Jean XXIII et Jean-Paul II canonisés par le pape François

Publié le 25 avril 2014 par Sylvainrakotoarison

Aux grands saints, l’Église reconnaissante (pour paraphraser le frontispice du Panthéon à Paris).

Il se passera dans la matinée du dimanche 27 avril 2014 au Vatican un événement tout à fait exceptionnel : l’Église catholique procédera à la canonisation de deux de ses papes, très récents, Jean XXIII et Jean-Paul II, en présence probablement de deux papes vivants, le pape François et le pape émérite Benoît XVI qui a démissionné (renoncé) le 28 février 2013. La célébration sera retransmise en direct notamment sur France 2.

C’est lors du consistoire du 30 septembre 2013 que la date a été fixée, le deuxième dimanche de Pâques, comme à la mort de Jean-Paul II, et le jour du 75e anniversaire du cardinal Stanislaw Dziwisz, archevêque de Cracovie depuis le 3 juin, 2005, qui fut le secrétaire particulier de Jean-Paul II au Vatican pendant tout son pontificat.

Canonisation

On pourra toujours disserter sur l’intérêt d’une canonisation dans une Église qui considère chaque être humain, même le plus modeste, comme un trésor précieux du monde, égal en dignité. Il est étonnant d’ailleurs que ceux qui en parlent le plus souvent sont en général des personnes qui, loin de se revendiquer croyants, sont au contraire plutôt opposées au christianisme pour des raisons très diverses. Pourtant, ces histoires de canonisation ne regardent que ceux qui reconnaissent l’autorité du pape. Les autres ne devraient pas avoir d’avis sur la question parce que cela ne les regarde pas, cela ne regarde qu’une organisation interne même si elle a vocation à l’universalité.

Pour rappel, on ne canonise que des personnes déjà béatifiées. Et pour être béatifié, il faut avoir commis un miracle. Pour être canonisé, il faut avoir commis également un second miracle, sauf en cas de procédure simplifiée, ce qui a été le cas pour Jean XXIII. En général, le miracle correspond à une guérison inexpliquée d’une personne qui avait prié la personne à béatifier ou à canoniser …après la mort de celle-ci (le 25 mai 1966 pour Jean XXIII, les 2 juin 2005 et 1er mai 2011 pour Jean-Paul II).


On pourra donc être surpris des motivations officielles alors que si ces deux papes sont canonisés, c’est avant tout pour leur action de leur vivant, sous leur pontificat. Aux funérailles de Jean-Paul II le 8 avril 2005, le peuple de Rome, ému, avait scandé ces mots très clairs : "Santo subito !" ("Saint immédiatement !"), alors que le pape défunt n’avait encore commis aucun des miracles qui lui vaut maintenant sa canonisation.

Mais qu’importe ! Le droit canon est très formel alors que l’idée est d’honorer deux personnalités très riches de l’Église catholique, et le (bon) pape François, assez habile politique, a eu l’intelligence de les canoniser en même temps.

Pour Jean-Paul II, c’est sans doute un record de rapidité puisqu’il est mort seulement il y a neuf ans, si l’on met à part la canonisation très rapide de saint Antoine de Padoue, mort à 36 ans le 13 juin 1231 et canonisé le 30 mai 1232. Pour simple élément de comparaison, Jeanne d’Arc, morte à 19 ans le 30 mai 1431, a été béatifiée le 18 avril 1909 et canonisée le 16 mai 1920, soit près d’un demi-millénaire après sa tragique disparition. Et Jeanne d’Arc, elle est devenue en même temps une sainte républicaine en France, avec la loi du 10 juillet 1920 (à peine deux mois après sa canonisation) qui la célèbre chaque année au cours d’une fête nationale.

Panthéonisation

Après tout, la religiosité de la laïcité républicaine en France fabrique tout autant que l’Église catholique ses saints laïcs, grâce au Panthéon, et selon l’annonce faite par le Président François Hollande au Mont Valérien le 21 février 2014, quatre nouvelles personnalités de la Résistance seront honorées et introduites au Panthéon le 27 mai 2015 : Germaine Tillion, Jean Zay, Pierre Brossolette et Geneviève Anthonioz-De Gaulle.

Cette marque de reconnaissance de la République française a, elle aussi, une vocation universelle : « Le Panthéon, c’est le lieu où la patrie affirme sa reconnaissance à des hommes, à des femmes (…), qui ont, par leur courage ou par leur génie, permis à la France d’être la France, pour la France et au-delà de la France. C’est notre génie national que de pouvoir parler bien au-delà des frontières, à tous les peuples qui se battent encore aujourd’hui pour affirmer leur liberté et leur aspiration à être traités comme des peuples dignes de l’être. » et d’ajouter, après avoir indiqué les quatre noms : « Je sais bien que d’autres figures auraient pu, dans ce même esprit, cette même évocation, entrer également dans ce grand monument de la mémoire nationale. Des femmes ou des hommes célèbres ou des anonymes qui, par leurs engagements, leur courage, leurs sacrifices, leurs idées, ont sauvé l’honneur du pays. Pourquoi ce choix ? ».


