui vous secoue les tripes. Magnifié par une caméra vive, sans concession, et pourtant nette, précise, esthétique.

Le scénario révèle plein de surprises et tient en haleine. Un homme qui meurt, alors qu'on ne s'y attendait pas du tout. Un autre qui semble fragile et influençable, qui se montrera soudain ambitieux et carriériste, des enfants paumés qui n'auraient jamais dû se rencontrer mais sympathisent... Plusieurs thèmes sont abordés ; la société schizophrène, affichant le visage du bien, mais cachant moult turpitudes : aux actes délictueux et condamnables de Luke s'opposent les ripoux, impunis voire protégés ; la délinquance étant des deux côtés, la mort du "voyou" prend soudain un nouveau sens. Quelle hypocrisie, quelle injustice ! La paternité ; qui est le père, celui qui vous élève, ou celui que l'on ne connaît pas et que l'on idéalise ; a-t-on récupéré ses gènes ou n'est-ce que le fruit du hasard et de l'imitation ? qui est l'orphelin laissé à lui-même, celui qui est  élevé par un homme bien mais ne peut s'affranchir de l'absence de celui qu'il n'a pas connu, ou celui qui grandit avec un père par intérim, qui n'a que peu de temps à lui consacrer ? Né chez les pauvres, né chez les riches... peut-on échapper à sa "destinée" ?

Les acteurs transcendent le film. Qu'est-ce qu'ils sont bons, ces Américains ! Si le rôle de Ryan Gosling est assez proche de celui qu'il tenait dans Drive, le marginal, plein de rage et de tendresse, (on retrouve même son blouson, vu de dos... mais cette fois ce n'est pas un scorpion !), il ne s'en tire pas moins avec une présence extraordinaire, un regard magnétique qui vous fait craquer... ou vous fait peur, c'est selon. Bradley Cooper, décidément meilleur de rôle en rôle, est incroyable de justesse, passant du jeune homme un peu fragile, intègre, cherchant la reconnaissance des autres, puis devant les injustices qu'il découvre, se décide à jouer des mêmes armes et à grimper dans la hiérarchie... Pour faire changer les choses, ou par pure ambition ? On ne sait pas trop. Le personnage oscille constamment entre le jeune homme idéaliste du début et l'adulte blasé... N'oublions pas Eva Mendes, superbe (sans fard ni botox), ballotée, paumée, bataillant pour assurer à son fils un avenir meilleur que le sien, déchirée entre son amour de jeunesse et son compagnon actuel, stable, rassurant, généreux. Le jeune Dane DeHaan se confirme comme magnifique espoir de la nouvelle génération, avec de faux airs de Leonardo et un talent réel.

Moi, j'ai passé un grand moment, et j'adore ça !

Après l'excellent Blue Valentine, tout aussi profond et troublant (et déjà avec Ryan Gosling), entre drame et tendresse, Cianfrance est un nom à retenir !

Les pins du titre évoquent la signification amérindienne du nom de la ville où le film se passe : Shenectady. Mais, par rapport à l'histoire, ces pins symbolisent aussi la "frontière" qui sépare la ville huppée des quartiers périphériques bien plus pauvres. Au-delà des pins, de ces pins-là, c'est aussi la promesse d'un ailleurs, plus joyeux, plus harmonieux.

Les critiques, sans être unanimes, sont très largement positives, côté professionnels et côté public.