[Critique] INDIANA JONES ET LE ROYAUME DU CRÂNE DE CRISTAL

Par Onrembobine @OnRembobinefr

[Critique] INDIANA JONES ET LE ROYAUME DU CRÂNE DE CRISTAL

Titre original : Indiana Jones and The Kingdom of the Crystal Skull

Note:
Origine : États-Unis
Réalisateur : Steven Spielberg
Distribution : Harrison Ford, Cate Blanchett, Karen Allen, Shia LaBeouf, Cate Blanchett, Ray Winstone, John Hurt, Jim Broadbent, Igor Jijikine, Andrew Divoff…
Genre : Aventure/Action/Comédie/Suite/Saga
Date de sortie : 21 mai 2008

Le Pitch :
Vingt ans après la trilogie originale, le célèbre archéologue revient avec son fouet et son chapeau, dans une course contre la montre l’opposant à l’armée soviétique, pour retrouver des crânes de cristal dont le pouvoir supposé permet de lire et de contrôler les esprits…

La Critique :
Alors que l’internet crée le le buzz autour de chaque grosse production pour souvent mieux la descendre en flammes après sa sortie et railler ses moindres « trahisons », il devient parfois difficile d’apprécier objectivement les qualités d’un film, surtout quand celui-ci est une adaptation ou une suite d’un matériau d’origine sacré.
Indiana Jones et le Royaume du Crâne de Cristal fait l’objet d’un consensus le qualifiant au mieux de grosse déception et au pire, d’échec artistique. Aussi, il semble juste de remettre en avant certains aspects du scénario et de la mise en scène qui prouvent que le film ne constitue pas pour autant un ratage, les intentions de la production étant parfaitement cohérentes et louables.

Une valse à quatre temps
Sortis en 1981, 1985 et 1989, les trois précédents films constituaient une trilogie cohérente, quand bien même les trois films racontaient des histoires indépendantes. Car le personnage évoluait, notamment dans le dernier épisode, qui faisait la part belle a la relation entre Indiana Jones et son paternel. Quant au dernier plan crépusculaire de La Derniere Croisade, il indiquait assez clairement la conclusion de la série.
Ainsi, en 1992, c’est à la télévision, par le biais de la série Les Aventures du Jeune Indiana Jones, que George Lucas décidait de faire perdurer le personnage. Chaque épisode plaçait le jeune Indy dans le contexte d’un évènement historique précis, lui permettant de rencontrer des personnages emblématiques du début du XXème siècle (Lawrence D’Arabie, Picasso, Sigmund Freud, Thomas Edison,…). Un concept pas si éloigné de Forrest Gump en somme !
Cette contextualisation historique sera reprise de manière appuyée dans Le Royaume du Crâne de Cristal comme nous le verrons plus tard, où une réplique fera même référence à l’épisode ou le jeune Indy rencontrait Pancho Villa.
Car malgré sa sortie tardive, l’idée d’un quatrième film germa assez tôt, le premier scénario signé Jeb Stuart (scénariste du Fugitif alors chaudement recommandé à Spielberg par l’ex-Han Solo) datant de 1993.
Intitulé Indiana Jones and the Saucermen from Mars, ce premier jet contenait déjà un certain nombre d’éléments aujourd’hui présents à l’écran, comme les fourmis, le mariage et… le coup du frigidaire (rien de forcément déterminant pour l’intrigue donc) ! L’action se situait en 1949 et opposait Indy à d’anciens nazis, un gout de redite qui n’emballa pas Spielberg…
Après des années de faux départs (Jeffrey Boam, Frank Darabont et même Night Shyamalan auront participé de près ou de loin aux différentes moutures de l’histoire), c’est finalement David Koepp (déjà auteur de La Guerre des Mondes et Le Monde Perdu pour le compte de Steven Spielberg) qui accouchera fin 2006 de l’ultime jet du scénario, patchwork avoué et assumé des différentes versions rejetées.
Restait à trouver le McGuffin qui saurait mettre tout le monde d’accord, et comme d’habitude, c’est George Lucas qui imposa son choix avec les fameux crânes de cristal retrouvés dans des temples aztèques et prétendument sculptés par des extra-terrestres…

