Gustave Doré, génie dans l’ombre

Publié le 27 mars 2014 par Marcel & Simone @MarceletSimone

Dessinateur prodige, bourré d’humour et d’imagination, un sens de la mise en scène certain, Gustave Doré est un génie comme on en fait peu, internationalement connu de son vivant mais dont la notoriété a décliné au fil des ans. Le Musée d’Orsay rend hommage à cet illustrateur hors pair, jusqu’au 11 mai 2014.

L’imaginaire au pouvoir

Il n’aura pas vécu très longtemps, Gustave Doré. À peine plus de 50 ans (1832-1883). Mais il est rare qu’un artiste soit autant ancré dans son époque, donnant corps et apparence graphique à nombre de textes littéraires majeurs, dont certaines des publications ont jalonné la vie de l’illustrateur. Celui qu’on décrivait volontiers comme un personnage sombre, dépressif à la fin de sa vie, a pourtant éclaboussé son temps d’un talent éblouissant. Comme dessinateur bien sûr mais aussi comme peintre, sculpteur et caricaturiste.

Chez Doré, dessiner ce n’est pas « que » dessiner. C’est aussi faire rire, ce qu’il comprend dès 15 ans, entamant une carrière de caricaturiste. La Prusse, que la France finira par combattre en 1870, est une des cibles privilégiées de l’artiste qui, s’il aime tourner en ridicule les moeurs du voisin prussien, ne se gênera jamais pour bousculer un peu son propre monde. En témoigne par exemple cette formidable sculpture où un chevalier enjambe un moine dans une partie de saute-mouton (ronde-bosse, 1880-81). Mais avant de devenir un touche-à-tout, le caricaturiste va se faire illustrateur, pour le plus grand bonheur de la postérité.

Un créateur boulimique

Car c’est véritablement dans ce domaine que sa maîtrise s’exprime. Qu’il dessine les Fables de la Fontaine, illustre les contes de Perrault et les festins ogresques de Gargantua ou croque les exploits farfelus de Don Quichotte, Doré fait mouche. Ses jeux clair/obscur, son trait net d’une précision parfois effrayante, les regards hypnotisants de ses personnages, sa capacité à créer des ambiances, tout sonne juste. Les textes prennent grâce à lui une autre dimension. Sa boulimie créative le porte vers d’autres auteurs : Hugo pour Notre Dame de Paris, Shakespeare, Le Corbeau d’Edgar Allan Poe mais surtout Dante et son Enfer, dont la passion que lui porte Doré frise parfois l’obsession. En 1866, il illustre La Bible, représentant Dieu dès la première page (un scandale à l’époque !). C’est aussi ça Doré : tout peut être, tout doit être dessiné.

Amateur de voyages, Doré croque ses périples, des faubourgs insalubres de Londres aux haciendas d’Espagne. A la fin de sa vie, il se confronte aux paysages d’Écosse, auxquels il consacre de majestueux tableaux. Des images qui célèbrent paisiblement son goût pour la peinture, déjà exploré dans d’impressionnantes toiles (Le Christ quittant le Prétoire, Dante et Virgile). Ses pérégrinations inspirent de nombreux artistes, des peintres hollandais jusqu’à nos réalisateurs contemporains : Terry Gilliam et son Baron de Münchausen (1988), Roman Polanski et son Oliver Twist (2005), etc… L’exposition du Musée d’Orsay, si elle est un peu confuse par endroits et s’attarde parfois sur des éléments assez anecdotiques, a le mérite de mettre en lumière l’hétérogénéité et la richesse de l’œuvre de Gustave Doré. L’influence de l’artiste, notamment sur le plan cinématographique, est - bien qu’un peu facilement - nettement mise en évidence. Une expo à voir, ne serait ce que pour découvrir un artiste aujourd’hui injustement méconnu.

L’imaginaire au pouvoir. 18 février - 11 mai 2014 ; Musée d’Orsay.