Mon séjour chez les guerriers-guérisseurs, Eric Bhat (Episode 2/2, Le quotidien)

Publié le 26 mars 2014 par Beena

Eric Bhat nous raconte la suite de son séjour chez les guerriers-guérisseurs au centre Vallabhatta dans le Kerala : plongez au coeur de l’Ayurveda (2) !

Un chaleureux accueil au centre…

Jérôme (alias Djelom pour les indiens) et moi étions logés en pension complète chez Krishnadas. Autant dire que nous avons baigné dans le Kalarippayat matin, midi et soir, jours fériés compris. Très vite, nous avons fait partie de la famille. Les premiers jours, avec Djelom, nous avions loué une cabane quasi-insalubre dans le village, pensant qu’il n’y avait pas d’autre solution. Il faisait beau et chaud et nous avons supporté tant bien que mal des conditions plutôt spartiates. Mais après quelques jours d’un temps radieux, les pluies diluviennes de la mousson sont revenues. Nous étions réveillés la nuit par des fuites d’eau nous dégoulinant sur la figure. Le logis fut rapidement infesté de toutes sortes de bestioles attirées par l’humidité, et nous étions piqués  partout. Nos lessives ne séchaient pas et passaient directement du stade mouillé au stade pourri.  Après avoir jeté deux ou trois tee-shirts, nous avons demandé à nos amis du Kalari comment quitter cet enfer… et Krishnadas nous a loué une chambre dans son logis. Nous n’avons pas été longs à déménager nos bagages, croyez-moi ! D’où nous venions, nous avions l’impression de rejoindre un palace. On aurait léché par terre de retrouver une telle propreté, une belle table pour les repas, de l’électricité (et pas d’araignées !) dans la salle de bains. Et quelle convivialité en prime ! Un soir, la plus jeune des deux fillettes vint nouer un bracelet rouge au poignet de Djelom, le choisissant ainsi comme grand frère. La veille, Krishnadas avait dit à sa fille ainée : « Dans quelques années tu iras apprendre le français chez ton oncle ! » Et à ma grande surprise, il m’avait désigné. Vous voyez si le courant passait bien avec nos hôtes !

Il passait d’autant mieux que Jérôme ne ménageait pas ses efforts. Ce garçon  est professeur de Kalarippayat à Paris, et revient tous les ans depuis une décennie dans le Kerala enrichir ses connaissances. Krishnadas et Dinesh ont rapidement compris qu’ils tenaient là un élève sortant de l’ordinaire. Il s’est dépensé sans compter, depuis l’aube chaque matin, et longtemps après que la nuit  fût tombée. Jamais fatigué, toujours souriant et très concentré.

Qu’il vente ou qu’il tombe des cataractes,  ou encore à l’heure des moustiques, il continuait à pratiquer sans barguigner, pataugeant pieds nus dans la boue ou sur le sol très dur du Kalari, ignorant écorchures, ampoules et courbatures.

A l’épée, au bâton court, au bâton long, il se défendait à merveille face à des adversaires de quinze ou vingt ans ses cadets. Les meilleurs élèves, tous très jeunes, étaient intrigués par ce français au teint clair et aux cheveux longs qui leur taillait des croupières, et qui de surcroît s’offrait le luxe de tous les battre au bras de fer après les entraînements. Djelom n’a pourtant rien d’une brute. Elégant, stylé, il a gagné le respect de ses pairs –  et de ses instructeurs -  par sa pugnacité et sa maitrise.

Ce n’était pas facile : la pratique du Kalarippayat est vraiment comparable à une préparation olympique, ou à une période chez les marines américains ! Dans l’humilité et la discipline.

Moi je les intriguais d’une autre manière. Si Jérôme était venu découvrir de nouvelles chorégraphies ou parfaire le maniement d’armes, j’avais des objectifs  différents : c’est des guérisseurs que j’attendais un enseignement. Voilà en quoi j’étais atypique sur la planète Vallabhatta. La marmathérapie qu’ils pratiquent se transmet habituellement de père en fils, comme une science secrète. Panoramix ne révèle pas le contenu de sa potion magique au village gaulois, et c’est la même chose au village indien. Je venais dans la forêt de cocotiers pour étudier le métier de druide ! Je dois dire que je marchais sur des œufs. Dès les premiers échanges téléphoniques, j’ai demandé modestement à améliorer la qualité de mes massages ayurvédiques. J’avais un ambassadeur de choix en la personne de Djelom, dont le professionnalisme et la dévotion ne faisaient aucun doute. Cerise sur le gâteau, mon nom (BHAT) est inclus dans le leur : VallaBHATta. Ma filiation indienne, par mon grand-père Sadashiv, a contribué à ouvrir la voie.