Indy go !
Pour la première fois dans la série, la scène d’ouverture est liée à l’intrigue. Probablement
conscient que deux heures de métrage seront tout juste suffisantes pour rétablir la connexion avec le public, Spielberg et Koepp ne perdent pas une seconde pour redéfinir l’image de cet Indiana Jones quelque peu vieilli mais toujours fringant, mais à des lieues du personnage que l’on avait laissé galoper vers le couchant en 1989. Car après une si longue absence, il devint nécessaire d’adapter l’histoire à l’âge de son héros vieillissant. Les événements des premiers films films se déroulant entre 1937 et 1943, il fut alors judicieusement décidé de situer l’action du nouvel épisode dans les années 50. Exit les allemands – place aux russes, avec en toile de fond la guerre froide et la chasse aux sorcières du sénateur McCarthy aux États-Unis, un contexte se situant dans la parfaite continuité conceptuelle des Aventures du jeune Indy.

Dans le premier plan du film, un chien de prairie se réfugie dans son terrier à l’approche d’un bolide emportant à son bord une bande de jeunes, écoutant le Hound Dog d’Elvis Presley à fond les watts. Il s’agit évidemment d’un clin d’œil à American Graffiti, Spielberg et Lucas s’envoyant souvent des private jokes par films interposés (le caméo de Yoda dans E.T, les E.T. dans la scène du sénat dans La Menace Fantôme,…).
Le véhicule et la musique contrastent immédiatement avec l’ambiance des films précédents mais indiquent clairement le changement de décennie.
Les quinze minutes qui suivent sont un catalogue de symboles liés aux années 50 : la zone 51, les Russes et donc, la Guerre Froide.
Le prologue introduit rapidement Indiana Jones, par le biais de son chapeau et son ombre, affichant la pleine conscience du statut iconique du personnage pour le public. Cinq lignes de dialogue plus tard (souvenons-nous que Koepp et Spielberg ont beaucoup à faire en deux heures), il est déjà établi que Indy et son nouveau compagnon d’aventures, Mac (Ray Winstone), ont déjà tous deux participé à de nombreuses missions pour le compte du gouvernement américain durant la Seconde Guerre Mondiale. Il est également très vite fait référence à l’implication d’Indy dans la découverte du vaisseau spatial qui se serait écrasé à Roswell dix ans plus tôt. Habile manière de montrer que l’aventurier n’avait pas chômé depuis la fin de la trilogie originelle, mais que le temps écoulé depuis est bel et bien à prendre en compte (contrairement à la saga James Bond qui semble faire fi du passé à chaque nouvel itération)

Once upon a time in America
La suite du prologue cumule les références culturelles et historiques, faisant d’Indy un figurant de luxe dans la Grande Histoire, sans jamais lui permettre d’interférer de manière décisive comme Zemeckis a pu le faire dans Forrest Gump.
Alors qu’il tente d’échapper aux soldats russes qui l’avaient kidnappé, Indy se retrouve malgré lui à participer au test d’un moteur à réaction, alors en cours de développement. Continuant sa fuite à pied dans le désert du Nevada, il arrive a Doomstown, petite ville résidentielle typique des banlieues de la classe moyenne américaine… qui s’avère en fait être un champ de tir pour des essais nucléaires. Cette ville factice est une caricature de l’American Way of Life des années 50, une époque où le consumérisme de masse connaissait son premier essor.
Lorsqu’ Indy, l’air effaré, explore cette ville fantôme peuplée de mannequins à la mine rayonnante et au sourire béat, il nous apparait comme en surimpression dans chaque plan. Son éternelle tenue kaki le détache et l’exclut de ce monde aux couleurs vives. Pour un archéologue par définition porté sur la connaissance du passé, il semble que le présent, ne s’inquiétant bien souvent que de son avenir, ait rendu Indiana Jones obsolète.
La séquence enchaîne des plans « dérangeants » mais néanmoins satiriques dans leur manière de présenter l’idéal de vie alors en vogue : maisons de banlieue interchangeables, pelouses fraîchement tondues, et toute la famille confortablement installée dans le canapé pour s’abreuver des images délivrées par la petite lucarne. (NDR : damned ! Mais rien n’a donc change en 60 ans !)
Retentit alors une sirène annonçant l’imminence d’une déflagration nucléaire et Indy ne
trouve pas meilleur endroit pour se réfugier que le frigo familial, dont la robustesse garantira sa protection lors de l’explosion.
Cette scène, difficile à avaler lors d’un premier visionnage, se justifie par le fait qu’elle ne vise qu’à ironiser sur ce que pouvait représenter cet appareil ménager. D’ailleurs, il ne peut nous échapper que ce frigidaire était bien rempli, Indy devant déblayer de nombreux produits consommables avant de pouvoir y prendre place. (Il faut encore noter l’ironie latente de la scène si on considère le niveau de détails des aménagements de cette ville destinée à être détruite) Ce frigo symbolise à la fois le confort moderne mais aussi la surabondance d’une époque prospère à laquelle Indy ne s’est pas conformé. C’est pourtant dans ce garde-manger indestructible qu’il trouve son salut. La péripétie à l’écran peut donc s’apprécier sous cet angle, même si elle a fait grincer des dents pas mal de spectateurs, au point que l’expression « nuke the fridge » (« atomiser le frigo ») a fait son apparition sur le net pour décrire un événement abracadabrantesque dans un film.

