Mathilde Roussel-Giraudy : La douceur de l'absence ?

Publié le 14 avril 2014 par Vanessa Lekpa @VanessaLekpa

L'art et l'absence

Pour Mathilde, l'absence s'enveloppe de douceur ; Son regard est dépourvu de mortification ou de morbidité. Elle fait place au blanc, aux lignes généreuses et l'on devine du "plein" dans ses "creux" et ses "vides".

" empreintes " Mathilde Roussel-giraudy


J'ai découverts ses sculptures en 2010 quand elle a participé au 56ème salon d'art contemporain de Montrouge. Et depuis je suis le travail de cette artiste française exilée à New-york avec passion.

Quand on est face à ces trois œuvres " Empreintes ", "Floating memories" et " Mues" ... On est immédiatement face à l'absence et a ce vide qui d'une façon bien à lui prend toute la place et devient plus vivant et plus palpable que la présence.

Contradiction réelle que tous ceux qui vivent avec l'absence connaissent.

Mathilde Roussel-Giraudy a su rendre cette invisible présence de l'absent ;


"Empreintes" Mathilde roussel-giraudy


Dans "Empreintes" , elle moule un oreiller qui possède l'empreinte en creux de ses mains. Il s'agit de l'oreiller bombé de l'homme aimé et absent.  C'est l'oreiller que l'on sert contre soit car il est encore empreint de l'odeur de l'amoureux.

"Empreintes" Mathilde Roussel-giraudy


Pour " Empreinte" l'oreiller va de paire avec le moulage du pull-over de l'homme. Elle le crée , les bras tendus comme pour immortaliser ce geste si simple et pourtant si puissant , d'ouvrir ses bras à l'autre et de l'inviter à se blottir contre nous. Le pull marin est légèrement déboutonné sur l'épaule , il devient ainsi une ouverture sur la peau de l'absent.

"Empreintes" Mathilde Roussel-giraudy


" Floating memories" , est une sculpture flottante , un mobile aérien composé de mouchoir ayant appartenu à sa grand-mère. Les initiales brodées de cette grand-mère disparue sont encore visibles sur ces morceaux de tissus troués.

"Floating Memories" MAthilde Roussel-giraudy


Cette sculpture à la fragilité apparente et réelle m'a beaucoup touchée. Sa légèreté et ses trous qui laisse si facilement passer l'air m'ont rappelé , je ne sais pourquoi , ce moment étrange et faussement irréel où le corps étendu et mourant lâche sa dernière expiration.

Quelque chose d'invisible et d'aussi léger qu'un dernier souffle quitte le corps et l'allège de quelques grammes. Ces quelques grammes pas plus lourd qu'un mouchoir font toute la différence.

Dans cette installation ce trio d’œuvres se clôt avec " Mues". Cette sculpture née des œuvres précédentes qui  en découle comme une fille.


"Mues" MAthilde Roussel-giraudy


Réalisé en papier de soie , ce moulage souple du corps de Mathilde peut nous apparaître comme autant de peaux mortes de l'artiste.
Pourtant de son travail rien de morbide ne se dégage , et cette "mue" porte en elle quelque chose de joyeux.

Sa façon d'aborder le thème de l'absence se fait dans un esprit de vie et de manière naturelle.

C'est bien cela qui m'a frappé en découvrant les œuvres de cette artiste ; l'absence porte en elle une forme de douceur sans doute lié à l'acceptation de ce moment de vide temporaire et qui semble chez Mathilde enrobé d'amour.


"Emreintes" AMthilde Roussel-giraudy


L'homme aimé, l'homme au pull marin semble n'être parti que pour mieux revenir. Si l'on voit bien que l'Homme n'est plus là et qu'il ne reste de lui que des objets  , on sait avec ce blanc immaculé et ces lignes sinueuses remplies d'amour, que cet homme, ce marin ? n'est pas réellement parti. Qu'il est encore présent au delà du fait que l'artiste le rende vivant à travers son art.

Cette absence n'en est pas réellement une.

C'est sans doute pour cela que face à ces sculptures, cette sensation d'absence s'enrobe de tant de douceur.


"floating Memories" Mathilde Roussel-giraudy


Pour "floating memories" cette tendresse est aussi présente. Là où l'absence peut être délétère et déchirante, elle devient dans les mains de Mathilde , douce et mémorial.

Dans ces mouchoirs flottants, on peut sentir une présence bienveillante. La mort n'est pas tout à fait présente car elle semble s'effacer devant la puissance délicate du souvenir. Le vide est remplacé par la mémoire joyeuse de l'être aimé. Tout comme pour " Empreinte" où l'absence de l'homme aimé s'efface derrière cette sensation d'attente de la prochaine étreinte.



Ces œuvres poétiques apprivoisent l'absence , mais une absence naturelle pas une rupture. C'est l'amoureux qui est "provisoirement" absent mais qui continue à être présent et qui viendra, c'est sûr, reposer de nouveau sa tête sur l'oreiller.

C'est la grand-mère bienveillante , qui a disparu mais qui continue de veiller à travers la mort sur ceux qu'elles aiment.

Et ces " peaux de soie " qui sont les témoins de ce que nous avons été et qui n’est plus , font elles aussi parties de ces traces d'un passé que l'artiste immortalise et suspend au travers de ces 3 œuvres.

Ici, le moment d'absence qui est vécu comme la conscience d'une personne qui est simplement ailleurs ( à un autre endroit ) est rendu dans toute sa poétique car elle ne s'assimile pas au néant.

Ici, l'absence n'est pas ce sentiment si particulier  vis à vis d'une personne disparue ( décédée ou véritablement absente) qui se teinte d'une froide réalité comparé au souvenir. On ne sent n'y cœur brisé, ni vide oppressent, ni absence aliénante.

L'absence traité par Mathilde est essentiellement physique et temps suspendu car il se dégage de ses œuvres une forme de certitude , la certitude de revoir ceux qui l'aiment mais qui ne sont plus là, dans l'instant.

Ici , on ne navigue pas sur la mer angoissante du vide laissé quand l'Autre n'est plus là, mais sur l'océan paisible de l'absent gardé en vie par le lien d'amour et le souvenir.

C'est je pense ce qui rend son travail si touchant, si frais et si sensible.



En tombant dans l’eau

les pétales disparaissent-
prunier sur la rive

mizu ni chitte

hana nakunarinu
kishi no ume

水に散て

花なくなりぬ
岸の梅 蕪村 BUSON (1716-1783) Cliquez Si vous avez aimé cet article Partager