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« Les anciens dieux.
« Celui qui de nos jours voyage parmi les Lapons, cherchera en vain des informations sur leur ancienne religion. La plupart n'ont pas la moindre idée des dieux de leurs ancêtres et les anciens qui, pour sûr, détiennent souvent des traditions intéressantes, n'osent pas exposer leurs connaissances, de peur d'être suspectés d'idolâtrie. On en est réduit à chercher dans les anciens écrits, ou bien encore auprès des chercheurs modernes qui les ont collectés et travaillés d'une manière critique ; mais même ces sources sont beaucoup trop pauvres pour être exploitables. En effet, on a commencé à s'intéresser à la mythologie des peuples nomades à une époque si tardive que celle-ci était déjà fortement mêlée aussi bien avec celle des Finnois que celle des Scandinaves, mais encore avec le christianisme ; il était alors souvent difficile de faire la différence entre l'original lapon et les emprunts ultérieurs. »Knud Rasmussen. Laponie Voyage Au Pays Des Fils Du Soleil
« L'habitant des tunturi, monts de Laponie, ne connaît pas d'habitat fixe, mais vit en voyageur perpétuel. Bien que sa tente, la kota, soit installée au pied de la montagne, elle n'y est pas ancrée très profondément.
Dans le monde animiste du chasseur-pêcheur, tout était doué d'une âme ; la nature sous ses formes visibles animées comme inanimées cachait un principe de vie qu'il fallait respecter, le cas échéant honorer, avant de le faire servir à des fins pragmatiques. Comme chez leurs proches et lointains voisins de l'Eurasie septentrionale, chaque espèce animale était en chacun de ses représentants, sous la responsabilité directe d'un "maître", d'un "possesseur" qui en était l'esprit-tutélaire et la souche. Selon les cas, on l'appelait l'Ancien, la Vieille, la Mère, l'Homme. Son apparence matérielle comparable à celle de ceux qu'il devait protéger, ne s'en distinguait parfois que par un volume plus important et certains signes particuliers, comme des cornes.
De même, chaque configuration géographique naturelle avait son maître, son esprit ; celui de l'eau, de la montagne, de la forêt, dont les fonctions rejoignaient et devaient plus ou moins se confondre avec celles des "esprits des animaux", comme cela est particulièrement net dans le cas de Liebolmai20, à la fois Maître des ours et de la forêt… »
« D'ailleurs, dans la mesure où il faut se déprendre de la logique rationaliste pour aborder ces conceptions, il faut bien admettre que les Sâmes, d'après les récits de ceux qui en firent les premières descriptions religieuses, ne semblaient pas distinguer nettement l'esprit des animaux et des lieux d'avec les siéides qui incarnaient les Puissances gouvernant toute une région, habitats d'une divinité.
On comprend ainsi qu'on en soit venu ensuite à une mythologie plus élaborée lorsque certains esprits naturels locaux prirent de l'importance, devinrent des "grands chefs"22, peut-être en liaison partielle avec des emprunts Scandinaves. Certains siéides cessèrent de représenter des "propriétaires" pour manifester des petites divinités souterraines habitant sous ces pierres et autres lieux sacrés comme des montagnes ou certains lacs. » Christian Meriot Tradition Et Modernité Chez Les Sâmes .L'harmattan
« Le culte du seida semble être à l'origine une institution familiale et clanique organisée principalement dans la communauté sâme, le siita, et maintenue par les aînés de la famille ou du clan. Le seida était tabou pour les femmes w. Les Sâmes appelaient les offrandes de la famille ou du clan aux seida des vearro ; ce terme désigne non seulement le sacrifice en soi, mais aussi le processus lors duquel on obtenait la réussite ou l'aide. Les Sâmes offraient aux seida divers produits de la nature comme du poisson, de la viande, du sang, en espérant que les dieux les acceptent et leur accordent en échange la réussite. Il s'agissait d'une communion à laquelle les Sâmes participaient en consommant une partie du sacrifice.
L'objet du culte dépendait de la situation et de la fonction. Les éleveurs de rennes sacrifiaient en général à leurs ancêtres morts, aux habitants du monde souterrain ou à diverses divinité.,. Les offrandes étaient généralement des ramures de rennes domestiques ou sauvages. On plaçait les meilleurs morceaux du renne sur le seida ou à ses pieds, ou bien encore, on l'arrosait du sang d'un animal sauvage.
