La vallée : où l'on ne dira pas que cet album est un chef-d'oeuvre caché.

Par Hectorvadair @hectorvadair
La vallée
1 Meli-meylaud dans la vallée

Forneri/Trystram - Ruby (couleurs)
Dupuis
Avril 2014
Véritable ovni dans la production BD actuelle : la Vallée, de part l'incongruité et la folie qui le caractérisent, dégage le parfum suranné des années 70/80. Années où le cinéma de Mocky produisait des oeuvres inclassables, où la bande dessinée proposait des Ash Barrett (Vincent Hardy), ou le Bal de la sueur (Riff rebbs) et où tout était permis. Impossible de ne pas penser aussi à Jean Claude Forest, bien sûr, père spirituel de bien d'artistes dans ce domaine, dont la poésie n'avait d'égale que son originalité folle.
Edwin, jeune bureaucrate a été dépêché par sa hiérarchie pour ouvrir un bureau dans "la vallée", sorte de village au bord de la mer, créé par les Etablissements généraux (EG), où les gens et les choses se comportent bizarrement. Dans le tramway qui ne va nulle part, notre jeune homme est abordé par Valéria, une belle rousse qui semble intéressée par son profil. En effet, Edwin ne comprend pas pourquoi les gens qui l'entourent sont si étranges. Valéria et son père, le docteur Meylaud, qui semble être responsable de ce qu'il convient d'appeler un asile ouvert, vont lui expliquer la raison de cette situation, et l'envoyer en mission pour tenter de résoudre les deux meurtres récents commis dans ce village pas comme les autres.
Tenter de résumer le scénario de La Vallée ne saurait en aucun cas traduire le ton et l'originalité de cet album de 56 pages grand format.
Pascal Forneri signe là son premier album bande dessinée, et ce quadragénaire venant de l'audiovisuel dénote très fortement aux sein de la production éditoriale actuelle.
La couverture, l'entrée en matière abrupte, les dialogues, frappent par leur force surréaliste, tout comme une poésie intrinsèque porte le récit.
A cet égard, on pourra tenter quelques parallèles cinématographiques, et si j'ai cité Jean Pierre Mocky en début de chronique, en pensant à la folie du village de "la grande frousse", (1964) ou celle d'"Un drôle de paroissien" (1963)… on pourra en imaginer d'autres.
 La scène de nuit des révélations de la nounou de Valéria, (page 46), a par exemple "un je ne sais quoi" de l'ambiance des confidences de Jim Carrey à son copain, dans "The Truman show" (1998)
D'autant plus que les couleurs chaudes et psychédéliques de Ruby mettent particulièrement en valeur le dessin peu courant, mais agréable et très expressif de Trystram, repéré il y a plus d'un an sur le récit maritime fantastique : "Pacifique".
Sur ce dernier point,  on notera d'ailleurs page 16, dans le passage consacré à la recherche en bibliothèque, les beaux clins-d'oeil à quelques grands auteurs du Neuvième art : Crumb, Franquin, Edika, Uderzo… et on s'amusera à trouver dans cette grande case fourmillant de détails* toutes les allusions et hommages plus ou moins évidents.
(* ou page 38, au Amuséum : Et pif : BD US underground, et Bing : Donald, et Boom : un Trondheim en canard. Quant à Coucou, maître de cérémonie masqué d'une réunion secrète, il s'agit d'un hommage à peine déguisé aux "Cigares du Pharaon" d'Hergé.
On a l'impression que Forneri, grand amateur de BD, rentre par une porte dérobée  dans cet univers, car le choix du scénario et ce format de one-shot, cependant inclus dans une volumaison, ne va sans doute pas trouver facilement son lectorat. D'autant plus que l'éditeur historique de Spirou et d'autres séries classiques a fait le choix de ne l'intégrer dans aucune collection connue (cela aurait pu être "Aire libre"  !?). Les requins marteaux faisant aussi un bon éditeur potentiel.
Il n'en demeure pas moins que cet homme a du talent, et l'univers qu'il a créé avec Trystram et Ruby restera dans les annales, même s'il ne fait partie du top 10 des ventes de BD.
> Original, tordu, mais charmant, et très prometteur.
Et…tous publics.