« Il ne faut pas hésiter à le dire ! » Jean-Pierre Elissalde

Publié le 26 mars 2014 par Tom_lexvnz @LEXVNZ

Bonjour Mr. Elissalde. Comment-allez-vous après ce Tournoi ?

Comment je vais ? C’est un peu délicat comme question … Je vais bien ! Mais ce n’est sûrement pas le sujet …

Je pense que ce dernier match nous a laissé de l’espoir ! Il y a la place pour construire quelque chose mais il faut sortir de cette espèce de « Championnite », avec nos ballons portés, nos mêlées, nos pénalités …

Bref, il ne faut pas jouer le Tournoi des 6 Nations en ressemblant à une équipe qui a peur de descendre … parce qu’il n’y a pas de descente pour le Tournoi ! C’est donc dommage de ne pas le « jouer ». Disons que ce dernier match est une piste à suivre, un petit ticket d’espérance.

L’équipe de France a toujours des réactions d’orgueil en se resserrant dans le combat, mais ça ne suffit plus forcément. On semble encore un peu stéréotypé en attaque alors que les défenses semblent elles de plus en plus efficaces, parfois quasi impénétrables, comme contre les Springboks l’automne dernier. A moins de dominer physiquement la terre entière, ce qui semble inaccessible, ne devrions-nous pas essayer d’apporter à notre jeu davantage de vitesse et de créativité ?

Oui, mais aujourd’hui quand on se décide à faire du jeu, on se rend compte que nous  manquons de « practice ». Si tu te décides à faire le Chemin de Compostelle ou une marche de 20km, tu vas peut-être t’apercevoir en cours de route que tu n’as pas pris les bonnes chaussures, le bon imperméable…

Il y a des lacunes, un déficit en technique individuelle et un manque de repères. Lorsque l’on arrive à mettre du mouvement, ça a de l’allure, on a de la présence, on est athlétique, mais on pêche souvent pour conclure. La passe de Pascal Papé en fin de match et celle de Mathieu Bastareaud à la 3ème minute en sont deux symboles. Tout est bon, les joueurs sont bien placés, le mouvement se fait, le décalage est créé, mais il manque la finition … les bonnes passes …  OK elles faisaient 15 mètres, elles n’étaient pas simples,  mais les mêmes actions chez les All Blacks donnaient des essais au bout. J’en suis sûr.

Vous êtes un ancien 9. Les conditions ne semblent pas optimales pour nos demis de mêlée en ce moment : placement, organisation, libérations de balle, pression, charge des tirs aux buts, quel est le point qui vous semble le plus préoccupant ?

Le 9 fait du strabisme divergent : il a un œil sur la balle et un autre sur le 10 en permanence. Sa problématique est multiple : quand et comment le ballon va sortir, et comment et à qui va-t-il le donner ?

Et là c’est vrai que notre conquête et notre libération étaient tellement pauvres en qualité, qu’il lui fallait être très concentré sur ce point. Rien n’était simple et on ne sentait pas d’appels non plus des réceptionneurs. Quant au foot  les attaquants ne sont pas en mouvement, le porteur de balle se demande à qui la donner et finit souvent par faire une passe en retrait …

Il y a eu quelques solutions quand les avants « s’y sont bien filés » et qu’il y avait au moins une volonté de faire vivre le ballon. Rémi Talès et Maxime Machenaud s’en sortent bien sur le dernier match parce que l’équipe entière était moins dans l’attente. D’une manière générale nos 9 sont pénalisés par cette attente. C’est fatal !

D’ailleurs à mon avis, c’était une erreur de sortir Maxime Machenaud. C’est exactement la même erreur que Stuart Lancaster  lorsqu’il a sorti Danny Care contre nous. C’est la limite de la technologie … le « GPS » disait qu’il allait être dans le rouge alors ils ont assuré le coup …

Franchement, vous y croyez à cette histoire ?

Pas du tout !

Moi non plus…

Ce sont les limites du « rugby scientifique » … Trop d’info tue l’info.

Pour les Français, Philippe Saint-André a avancé comme excuse le fait qu’il allait avoir des crampes.

Les joueurs de l’équipe de France aimeraient être davantage soutenus. Selon vous, l’engouement du public français derrière l’équipe de France est un acquis inconditionnel ou se gagne-t-il au mérite ?

Non c’est « Zéro ». Ce sont des « pleureuses »… Les médias ont le droit d’avoir leur libre pensée.

Les soutenir ce n’est pas leur dire qu’ils sont beaux, gentils ou qu’ils jouent magnifiquement bien … Il faut essayer de dire la vérité. Après c’est vrai que moi aussi, j’ai trouvé les notes de L’Equipe vraiment très sévères. Tout ne doit pas être mis sur le dos du staff, des joueurs ou de la fédération, mais chacun doit pouvoir s’entendre dire que les performances ne sont pas à la hauteur.