Les pêcheurs et les chasseurs sacrifiaient à leurs ancêtres, aux esprits de l'eau ou au maître des animaux (Leibolmmâi). Le seido faisait en quelque sorte office de collecteur de taxes pour le compte des divinités en recueillant les premiers fruits des revenus. Les Sâmes des côtes ou des fleuves lui apportaient le premier poisson de la saison de pêche ou un morceau d'une grosse prise. Il était fréquent qu'on enduise le seida de la graisse de poisson. Christian Meriot Op. Cite
Ce culte des siéides eut aussi rapport avec celui des morts et des ancêtres, puissances familiales tutélaires vénérées comme telles.Là encore, il faut faire intervenir la linguistique : le terme saivo désigne à la fois l'esprit des ancêtres et les montagnes et lacs où ils habitent.
La conception de la mort et des morts, tel qu'on peut, au moins partiellement, le reconstituer atteste l'influence des conceptions cosmogoniques originaires du chamanisme de l'Eurasie arctique. Il y a un monde inférieur et un monde supérieur, l'âme et le corps, la vie et les morts. Mais cette division n'a rien d'ontologique. La vie et la mort, l'âme et le corps ne sont pas des contraires, mais des appréhensions dénominatives d'un même être. L'âme ou les âmes, (on verra qu'il y en a plusieurs) sont l'expression d'une force vitale avec qui l'homme est en contact quotidien et concret. La vie est partout présente à part entière dans le corps, même si l'on se plaît à la localiser plus particulièrement ici ou là. C'est le corps en entier qui est le "manteau" de l'âme, du principe vital et son support. La vie est un tout et porter atteinte à l'une des parties quelconques du corps, même la plus infime, qu'elle irrigue (cheveux, excréments, eau du bain, etc..), c'est porter atteinte à l'ensemble du corps.
« Le paganisme, donc, c'est d'abord tout le contraire du christianisme ; et c'est bien là ce qui fait sa force dérangeante, peut-être sa pérennité. Sur trois points au moins il se distingue radicalement, dans ses diverses modalités, du christianisme dans ses diverses versions. Il n'est jamais dualiste et n'oppose ni l'esprit au corps ni la foi au savoir. Il ne constitue pas la morale en principe extérieur aux rapports de force et de sens que traduisent les aléas de la vie individuelle et sociale. Il postule une continuité entre ordre biologique et ordre social qui d'une part relativise l'opposition de la vie individuelle à la collectivité dans laquelle elle s'inscrit, d'autre part tend à faire de tout problème individuel ou social un problème de lecture : il postule que tous les événements font signe et tous les signes sens. Le salut, la transcendance lui sont essentiellement étrangers ».Marc Auge. Génie Du Paganisme.Gallimard.-
Les croyances sur les morts des Sâmes comportent des strates successives et un syncrétisme où se mêlent des éléments chrétiens (orthodoxes et luthériens) et non chrétiens.
Dans les croyances traditionnelles des Sâmes, l'idée essentielle était que morts et vivants d'une même famille peuvent rester en contact. Pour des raisons anthropologiques, la mort n'était pas l'anéantissement ou la rupture de la vie terrestre, corporelle et matérielle. Chez les Sâmes comme chez d'autres populations, la mort, n'étant qu'une transition vers une condition peu différente, sinon meilleure, de celle qu'ils avaient sur terre, ne suscite pas en elle-même, semble-t-il, une grande frayeur : on s'y soumet naturellement. La seule crainte est que les esprits des morts, qui accueillent le mourant, emportent avec eux d'autres vivants et donc on procédait soigneusement à des rites et tabous,destinés à se purifier de toute contamination. Les défunts passés dans le royaume des morts (Jâbmiidâibmu-.jâbmit : « mort », âibmu : « l'autre monde », « l'au-delà »),conformément aux rites en usage étaient considérés comme des membres de la famille et du clan pouvant, de l'au-delà, contribuer à la réussite de leurs descendants sur terre. Ils devenaient des sortes de « dieux mineurs ».On contactait les aïeux résidant dans le royaume des morts soit au cas par cas, selon les besoins, soit à des dates déterminées, selon les rites du clan et de la famille. Les morts avaient ainsi besoin du soutien des leurs et l'on redoutait les « mauvaises morts » morts subites ou violentes parce que présageant un destin funeste dans l'au-delà.
