La Vie sauve, Lydie Violet & Marie Desplechin... objectif Pal d'avril

Publié le 21 avril 2014 par Antigone

 "Imaginez ce que c'est que de traîner son gros malheur partout avec soi, sans jamais trop savoir qu'en faire : l'avouer entre deux portes, pour avoir la paix, ou le taire farouchement, pour avoir la paix. Un moyen malheur fait mieux l'affaire. Il se laisse oublier. Au mieux, il sert de refuge, ou de prétexte pour aller se coucher quand on en a marre du monde. Mais le gros, celui auquel on pense chaque seconde sans même se souvenir qu'on y pense, auquel on ne s'habitue pas, celui-là est terrible."

J'ai acheté ce livre en bouquinerie il y a peu, dans une petite boutique de St Gilles Croix de Vie qui donne sur la gare, simplement parce qu'il y avait le nom de Marie Desplechin sur la couverture, le mot vie dans le titre, et qu'au-dehors il faisait beau, la mer n'était pas loin. Elles sont assez obscures parfois les raisons de partir avec un livre... Je ne m'attendais pas spécialement à ce que le texte à quatre mains rédigé par Lydie Violet et Marie Despechin raconte la terrible maladie de cette première, et sa confrontation brutale avec sa prochaine disparition.

A la fin du mois d'Août 2001, Lydie Violet fait en effet un malaise, une tumeur est diagnostiquée, on lui donne huit ans. La vie sauve raconte cette révélation, le nouveau quotidien qui en découle, les galères, le combat, les rencontres. Loin d'être un récit misérabiliste il donne une envie très forte de vivre, et d'être dans la réalité de la vie, des sentiments, loin des faux-semblants. Lydie Violet n'a plus de temps à perdre. L'écriture de Marie Desplechin transfigure sans doute de nombreux passages aussi, mais lesquels ? Le tout est plus qu'un essai, un très beau récit, sans pathos, récompensé par ailleurs à l'époque par le Prix Medicis, et dont j'ai corné de nombreuses pages.

Un autre extrait...

"La bonté

L'humanité se divise en deux camps : le camp de ceux qui me blessent et le camp de ceux qui m'assistent. Ceux-là, je les aime et je les admire. Dans toute cette histoire, j'ai perdu le sens de la nuance. Je vis parmi les misérables ou je vis parmi les héros. Entre eux, je suis le mur, on ne passe pas si facilement.
Parfois, bien sûr, je me surprends à douter. Franchement, suis-je, moi, la mesure du bien ? (J'abuse, peut-être.) Je ne doute pas longtemps. C'est que je me fous d'être injuste. Je ne demande pas que l'on m'aime à l'égal de tout autre. Je veux que l'on m'aime davantage. Je veux que l'on me témoigne une affection inconditionnelle et du soutien à l'occasion, même en toute petite quantité. Je veux que l'on fasse des efforts pour m'épargner les égratignures, les vexations, les ennuis. Je suis égoïste, mais mon égoïsme a des vertus universelles : n'importe quel geste de bonté, de n'importe quel quidam, à l'endroit de n'importe laquelle des créatures, augmente la quantité de bonté globale présente dans le monde.
Je fais partie des éprouvés. Je ne vois pas de scandale à ce que l'expérience que je traverse suscite une forme de bienveillance. On en a sans réserve, après tout, pour des gens qui occupent un barreau au soleil sur l'échelle sociale, pour ceux qui ont le pouvoir, la santé, l'argent. Pourquoi pas pour les infortunés ?
Je n'ai rien contre la compassion. Je me demande même pourquoi il faudrait s'acharner si fort contre cette vieille vertu, qui entend que l'on s'efforce de partager (autant que faire se peut) la peine de l'autre. Compatir, sentir avec, éprouver avec, souffrir avec. Où est le mal ? L'indifférence est-elle plus jolie ? Connaît-on tant de gens abîmés par la compassion de leurs prochains ? Qu'ils se présentent, qu'on s'informe. Il y a quelque chose de très libéral à déconsidérer la compassion. La compassion n'est pas une vertu à la mode. Elle ne produit rien, ni affrontement ni spectacle. Dans l'idéologie du temps, elle a quelque chose de complètement superflu. Elle est dysfonctionnelle."

L'édition poche est épuisée - sorti chez Seuil grand format en 2005

Objectif Pal 2014 : 4/12 (#objectifpal2014)

Les sorties de Pal d'avril contiennent d'ores et déjà plusieurs belles lectures. Vous pouvez encore déposer votre lien mensuel sur le billet du mois d'avril qui se trouve [par là] !!