Revenons donc aux deux futurs saints de dimanche prochain. Leur canonisation sera l’occasion de se pencher sur leur personnalité et sur leur pontificat qui fut, chacun, une étape clef de l’histoire de l’Église catholique.

Le pape Jean XXIII

Né le 25 novembre 1881 en Lombardie dans un milieu modeste, marqué par le catholicisme social, Angelo Roncalli fut ordonné prêtre le 10 août 1904, consacré évêque le 19 mars 1925 et créé cardinal le 12 janvier 1953 par Pie XII. Diplomate francophile plein d’humour, il avait été nonce apostolique à Paris juste après la guerre, entre 1944 et 1953. Il fut ensuite nommé patriarche de Venise à partir du 15 janvier 1953, jusqu’à son élection comme pape à 76 ans le 28 octobre 1958 pour succéder à Pie XII. À Venise, il empruntait les transports en commun, comme l’actuel pape François, et ne voulait mettre aucune distance avec ses fidèles.

La succession de Pie XII, après dix-neuf années de pontificat et une centralisation importante du Vatican, amena les cardinaux du conclave à désigner un pape plutôt âgé, de transition (comme du reste pour la succession de Jean-Paul II). Le nom choisi par Angelo Roncalli, Jean XXIII, faisait référence à son lointain prédécesseur, Jean XXII, lui aussi élu assez âgé, à 72 ans, le 7 août 1316, considéré comme un pape de transition, rendu célèbre dans "Les Rois maudits" de Maurice Druon, et qui finalement dirigea l’Église pendant dix-huit années (jusqu’à sa mort le 4 décembre 1334).

Lui aussi considéré comme pape de transition, Jean XXIII a marqué son pontificat par le Concile Vatican II qu’il convoqua le 25 janvier 1959, soit moins de trois mois après son élection, et qu’il ouvrit le 11 octobre 1962. Malade, il a eu le temps de terminer sa huitième encyclique "Pacem in Terris" ("Paix sur Terre") publiée le 11 avril 1963, quelques semaines avant sa mort, où il encouragea la démocratie, la solidarité, la liberté et la justice.

Parmi ses autres encycliques, il y a eu "Sacerdotii Nostri Primordia" le 31 juillet 1959 où il rendait hommage à saint Jean-Marie Vianney, le curé d’Ars, et "Mater et Magistra" le 16 mai 1961, où il rendait hommage à son prédécesseur Léon XIII dont il se sentait particulièrement proche, en commémorant sa fameuse encyclique "Rerum Novarum" publiée le 15 mai 1891, hommage rendu également par son successeur Jean-Paul II avec l’encyclique "Centesimus Annus" le 1er mai 1991.

Jean XXIII est mort à 81 ans le 3 juin 1963, un lundi de Pentecôte, et fut considéré comme un pape plein de bonté et d’humanité, jovial et ouvert. Il a mis en route un processus qu’il pressentait important sans en avoir maîtrisé les conclusions (Vatican II). Son successeur Jean-Paul II l’a béatifié le 3 septembre 2000 à l’occasion du Jubilé de l’an 2000.

Le pape Jean-Paul II

Né le 18 mai 1920 près de Cracovie, Karol Wojtyla fut ordonné prêtre le 1er novembre 1946, consacré évêque le 28 juin 1967, nommé archevêque de Cracovie le 13 janvier 1964 et créé cardinal le 28 juin 1967 par Paul VI. À la suite de la disparition soudaine du pape Jean-Paul Ier après un mois de pontificat, il fut élu pape à 58 ans le 16 octobre 1978.

Pape jeune, sportif (ski, natation, etc.), premier pape polonais, Jean-Paul II fut aussi l’un des papes les plus longs de l’histoire chrétienne, avec un pontificat de plus de vingt-six ans, troisième plus long après les pontificats de saint Pierre (le premier pape) et de Pie IX (1846-1878). Cette double image qui, au-delà du charisme médiatique, a marqué le monde : de pape jeune et en bonne santé, présent partout dans le monde, il était devenu l’homme très malade à partir du milieu des années 1990, âgé et diminué par la souffrance, mais il n’avait pas voulu renoncer à sa charge, la considérant comme une mission et un devoir (Benoît XVI, au contraire, a inauguré une autre façon de voir cette charge, laissant à ses successeurs la possibilité, comme lui, de renoncer pour des raisons de santé).

Le long pontificat de Jean-Paul II lui a permis de réaliser beaucoup de choses. Faire progresser l’œcuménisme et les relations interreligieuses, par exemple, entre catholiques, protestants, orthodoxes, juifs, musulmans, bouddhistes… À son initiative, près de deux cents représentants religieux se sont rencontrés une première fois à Assise le 27 octobre 1986 (les rencontres d’Assise furent poursuivies le 10 janvier 1993, le 24 janvier 2002 et le 27 octobre 2011). Il a aussi béatifié et canonisé beaucoup de personnes, plus de mille bienheureux et près de cinq cents saints, dans le but de démontrer que tous les chrétiens étaient appelés à devenir des saints, et pour rendre la sainteté universelle, quels que soient l’origine, la nationalité, le mode de vie, etc.