J’ai massé successivement Krishnadas et Dinesh, qui ont apprécié ma main ayurvédique. Ils m’ont adopté et enseigné quelques points d’énergie. Jour après jour, j’assistais à tous leurs soins et j’en recevais moi-même quotidiennement. J’ai reçu le meilleur massage de ma vie quand Krishnadas m’a massé… avec les pieds. Ce traitement est l’une de leurs spécialités : accrochés à deux cordes, les thérapeutes dansent littéralement sur leurs patients.

J’ai été subjugué, ému par la générosité et l’énergie de Krishnadas et Dinesh, autant que par leur doigté. Pour résumer, ils connaissent parfaitement les corps, sont rompus également aux petites blessures qui parfois surviennent à leurs élèves. Ils ont les compétences de kinésithérapeute, d’ostéopathe et même de médecin puisqu’ils établissent des diagnostics et prescrivent des médicaments ayurvédiques. Aucune blessure ne les désarçonne, ils soulagent tous les maux qui leur sont présentés, n’acceptant en échange qu’une poignée de roupies, voire rien du tout quand leurs visiteurs sont manifestement dans le besoin. J’ai noté qu’avant la moindre manipulation, ils bénissent la personne qu’ils vont soigner ou masser.

Chaque fois que je congratulais ces deux druides ou manifestais ma surprise, l’un comme l’autre réagissaient très modestement, exprimant la même idée : « Ce n’est pas ma main qui a réussi ça, c’est l’œuvre de Dieu qui se manifeste à travers ma main. » En assistant assidûment à la pratique de cette médecine de village ancestrale, artisanale et entièrement naturelle, j’allais d’émerveillement en émerveillement. Ce boulanger qui était arrivé à cloche-pied avait très peur de ne pas partir le lendemain en pèlerinage. Krishnadas manipula sa cheville foulée avec dextérité ; le boulanger se tordit de douleur mais repartit sur ses deux pieds, claudiquant à peine. Il avait le sourire aux lèvres : son pèlerinage était sauvé. Un matin arriva un père de famille, le bras en écharpe : son poignet était très abîmé. Je vis Dinesh le masser longuement pour rétablir la circulation, puis je me suis demandé quelle mouche avait piqué le thérapeute. Il laissa en plan son malade, partit dans la forêt cueillir des feuilles aux arbres. Il revint sur ses pas pour demander à l’un de ses fils d’aller chercher un œuf dans la maison. Un comportement surprenant, non ? Je compris bientôt ce manège. Dans un récipient en bois, Dinesh mélangea au pilon les feuilles collectées et des poudres ayurvédiques. Quand il ajouta le blanc de l’œuf à cette mixture pour la rigidifier, il obtint une pâte verdâtre qu’il vint appliquer sur le poignet blessé. Lequel désenfla immédiatement. J’étais ébahi. Un bandage sur la blessure…  et la rééducation commença dans la foulée.

Dinesh alla remplir d’eau un vieux sceau. Il l’apporta à son patient et lui demanda de le balancer au bout de son bras malade. J’étais ébahi et multipliais les photos. Le patient balançait le sceau avec allant, le visage enfin décontracté. En venant renouveler ce soin tous les quatre jours, il fut guéri en 20 jours, soit deux fois plus vite que les 45 jours de plâtre recommandés par l’hôpital, pour cinquante fois moins cher, ce qui n’a rien d’accessoire. Même les enfants blessés étaient présentés par leurs parents pour tel ou tel coude abîmé dans une chute. L’enfant pleurait à chaudes larmes en arrivant, et plus encore au début de la manipulation. Massage du coude, du bras tout entier, plusieurs craquements d’articulation. Les pleurs redoublaient. Et puis d’un seul coup on n’entendait plus rien. L’enfant n’avait plus mal et séchait ses larmes.