« Sa place est dans un musée »
Après avoir été interrogé l’armée et la CIA, Indy se voit soupçonné de sympathies communistes, ce qui causera son renvoi de son poste de professeur/archéologue à l’université.
En vingt minutes de métrage, le légendaire aventurier a été mis à mal : déraciné, rejeté par son pays et perdu dans un monde qui ne lui a guère laissé de place. De plus, son père et son ami Marcus ayant disparu, c’est seul qu’il doit affronter cette passe difficile.
Son avenir ne se présente pas sous les meilleurs auspices et son glorieux passé n’est plus non plus. Mais les héros ne demeurant jamais longtemps sans ressource, Indy va découvrir une nouvelle raison de vivre lorsqu’il croisera à nouveau le chemin de celle qui aura le plus compté dans sa vie: Marion Ravenwood. Une surprise n’arrivant jamais seule, celle-ci lui apprendra qu’ils ont eu un fils ensemble.
Steven Spielberg malmène Indy et lui révèle la désuétude dans laquelle il est tombé. Mais à mesure que le héros déchu tentera de prouver qu’il en a encore en caisse, il regagnera également par la même occasion son prestige et sa foi en lui-même.

Mars Attacks
On notera que la renaissance (donc, le futur) d’Indiana Jones va de paire avec la provenance extra-terrestre du Crâne de Cristal. Car si Indy pourchassait jusqu’ici des trésors archéologiques liées à des croyances mystiques et/ou religieuses passées (l’Arche, le Graal, et les pierres de Sankara itou), l’origine des crânes, même si ceux-ci ont pu avoir occupé le sol terrestre depuis des siècles, les situe à un niveau différent des autres reliques. Le pouvoir des crânes et l’apparition de la soucoupe (à la forme circulaire policée fidèle aux archétypes des 50’s) constituent une révélation tout aussi ébouriffante que le pouvoir divin libéré de l’Arche ou le templier pluri-centenaire de l’Ordre du Graal. Une partie des fans reprocha pourtant à ce nouvel opus le choix d’un McGuffin extra-terrestre, jugeant la chose « impossible ». Or, comme nous l’avons vu précédemment, la présence de Martiens est tout à fait cohérente dans le contexte de la décennie durant laquelle se situe le film (Mars étant la planète rouge, elle alimentait les métaphores anti-communistes de la littérature et du cinéma américain de l’époque), mais questionner leur crédibilité est affaire de subjectivité, tant on pourrait tout aussi bien remettre en cause la plausibilité des manifestations divines auxquelles Indy a déjà assisté. À noter que John Williams établit d’ailleurs un lien entre la mystique religieuse de l’Arche et l’ésotérisme des crânes en associant aux deux artefacts des thèmes musicaux symétriquement opposés; il utilise les mêmes notes, mais de façon ascendante dans un cas et descendante dans l’autre.
La nature extra-terrestre de la révélation finale assoit définitivement Indy dans son rôle de héros iconique ; il a sauvé le monde (littéralement) et a assisté à un événement questionnant la connaissance moderne du monde. Après avoir été témoin de l’existence de Dieu, Indy est cette fois témoin de la manifestation d’une forme de vie différente de la nôtre, au-dessus de nous et insensible au conflit Est-Ouest de la guerre froide. Cette notion d’entité supérieure est un thème classique de la science-fiction que l’on retrouve notamment dans Le Jour où la Terre s’arrêta (Robert Wise , 1951) et même dans Abyss (James Cameron, 1989) qui citait déjà le film de Wise. L’envol de la soucoupe et la remise en perspective de tout ce qui a été accompli par l’espèce humaine jusqu’ici (et donc, l’archéologie) permet à Indy de s’élever, au propre comme au figuré, et le plan le montre observant l’évènement depuis un endroit haut perché. Cette vision laisse à penser que son champ d’exploration, ou de réflexion tout du moins, ne se limitera plus à la connaissance du monde tel que nous le connaissons, mais le forcera à reconsidérer notre place dans l’univers. Cet élargissement de la conscience permet à Indiana Jones d’atteindre un niveau transcendantal et de le consacrer définitivement comme le héros mythique et légendaire qu’il a toujours tendu à être.

