Boycotter l’industrie pétrolière, « ennemi numéro un de la survie de notre civilisation »

Publié le 15 avril 2014 par Blanchemanche

BOYCOTTER L’INDUSTRIE PÉTROLIÈRE, « ENNEMI NUMÉRO UN DE LA SURVIE DE NOTRE CIVILISATION »

PAR MAXIME COMBESNICOLAS HAERINGER 15 AVRIL 2014

Les émissions de gaz à effet de serre augmentent à un rythme sans précédent, affirme le rapport du GIEC publié le 13 avril. L’urgence est telle que l’Onu pointe la responsabilité de l’industrie pétrolière et gazière. L’ancien prix Nobel de la Paix, l’archevêque sud-africain Desmond Tutu, appelle même à boycotter les industries fossiles, en s’inspirant du boycott contre l’Apartheid. Des fonds d’investissement commencent à se retirer des compagnies pétrolières, sur fond de mobilisations aux États-Unis contre la construction de pipelines ou en Europe contre l’exploitation des hydrocarbures de schiste. La France suivra t-elle le mouvement ?Le constat dressé par les deux derniers rapports récemment publiés [1] par le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) sont sans appel. Les émissions de gaz à effet de serre croissent plus vite que jamais – 2,2 % par an entre 2000 et 2012 contre 0,4 % par an sur les trois décennies précédentes – atteignant des niveaux sans précédent et faisant craindre de dépasser le seuil des 2 °C dès 2030. Par ailleurs, les effets du réchauffement climatique et des catastrophes qu’il provoque (cyclones, pluies diluviennes, sécheresses...) vont s’aggraver fortement au 21ème siècle, et ce dans toutes les régions du monde. Elles ont pour noms : insécurité alimentaire, pressions sur l’accès à l’eau, conflits, populations déplacées ou problèmes sanitaires.Ces rapports sont tellement alarmants qu’ils ont poussé Christiana Figueres, la responsable « climat » de l’Onu, à sortir de sa réserve diplomatique habituelle, pour pointer du doigt la responsabilité de l’industrie pétrolière, gazière et charbonnière :« Le temps de l’expérimentation et des changements marginaux est terminé » a-t-elle affirmé demandant à ce que « les trois quarts des réserves de combustibles fossiles restent dans le sol », le reste ne devant « être utilisé qu’avec parcimonie et de façon responsable ». De fait, l’humanité a déjà utilisé plus de la moitié du budget carbone disponible pour rester en deçà des 2°C de réchauffement climatique global.

90 entreprises principalement responsables

Christiana Figueres a donc décidé d’interpeler directement ceux qui peuvent être jugés comme les principaux responsables du réchauffement. De fait, selon une étude récemment publiée par la revue Climatic Change (voir notre article), 90 entreprises sont, à elles seules, responsables des deux-tiers des émissions de gaz à effets de serre relâchées dans l’atmosphère depuis 1854 – parmi ces entreprises, on compte bien sûr la quasi totalité du secteur de l’extraction des énergies fossiles (les « Big Oil »).Face à un tel constat, Bill McKibben, le fondateur de l’ONG 350.org, et Naomi Klein, entre autres, considèrent comme indispensable de pointer les responsabilités, et de nommer les acteurs qui font partie du problème, plutôt que d’entretenir le mythe d’une communauté d’intérêt et de destin qui abolirait les catégories de responsables et de victimes. Pour le dire autrement, si nous sommes entrés dans l’anthropocène (voir notre enquête), nous ne sommes pas tous coupables. Le secteur de l’énergie fossile, cette « industrie voyou » (rogue industry), selon Bill McKibben, est perçue comme « l’ennemi numéro un de la survie de notre civilisation » et doit être mise à l’index.