Sindhu , l’épouse de Krishnadas, nous chouchoutait à notre retour du Kalari, assistée de ses deux filles, très sensibles à la joyeuse humeur et au look de Jésus de Djelom. Pendant la semaine de Onam Festival (une sorte de semaine pascale), nous partagions les repas traditionnels de la famille. Des chutneys à la noix de coco de toutes sortes étaient servis sur des feuilles de bananiers, et nous les dévorions à la main – nous n’avons pas vu un couteau ni une fourchette de tout le séjour. L’ambiance était radieuse. J’avais fini par assimiler deux ou trois mots de malayalam, et je les répétais maladroitement, ce qui provoquait de fameux fou-rires dans la famille. Je savais dire « Kaanam ! », ce qui signifie « A plus tard ! ». Je répétais ça tout le temps, même pour dire bonjour ; mes vis-à-vis pouffaient, bien sûr. Dans un bus, un jour, je me suis cru malin en répondant sans complexe « Tick hé ! » (« C’est bien !») au contrôleur qui me rendait la monnaie, et il m’a réparti : « No, no, pas besoin de ticket. » Quand j’ai raconté cette histoire à table, on n’a pas pu terminer le déjeuner tellement nos hôtes étaient pliés en deux.

Notre retour au bercail…

Au bout d’un mois, il a bien fallu repartir au bercail. Au-delà de notre bonheur keralais, Jérôme attendait impatiemment de rejoindre sa chérie et j’avais hâte, je l’avoue, de retrouver mon nid d’aigle à Paris. Le soir de notre départ, nous sommes allés dans la maison d’en face saluer le Guruji. Il ne parlait pas un mot d’anglais mais avait été très bienveillant avec nous tout au long du séjour. Il nous fit un cadeau chacun à Djelom et à moi. C’était un comble. C’est eux qui nous recevaient en nous choyant. Et ils nous offraient en plus un cadeau. Nous avons déballé nos paquets, révélant de magnifiques lampes à huile en cuivre. Pas n’importe lesquelles. Les mêmes que la lampe à huile constamment allumée dans le Kalari pendant les entrainements, symbole de l’art martial. Vous imaginez notre émotion !

La nuit était venue quand un auto-rickshaw vint nous chercher. Le Guruji en tête, parents, enfants, toute la famille sortit des maisons nous dire au revoir et nous étreindre. J’en ai eu les larmes aux yeux, et Jérôme m’a avoué être également très secoué par cette ferveur. Krishnadas nous accompagna dans l’auto-rickshaw nous menant vers la gare de Thrissur (prononcez Trishour), et nous convoya jusque sur le quai, avant de s’effacer comme par magie. Un long moment de blues a succédé à son départ : Jérôme et moi, je crois, avions encore la tête à Chavakkad.

Eric Bhat

Traitements ayurvédiques et réflexologiques.

eric.bhat@free.fr

Jérôme Froment, professeur de Kalarippayat à Paris

Il a 35 ans et il est passionné de kalarippayat, qu’il enseigne à l’association Le corps en mouvements,  au Théâtre de Verre ainsi qu’au Centre Sportif Pujol. Sa spécificité est d’adjoindre danse et musique à ses démonstrations. Une troupe fidèle d’instructeurs et d’instructrices formé(e)s dans le Kerala l’entoure. Il initie toutes les générations, des seniors aux écoliers, à cet art martial qui s’appuie de façon très dynamique sur les postures animales. Ensuite vient le temps des armes (pacifiquement).

www.kalariparis.jimdo.com

jerfrom@gmail.com

tel 06 79 64 25 40

Vallabhatta : l’appel de l’Occident

Ce centre de Kalarippayat a ouvert une antenne permanente à Bruxelles. Les Vallabhatta-boys sont également venus produire des spectacles à Paris, au théâtre de la Villette notamment, ainsi que dans de nombreux pays européens, poussant même leurs périples jusqu’aux Amériques. « 63 pays au total à ce jour », affirme fièrement Krishnadas, le jeune Guruji, auteur de cette internationalisation. Après avoir inspiré le Kung-fu, le Karaté, le Judo et bien d’autres arts martiaux à travers les siècles,  il était temps que le Kalarippayat prenne un nouvel essor.

vallabhatta@vallabhattakalari.com