The next generation
Ce quatrième épisode reflète bien l’état d’esprit de Steven Spielberg et d’Harrison Ford, celui de vétérans reprenant du service pour un dernier baroud d’honneur, en souvenir d’une époque révolue. Le film, tout comme son personnage, ne cherche pas à se voiler la face quant au temps qui a passé. Le personnage et ses créateurs ont vieilli, et s’interrogent sur leur place dans un nouveau paysage historique / cinématographique, regardant une dernière fois en arrière, pour se souvenir de leur glorieuse jeunesse, tout en songeant à assurer la relève, par le biais du personnage du fils, Mutt Williams, incarné par un Shia LaBoeuf, à la carrière peut-être prématurément enterrée depuis la fin de l’année 2013…
L’épilogue du film joue sur ce concept de passage de témoin, lorsqu’un courant d’air opportun envoie rouler le fameux fedora aux pieds de Mutt. Alors que ce dernier s’apprête à le poser sur tête, Henry Jones Jr, alias Indiana Jones, se réapproprie son bien: « je suis toujours là » semble nous signifier l’increvable sexagénaire.

Aujourd’hui, les critiques autour d’ Indiana Jones et le Crâne de Cristal semblent s’être tassées, même si il restera toujours un ajout tardif et conceptuellement différent de la saga originale. Car même si il tente à tout prix de ressembler à un film réalisé par le Spielberg des années 80, ce quatrième volet est presque à considérer comme un exercice de style. Retrouver l’esprit et le style de l’époque était un pari risqué et peut-être perdu d’avance, et Steven Spielberg n’avait pas caché que pour la première fois de sa carrière, il n’avait fait le film que pour faire plaisir aux fans. Dans les limites de ce contexte, on peut dire que le résultat ne démérite pas.
On pourra toujours évoquer les faiblesses objectives sur la forme, dont l’interprétation d’une Karen Allen sur le retour complètement à côté de la plaque, semblant ravie d’être de la partie mais oubliant totalement de jouer la comédie. Peut-être plus fondamentalement dommageable est la manière dont le personnage de John Hurt est traité. Apparaissant en milieu de film dans un état second permanent, il peine à dégager moindre sympathie, alors qu’il s’agissait à la base d’un des pivots de l’intrigue.
À l’heure où la possibilité d’un cinquième épisode sous le giron de Disney se précise, on peut s’interroger sur ce que cela apportera au personnage, l’heure d’une retraite bien méritée ayant peut-être bel et bien sonnée pour l’aventurier au fouet. À moins que comme le suggère la rumeur, la saga ne subisse un reboot avec un autre acteur dans le rôle principal, suivant le modèle de la série des James Bond ? Après tout, n’était-ce pas dans cet optique que Lucas et Spielberg envisageaient leur saga lorsqu’ils évoquèrent le concept pour la première fois sur une plage de Tahiti après le succès de Star Wars en 1977 ?

@ Jérôme Muslewski

Crédits photos : Paramount Pictures France

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