« Nommer l’adversaire »

Dans cette optique, « nommer l’adversaire » est crucial pour comprendre ce qui fait obstacle à une transition énergétique réelle et ambitieuse. Une fois l’adversaire identifié, il devient en effet possible d’élaborer des stratégies et de mettre en place les politiques alternatives adéquates. C’est ainsi que sont justifiées des pratiques de désobéissance civile de masse récemment organisées aux États-Unis, devant la Maison-Blanche et sur les sites de construction des pipelines et infrastructures, pour bloquer l’exportation du pétrole issus des sables bitumineux du Canada. Ce que Naomi Klein a dénommé « une stratégie pour étrangler les sables bitumineux de l’extérieur ».Une stratégie et des pratiques qui ont également pris pied en Europe. A travers des occupations de terrain sur lesquels lorgnent les industriels gaziers ou en bloquant l’arrivée des camions nécessaires aux travaux d’installation et de forage, les mobilisations contre l’exploitation des hydrocarbures de schiste en Pologne, en Roumanie, au Royaume-Uni se situent clairement dans la même dynamique. Autre exemple, le mouvement « No Dash For Gas » (Pas de ruée sur le gaz) a occupé une semaine durant, fin 2012, deux cheminées de la central au gaz d’EDF à West Burton. L’objectif ? Stopper la production d’électricité pour dénoncer la construction de 40 nouvelles centrales au gaz, sous peine d’un « changement climatique irréversible ».

« Des entreprises qui minent notre avenir »

A travers la campagne Do the math [2], Bill McKibben et le mouvement 350.org contribuent également à amplifier un processus de désinvestissement significatif dans le secteur des énergies fossiles. La logique est simple : s’il faut préserver la stabilité du climat, alors il ne faut pas tirer profit de sa destruction. Des universités, mais également des fonds de pension et d’investissement se retirent des compagnies d’énergies fossiles, jugées trop dépendantes de réserves qu’il ne faudrait pas extraire.Ce processus de désinvestissement vient de recevoir un soutien de choix en la personne de Desmond Tutu. Cet archevêque sud-africain et prix Nobel de la Paix (1984) vient d’appeler à organiser un boycott des industries fossiles s’inspirant de celui contre l’apartheid. Il préconise de « rompre les liens avec les sociétés qui financent l’injustice que constituent les dérèglements climatiques », considérant que« cela n’a pas de sens d’investir dans des entreprises qui minent notre avenir ».

Que va faire Ségolène Royal ?

Mais l’industrie pétrolière et gazière n’entend pas changer d’approche. Le jour de la publication du rapport du GIEC portant sur les impacts des dérèglements climatiques, Exxon Mobil, la compagnie pétrolière dont le chiffre d’affaire est supérieur au PIB de 179 pays et qui a nié pendant très longtemps l’origine humaine des dérèglements climatiques, expliquait que le changement climatique ne l’empêcherait pas de produire et vendre des énergies fossiles. Toute proportion gardée, l’Union Française des Industries Pétrolières (UFIP) adopte une approche similaire : le nouveau gouvernement n’était pas encore nommé qu’elle l’appelait à « rouvrir le dossier » des gaz de schiste, se gardant bien de préciser comment cela pourrait être compatible avec le constat dressé par le GIEC.De ce point de vue, les premières déclarations de la nouvelle ministre de la transition énergétique et de l’écologie ne peuvent qu’inquiéter : à peine était-elle nommée que Ségolène Royal jugeait nécessaire de rappeler son opposition à une « écologie punitive ». Face à l’ampleur des dérèglements climatiques, peut-on nier que tout un secteur industriel exerce une activité nuisible à la survie de l’espèce humaine, et, au-delà, à l’ensemble de la planète ? Et ce d’autant plus qu’avec leurs déclarations fracassantes et leurs lobbying effréné, les acteurs de l’industrie pétrolière et gazière font tout, de leur côté, pour incarner l’adversaire d’une transition énergétique qui soit à la hauteur des exigences climatiques.Maxime Combes et Nicolas Haeringer, membres d’Attac FrancePhoto : CC Fotopedia

Notes

[1] Le rapport « Changement climatique 2014 : impacts, adaptation et vulnérabilité » a été publié en mars 2014 et le rapport « Changement climatique 2014 : atténuation des dérèglements climatiques » en avril 2014.[2] Cette campagne, que l’on peut traduire par « Faites le calcul » s’appuie sur les estimations de la quantité des réserves d’énergie fossiles qu’il faudrait laisser dans le sol pour préserver le climat.