Eros & Thanatos

Publié le 18 mars 2014 par Lifeproof @CcilLifeproof

« Flageller c'est aimer, aimer c'est l'enfer », ainsi s'ouvre l'exposition Il me faut tout oublier, où dialoguent les œuvres des deux artistes flamands Berlinde de Bruyckere et Philippe Vandenberg, sur ces mots, griffonnés au sommet d'un tableau. Ces mots, et d'autres, que l'on retrouve tout au long de notre parcours. Des textes informes, associés parfois à des dessins, de la peinture, ou non, lorsque leurs propres contours, leur aspect bancal, enragé, se suffit à lui-même.

Philippe Vandenberg, Il me faut tout oublier © Estate Philippe Vandenberg

Dans les œuvres de Vandenberg, le texte et le dessin se côtoient souvent, sans que l'un ne prenne le pas sur l'autre, tant leur impact respectif est puissant. Des scènes de sacrifices, d'une violence extrême, souvent inspirées des textes sacrés et des représentations cultes de l'histoire de l'art, sont dépeintes dans des tons acidulés, dessinées d'un trait naïf. La violence des actions tranche avec la « gaieté » de leur représentation. Le sexe et la mort sont exacerbés, comme dans ces aquarelles retraçant des épisodes de la bible qui donnent lieu à des scènes très érotiques voir pornographiques.

Vue de l'exposition. Photo: Ophélie Chalabi

À ces œuvres répondent les sculptures de Berlinde de Bruyckere. Leur présence est très forte, presque terrifiante, quelque chose de sacré en émane. La douceur de la cire, qui imite ici la chair, la peau, les os, se mêle au bois, au cuir, ou même au métal. Tous ces matériaux s'enlacent, se soutiennent, se transpercent, comme en pleine métamorphose, ils se fondent les uns dans les autres, dans un rapport de force, une danse macabre, pour ne faire plus qu'un. Ces œuvres relèvent du sublime, elles provoquent à la fois fascination et profonde angoisse. Les références à la mythologie, et donc à l'histoire de l'art, sont également récurrentes dans ce travail. Ainsi, Actaeon III – dans Les métamorphoses d'Ovide, Actéon, puni d'avoir contemplé Diane nue, fut métamorphosé en cerf puis dévoré par ses propres chiens – représente parfaitement cette tangente où se situe l’œuvre de Berlinde de Bruyckere : entre horreur et beauté, violence et douceur. D'abord fascinés par la délicatesse de ces bois déposés sur des coussins, on prend conscience l'instant d'après qu'il s'agit là de membres déchiquetés par des chiens voraces. 

Berlinde de Bruyckere, Actaeon III, 2012 © l'artiste

Cette chaire et ces os, étalés, tordus, accrochés au mur, évoquent bien sûr le cadavre, le corps mort - crucifié, déposé, Christique ? – inerte. Cependant, le sexe occupe lui aussi une place prépondérante, par exemple avec Met tere huid I, où une muqueuse prolifère à la manière d'une plante grimpante sur le cuir d'un collier de cheval, qui semble alors se transformer en vulve. 

Vue de l'exposition. Photo: Ophélie Chalabi

Ainsi, la dualité est au cœur de cette exposition où tout fonctionne par pair. Les œuvres de ces deux artistes se ressemblent, se rejoignent de manière troublante. Les contraires ici se complètent plus qu'ils ne s'opposent. À travers ces peintures, dessins, sculptures, textes, vidéo, le spectateur évolue à tâtons, jamais vraiment sûr de ce qu'il voit, de ce qu'il ressent, puisque tout semble se transformer, sur le point de basculer. Entre attraction et répulsion, les ressentis s'entrechoquent, au cours de ce dialogue fécond entre deux artistes dont les œuvres sont à la fois cruelles et pleines de sensibilités.

Ophélie.

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Il me faut tout oublier – Berlinde de Bruyckere et Philippe Vandenberg

13 février – 11 mai 2014 à LA MAISON ROUGE, Paris.

Ouvert du mercredi au dimanche de 11h à 19h.

Nocturne le jeudi jusqu'à 21h.

Plein tarif : 8€

Tarif réduit : 5,50€