Comme les autres peuples nord-eurasiens de la famille finno-ougrienne, les Sâmes distinguaient dans l'homme plusieurs parties. Un des principes vitaux était ainsi lié aux os et au squelette. Il semble qu'il y ait eu des croyances en une résurrection possible avec un nouveau corps que recréait le dieu du ciel Radien aidé de ses esprits auxiliaires : c'est pour cette raison que le squelette devait être intact.La transmission du principe vital se faisait aussi par les générations : selon une idée que l'on retrouve chez d'autres peuples (ainsi les Inuits), l'enfant recevait le nom d'un ancêtre apparu en rêve aux parents et identifié par le chaman. Le nom représentait en quelque sorte l'âme du défunt, avec ses qualités et sa protection depuis l'au-delà. Il héritait ainsi pour toute sa vie d'un esprit gardien ou « animal » celui justement de l'ancêtre. Il pourrait donc s'agir comme chez les Inuits d'une véritable réincarnation de celui-ci.
« Selon une première direction, il existe quelque chose qui est apparenté avec ce qu'on a appelé dans la littérature ethnologique, une âme-libre, ou âme-ombre, âme qui constitue la personnalité. On peut la représenter par quelque chose de matériel qui la rattache de manière plus ou moins lâche à son possesseur : ombre, nom, animal - souvent oiseau - ou représentation anthropomorphe commémorative d'un mort. C'est cette âme,
qui, pour les Sâmes d'Enontekiô, pouvait quitter le corps durant le sommeil et voyager dans le monde des esprits. Ainsi, il arrivait qu'en voyant quelqu'un dont on mettait la réalité en doute, on l'interrogeât : "Est-ce toi ou ton ombre?". C'est cette âme aussi qui, à la mort ou durant une maladie "s'envole du corps" et s'en va vers le royaume de la mort, Jabmeaimo. D'ailleurs, ce voyage n'est pas irréversible. Un bon chaman (noaide) peut indiquer au chef de famille, après avoir mené des négociations aux Enfers, quelles offrandes il convient d'apporter pour émouvoir les puissances de la mort - en particulier Jameakka, la reine des morts - et faire revenir l'âme du défunt ou du mourant. Selon les cas : un chat10, un renne, un cheval, mais de couleur noire, ou à défaut un animal à qui on aura enfilé un fil noir à l'oreille.
Selon une seconde direction, il y a diverses âmes fonctionnelles appartenant au corps, "âme-vie", comme on les a dénommées. Parmi celles-ci, le souffle joue un grand rôle, parfois primordial au point de venir âme principale et à un degré moindre, le sang. Cette "âme-vie" se manifeste dans les divers mouvements corporels. Son principe réside, tantôt dans le cœur (Sâmes de Finlande), tantôt dans l'estomac .
On peut noter, à partir de nombreux textes et de nombreuses survivances, que l'âme-vie est liée au squelette - qu'il soit humain ou animal - . C'est ainsi que les os du renne qui a transporté le mort et qui est censé l'accompagner, sont soigneusement réunis, intacts, après qu'on l'ait rituellement consommé, que ceux de l'ours tué à la chasse ne sont ni fendus, ni abîmés13 afin que l'âme de l'ours puisse témoigner des honneurs qu'on lui a fait et revenir avec d'autres compagnons sur les zones de chasse .... Eclairante à cet égard est la déclaration du pasteur Forbus à propos des sacrifices faits aux dieux - "Les Sâmes supposent que si un dieu reçoit les os, il les trouve tout aussi valables que si on lui avait donné l'animal entier, parce que ce dieu peut très aisément façonner de la chair sur les os". C'est en partie ce qui explique le soin donné par cette population au corps du défunt. De même, chez les Vogouls, si le squelette vient à perdre son unité, l'âme disparaît : aucune survie, aucune renaissance n'est possible et le meilleur moyen d'empêcher un homme de renaître est d'éparpiller ses os, support de son âme. »Juha Pentikaïnen Mythologie Des Lapons .Imago
Ainsi veille-t-on à ce que le corps soit bien enveloppé dans son linceul tout comme à ce que le cercueil soit sans fissure, que son bois soit sans défaut, afin que l'âme-vie ne s'échappe point et puisse servir à une future incarnation dans Jabmeaimo, le royaume des morts, où se déroulera cette nouvelle vie souterraine. On installait aussi par les rites funéraires le défunt dans sa future en s'employant à ce que le voyage se passe bien, pour que le séjour n'y soit pas pénible. C'est pourquoi on équipait les morts de tout ce qui pouvait leur être indispensable et ce, jusqu'à une date récente (de l'argent, de la viande, des ciseaux, du tabac, de l'alcool, de quoi chasser et pêcher, de quoi assurer le transport, ou la protection contre le froid ont été parmi les dons les plus courants faits aux défunts qu'on plaçait dans leur cercueil.