Pour résumer, après le match de l’Ecosse, il y a eu 3 grosses réactions : celle de Pascal Papé disant « en gros » que ça lui était égal, celle de Maxime Machenaud que les critiques étaient justifiées, et puis celle de Dimitri Szwarzewski que les médias n’étaient pas gentils. Parmi ces trois réactions, je préfère la seconde.  Il faut arrêter avec ça, s’ils sont nuls, ils sont nuls, il faut le dire et puis c’est tout ! Moi je veux bien les soutenir quand ils jouent, quand ils s’y filent, mais pas autrement. On est soutenu par ses partenaires. Point barre.

Se voulant plutôt positive, cette équipe ainsi que ce staff ne semblent parfois pas avoir les mêmes constats que tout le monde. Selon vous, est-ce parce qu’ils sentent que leur groupe vit bien, qu’ils sont sur la bonne voie et qu’il ne leur manque plus que quelques détails aujourd’hui  pour réussir à mettre tout en place ou bien est-ce qu’un écart est en train de se creuser entre leur vision et celle du public ?

C’est une communication politique. Ils ne vont pas dire « c’est nul, on y arrive pas » et se remettre en cause eux même. J’ai fait ça à l’Aviron Bayonnais. J’ai dit que je ne comprenais rien, j’ai été viré dans la semaine. Tu comprends … ? Si tu veux que ça dure, il ne faut jamais dire que tu n’as pas de solutions. Que tu sois Maire de village, Président de la République, entraîneur du XV de France ou de Tombouctou les Oisillons.

Encore heureux que le groupe  vive bien… On ne veut pas entendre ça, ce n’est pas notre problème. Ils sont bien payés, ils ont des installations magnifiques, ils sont jeunes, il ne manquerait plus qu’ils tirent la tronche. Tout le reste c’est de la communication !

Bien sûr qu’il y a des dysfonctionnements, c’est une évidence. Nous ne voyons pas les vidéos, les entraînements, les débriefings, par contre nous voyons les matches ! Donc on parle des matches … Et certains ne valent pas grand-chose. Après, qu’ils viennent nous dire l’inverse, pourquoi pas, ils ont le droit. Mais nous ne sommes pas obligés de les croire.

Mr Elissalde, dans l’émission pourtant plutôt mesurée des « Spécialistes Rugby », vous donnez parfois l’impression d’être un peu plus « électron libre» que d’autres. Vous êtes également un entraîneur professionnel expérimenté. Avez-vous une « méthode »  pour faire en sorte que les joueurs se lâchent ? 

Non. Généralement ces choses arrivent quand il n’y a pas de pression, pas d’obligation de résultat. Mais là pour l’équipe de France, ils se sont donné  de gros objectifs : gagner la Coupe du monde ! Malheureusement, je crois qu’avec les résultats de l’année dernière, ils se sont mis la pression d’obtenir des résultats cette année. Des résultats statistiques…  

La Coupe du monde, c’est un trophée qui vaut tous les sacrifices du monde ou est-ce dommageable selon vous de tout miser sur une compétition-vitrine qui se jouera finalement sur des détails ? (un faux rebond, une erreur d’arbitrage, un blessé important, un carton rouge, un bon tirage etc.)

C’est pour ça qu’on n’aurait pas dû se mettre autant de pression !

A cause de 2013, il fallait absolument, avec le calendrier favorable des années paires, avoir des résultats en 2014. On se devait d’avoir 3-4 victoires sans faire d’exploits. C’est quasiment ce qui s’est passé. Sans exploits. On s’est mis dans l’obligation de … c’est dommage. Notre meilleur match a été réalisé dès que l’on a su  que le Tournoi était perdu. Une fois que les Anglais aient battu largement les Italiens, la pression est retombée et les Français ont joué plus libéré. 

Je le dis souvent, lâchez-vous ! Lâchez-les !

Depuis plusieurs années, on mise souvent sur le fait que notre mêlée soit récompensée par l’arbitre. Ces ballons sont très appréciés par les Néo-zélandais qui y voient de bonnes occasions  pour réciter des combinaisons, tandis que nous ne les jouons quasiment plus. Est-ce là un état d’esprit bien français ou est-ce simplement une déformation due à notre Top14 ?

Sur les mêlées on est dans l’incertitude perpétuelle…

De toute façon en France, la mêlée ne sert qu’à aller chercher des points. C’est « marquer 3 points ou éviter d’en prendre 3 ». On ne sait même plus quoi faire du ballon derrière une mêlée … C’est comme ça,  on ne se change pas ! Ce Tournoi est le reflet de notre Championnat. 

Comment faire qu’une équipe se lâche ? C’est ta question de tout à l’heure. Et bien en enlevant un maximum de compétition. Si demain on ne fait qu’une descente, dans tous nos championnats, de la Fed3 au Top14, on va enlever 50% de pression. Et s’il n’y a qu’un Champion, qu’on enlève les barrages et les Demies et que le Champion c’est le 1er, on en enlève encore. On met vraiment trop de pression partout. Entre ceux qui ne veulent pas descendre, ceux qui veulent faire 7ème au cas où il y aurait une place qui se libère, ceux qui veulent jouer l’Europe, ceux qui veulent éviter les barrages, ceux qui veulent être dans les 4 premiers pour recevoir en demie, tout le monde a trop de bonnes raisons de prendre 1 point, de ne pas en donner 5 … au final, on calcule trop !

