Quand la Norvège exporte la slow TV

Publié le 02 avril 2014 par Wtfru @romain_wtfru

En cette semaine consacrée à la Scandinavie, WTFRU revient sur l’expérience télévisuelle inédite en France et originaire de Norvège, qui a été réalisée le 31 mars sur France 4 : la slow TV.

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Vous avez peut-être suivi Tokyo Reverse sur France 4 pendant les neuf heures de rang du programme. Si tel est le cas, on vous en félicite. Cette diffusion, une expérience inédite dans la télé hexagonale, a mis en scène un personnage (Ludovic Zuili) se promenant dans les rues de Tokyo alors que tous les passants évoluent à reculons ; en réalité, c’est lui qui a été obligé de reculer parmi les Tokyoïtes, filmé par Simon Bouisson dans plusieurs plans-séquences, de jour et de nuit. Le tout accompagné d’une musique composée en live dans un bar du XXème arrondissement parisien, par le pianiste Francesco Tristano.

Ludovic Zuili dans les rues de Tokyo. En haut à gauche, le compositeur en direct de Paris

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Le bilan ? Un succès certain et le hashtag #tokyoreverse en Trend Topic sur Twitter une bonne partie de la soirée et de la nuit puisque le programme s’est achevé à l’aube. Cette expérience hallucinante et hypnotisante, en plus d’avoir suscité un intérêt nouveau, a instauré un concept innovant. Et en matière d’innovation, les Scandinaves sont toujours à la pointe ; la slow TV a été inventée par la Norvège il y a quelques années.

TOKYO REVERSE from Simon Bouisson on Vimeo.

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Une tendance qui est née en 2009 grâce au groupe de télévision NRK2. À l’occasion du centenaire de son inauguration, la chaîne publique a décidé de retransmettre l’intégralité du trajet en train entre Oslo et Bergen, communément admis comme un des plus beaux voyages ferroviaires du monde (et pour l’avoir fait, on confirme). Les quatre caméras fixées sur le train ont capturé plus de 7 heures de paysages incroyables qui ont provoqué un succès surprenant : 1,2 million de téléspectateurs, à quelque chose près c’est 1 Norvégien sur 4 devant sa télé…
Deux ans plus tard, ce sont 134 heures d’une croisière sur un paquebot à travers des fjords qui ont été retransmises. Puisque rien ne sert de courir, certains sont restés cinq jours dans leur canapé.

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D’autres essais similaires ont été menés : d’abord avec la diffusion pendant huit heures d’un feu de cheminée. Ce programme a été diffusé de manière interactive puisque les téléspectateurs pouvaient participer sur Facebook, en prodiguant des conseils avisés sur les endroits où placer les prochaines bûches pour pérenniser la combustion. Une audience tout feu tout flamme (désolé, on était obligé) qui a même vu quelques disputes entre internautes à propos de la position stratégique des rondins. En Norvège, on ne plaisante pas sur le sujet. Huit heures de flammes ça envoie le bois et les téléspectateurs en redemandent. Une autre expérience a été celle d’un tutoriel de plusieurs heures sur « comment tricoter un pull en laine : de la tonte du mouton au sweat de hipster ». La slow TV attire un public très large, les jeunes étant intrigués par l’aspect insolite du programme, les plus vieux par son contenu.
À contre-courant de la télé moderne, racoleuse et tapageuse, Tokyo Reverse a été en France la première d’une tendance qui pourrait se prolonger. À l’heure où les séries d’action et les programmes de plus en plus courts et compacts poussent le téléspectateur dans un état d’impatience perpétuelle, la slow TV redéfinit le rapport au temps que peut avoir le visionneur avec le programme. Elle prend l’ambition de redéfinir la notion de télé-réalité, puisque c’est un renouement avec le temps réel qui s’opère. Et pourtant, il n’y a rien : les détracteurs diront que contempler passivement un feu brûler ou un homme marchant dans une ville, c’est vide de sens. Soit, mais pas moins que de regarder une dizaine d’affreux glander dans un loft. Ce concept remet le combat distraction vs concentration au centre du rapport du téléspectateur avec son écran. La slow TV, du génie ou de l’escroquerie ? Une certitude, c’est captivant et on en redemande.