« Si quelqu'un meurt dans les montagnes à la fin du printemps et qu'on n'a plus le temps de transporter le mort dans un cimetière du sud, on doit mettre son corps sur un traîneau si on n'a pas de barque. On porte le traîneau dans une île sans prédateurs et où les morts ne sont pas sur le chemin des vivants. On creuse un trou en terre où on inhume la dépouille dans le traîneau, on le recouvre d'écorces de bouleau puis de tourbe. Le corps peut rester là jusqu'à ce que le lac gèle et qu'il neige. On va ensuite le chercher ainsi que les autres traîneaux. Si on ne dispose pas de traîneau, parce qu'on transporte ses bagages sur le dos des rennes, il faut faire un trou en terre et y mettre le corps. Si on trouve assez d'écorces de bouleau, on en recouvre la dépouille, puis on jette de la tourbe. Mais on ignore si on ressort ces corps. À l'emplacement du décès, on plante une croix de bouleau.
En hiver, les Sâmes ont l'habitude d'amener leur mort avec eux dans leur siita. On a coutume de transporter le mort à part, avec un linge blanc accroché à la corne du renne qui le tire. Mais si la siita, la communauté, est trop peu nombreuse, le mort voyage dans la même caravane. Mais quand on dételle les rennes de la caravane, on met le mort un peu de côté, et on l'y laisse jusqu'à ce qu'on reparte en l'emmenant avec soi. On transporte ainsi le mort jusqu'à ce qu'on s'approche d'un cimetière. Là, on l'envoie en premier, en compagnie d'un ou de deux hommes.
Certains font des funérailles, ceux qui ne sont pas trop avares, c ceux qui n'en font pas attirent sur eux malheur et pauvreté.
Une fois la personne morte, on lui chante un cantique de séparatK" Mais lorsque le mourant est en train de rendre l'âme, tout le monde doit garder le silence, pour ne pas lui faire peur, car s'il s'effraye; il reste entre deux airs et vit une semaine dans cet état : il n est i vivant ni mort, avant de mourir une nouvelle fois. S'il reste agonisant et qu'il ne sait pas mourir, il faut lui mettre sur la tête un renversé, là, il meurt à coup sûr.
Au moment où le mourant rend l'âme, la situation est dangereuse : il faut faire attention à ce que les Faucheuses n'effrayent pas les hommes. Le pire est la mort sans chagrin. Il faut aussi se méfier de l'odeur. Si on respire l'odeur funeste du mort, on attrape aussi la mort.
Quand la personne a rendu l'âme, il faut sortir, renverser la porte, la recouvrir de bois et la laisser ainsi pendant un jour. Ensuite on revêt le défunt de linge blanc, si on en a, et on le lave. Si on n'a pas de toile blanche pour le vêtir, il faut lui mettre ses habits habituels. Ensuite on place le mort dans un traîneau ou dans un cercueil, si on en a un, et on ne sort pas le mort par la porte, mais à travers la tente, à l'endroit où la mort l'a saisi. Cela symbolise le fait que morts et vivants ne doivent pas prendre les mêmes chemins. Un autre maléfice : si on sort le mort par la porte, bientôt tous les habitants de la tente mourront.
Certains corps, tout comme le lieu de mort, sont enclins à hanter, c'est-à-dire à effrayer tant qu'on voit et qu'on entend le défunt, et le revenant imite les gestes du mort pendant sa vie : il chante desjoik, appelle les chiens et se démène. Quand un corps d'homme est dans une île, il traverse le lac vers la rive comme un grand oiseau avec grand bruit, même si c'est en plein jour et qu'il y a beaucoup de gens qui regardent. Une fois un revenant avait volé jusqu'à la rive, il s'était transformé en homme et avait fait fuir tout ce qui vivait. À cet endroit une jeune fille était morte à l'âge de quinze ans ; cela s'était passé en 1907.
Dans ces mêmes contrées, il y a eu beaucoup de cas semblables la même année, de revenants qui ont effrayé les hommes.
Quand l'homme est mort habillé, on a l'habitude d'abandonner sur place les vêtements qu'il avait lors de sa mort. Seulement s'il s'est déshabillé avant sa mort, on ramasse ses vêtements, on les Porte soi-même, on les vend ou on les donne à des pauvres. ».Johan Turi Vie Des Lapons.
A suivre