Plus on recherchera des points, moins on recherchera du jeu. C’est évident.

Il faut diminuer la « Championnite ». Un problème que n’ont pas les Anglais, les Irlandais, les Gallois. Nous on manque de « practice ». Mais pire, ça ne concerne pas que l’Equipe de France ou le Top14, c’est dès les cadets qu’on est dans la « Championnite », il faut gagner, il faut se qualifier !

On est chez les barges, tout pour le présent, rien pour le futur.  

Puisque l’on parle du Top 14, quelle serait votre équipe « coup de cœur » cette année et pourquoi ?

L’ASM ! Sur les 5 dernières années, c’est Clermont, sans hésiter. Et puis Bègles Bordeaux. C’est clair, ça se voit.

Après 23 journées, l’Atlantique Stade Rochelais, un club dont vous êtes proche est 2ème et joue clairement la montée. Avez-vous le sentiment que l’on vit les toutes dernières années pour que les clubs de moins grandes envergures soient présents en Top14 ou bien que ce format a finalement encore de belles et longues années devant lui ?

Il a de longues années devant lui parce que c’est un système qui arrange tout le monde. Il fait croire aux gens qu’ils peuvent devenir riches. C’est le système du PMU, de la FDJ… C’est ce qu’on disait, tu peux être 6ème, tu peux être 7ème, tu as des qualifications, des enjeux un peu partout … le rugby c’est devenu la  FDJ !

Sinon Lyon va monter, ils le méritent. Après entre les autres ça se jouera sur la forme du moment. Entre la qualité de jeu des Narbonnais et la solidité des Rochelais. Mais … ils vont aller où et pour faire quoi ?

La montée, c’est toujours un grand moment de bonheur, je l’ai vécu. Le soir quand tu as gagné et que tu arroses tout ça c’est génial, mais après tu dois changer ton effectif etc, c’est le début des problèmes.  Le Rugby-FDJ nuit au jeu.

Après si le Stade Rochelais monte, « c’est le cœur qui parle », tant mieux pour lui !

Peu de changements dans le rugby …

Je ne veux pas faire de politique, mais c’est partout pareil, tout est faussé. On veut avoir une équipe de France compétitive mais on ne fait rien pour. Nos internationaux  ne sont pas certains d’être titulaires en club. Sur la dernière tournée  en Nouvelle-Zélande, il y avait 10 français qui n’étaient pas titulaires pour leurs clubs en demie finale de Championnat. Il faut savoir ce qu’on veut. Un Championnat qui coûte 70 millions, 100 millions même, avec toutes ses stars, c’est au détriment du XV de France. Voilà … c’est le rugby français. En ProD2 c’est pareil, il y a des clubs qui ont une dizaine d’étrangers, et je crois qu’en Fédérale 1  il y a entre 300 et 400 étrangers. La priorité de l’Irlande c’est l’équipe d’Irlande. En Nouvelle-Zélande également.

En France ? Non. Et dire l’inverse c’est mentir.

Finalement Mr Elissalde, le rugby, c’était franchement mieux avant ou ce n’est qu’une simple phrase de vieux grincheux ?

Nan ce n’était pas mieux avant. C’est mieux aujourd’hui !

Il y a moins de violence déjà, et puis l’arbitrage est bien meilleur. Même s’il faut aussi les remettre en cause parfois et garder un sens critique. Je me régale à voir jouer la Fédérale 2, la Fédérale 1 quand je me promène sur les terrains du rugby français. Je m’amuse beaucoup. Il faut arrêter de dire que c’était mieux avant. Ce n’est pas vrai.

Par contre, que les politiques étaient meilleures avant ou bien que des éléments comme la fidélité par exemple étaient plus forts avant, c’est vrai … C’est un problème.

Merci Mr.Elissalde d’avoir répondu à ces questions. Pour finir, qu’est-ce que vous souhaitez au rugby Français ?

Il faut prendre des solutions drastiques.

Imposer 11 JIFF (Joueurs issus de la formation française) sur les terrains en Top14.  12 en Fédérale, dont 8 « licences blanches » (joueurs formés au club  au coup de sifflet. Au moins 5 licences blanches en ProD2. Il ne faut pas hésiter à le dire ! Il faut forcer les clubs à former des joueurs et les joueurs à rester où ils sont. Çà me semble être une décision incontournable si l’on veut faire profiter l’équipe de France de notre formation. Alors bien sûr, pas demain, mais il faut se fixer un cap pour 2020 par exemple.

C’est très important. 

Entretien téléphonique du 18/03/2014