Il a fait de très nombreux voyages pour visiter tous les fidèles, il a rencontré près de cinq cent millions de personnes dans cent trente pays, notamment lors des Journées mondiales de la jeunesse qu’il a initiées (dont il devient, le 13 avril 2014, le saint patron), au cours de cent quatre voyages hors d’Italie, visitant plus de six cents villes et parcourant plus d’un million de kilomètres.

Loin d’être un pape de repli identitaire, Jean-Paul II fut plutôt un pape ouvert, ouvert aux autres, au monde, à la modernité. C’était tout le sens de sa première homélie prononcée le 22 octobre 1978 : « N’ayez pas peur ! Ouvrez, ouvrez toutes grandes les portes au Christ. À sa puissance salvatrice, ouvrez les frontières des États, des systèmes politiques et économiques, les immenses domaines de la culture, de la civilisation et du développement. N’ayez pas peur ! ». Un pape qui n’avait pas peur non plus de pardonner, même à Mehmet Ali Agca, l’auteur de la tentative d’assassinat contre lui, le 13 mai 1981 à Rome.

Défenseur du Concile Vatican II, il demanda sans cesse, dans tous les pays du monde, l’abolition de la peine de mort et lutta contre le capitalisme autant que le communisme. Il prôna toutes les libertés et en particulier celle de pratiquer sa propre religion et montra du doigt les inégalités sans cesse croissantes entre riches et pauvres. Dans l’une de ses premières encycliques, "Laborem Exercens" du 14 septembre 1981, il a réaffirmé la supériorité du travail sur le capital et la légitimité des syndicats, en apportant ainsi un soutien très visible à Solidarnosc. Il prôna aussi la paix partout dans le monde (y compris en Irak).

Jean-Paul II fut principalement le symbole de la lutte contre l’impérialisme soviétique, redonnant espoir aux Polonais qui se sont soulevés à Gdansk quelques mois après son élection, sous le leadership de Lech Walesa. Même s’il n’y a pas contribué directement, il fut l’une des causes morales de la chute du mur de Berlin le 9 novembre 1989 et de la dislocation de l’Union Soviétique le 25 décembre 1991.

Parmi les documents majeurs de son pontificat, Jean-Paul II a approuvé le 11 octobre 1992 le nouveau Catéchisme de l’Église catholique, en partie rédigé par le cardinal autrichien Christroph Schönborn sous la direction du cardinal Josef Ratzinger (le futur Benoît XVI), et a rédigé quatorze encycliques dont certaines sont très importantes, comme "Centesimus Annus" le 1er mai 1991 en complément de "Rerum Novarum" de Léon XIII, et aussi "Fides et Ratio", le 14 septembre 1998, sur les rapports entre la foi et la raison, qui ne sont pas incompatibles.

Sur le plan scientifique, il avait reconnu le 31octobre 1992 l’erreur de la condamnation de Galilée en 1633 et estimé le 22 octobre 1996 que la théorie de l’Évolution était « plus qu’une hypothèse », reprenant un mot que son prédécesseur Pie XII avait utilisé dans son encyclique "Humani Generis" promulguée le 15 août 1950 : « Il nous reste à dire un mot des sciences qu’on dit positives, mais qui sont plus ou moins connexes avec les vérités de la foi chrétienne. Nombreux sont ceux qui demandent avec insistance que la religion catholique tienne le plus grand compte de ces disciplines. Et cela est assurément louable lorsqu’il s’agit de faits réellement démontrés ; mais cela ne doit pas être accepté qu’avec précaution, dés qu’il s’agit bien plutôt d’hypothèses qui, même si elles trouvent quelque appui dans la science humaine, touchent à la doctrine contenue dans la Sainte Écriture et la Tradition. ».

Jean-Paul II est mort à 84 ans le 2 avril 2005, quelques heures avant le deuxième dimanche de Pâques, après avoir souffert de longues semaines. Parmi ses combats, il voulait aussi montrer la dignité des malades en fin de vie, que chaque être était digne, quel que soit l’état de santé. Il fut béatifié le 1er mai 2011 par son successeur Benoît XVI, également le deuxième dimanche de Pâques.

Deux figures exemplaires du XXe siècle

Le XXe siècle fut l’un des siècles les plus noirs de l’histoire de l'humanité, ayant connu les horreurs cumulées du nazisme et du communisme. Pourtant, il fut aussi un siècle particulièrement éclairé pour les sciences et les arts. Par cette cérémonie de canonisation du 27 avril 2014, l’Église catholique présente ainsi aux peuples du monde deux figures exemplaires, parmi tant d’autres, de vies consacrées aux autres.


Je me réjouis que la France, laïque, y soit représentée avec la présence d’une délégation parlementaire et du Premier Ministre Manuel Valls, ancien maire de la seule ville française qui a construit une cathédrale au XXe siècle. La France fut l’un des pays les plus visités de Jean-Paul II et Jean XXIII fut le nonce apostolique à Paris pendant presque une décennie ; il semblait donc tout à fait naturel que la France, en tant qu’État comme en tant que nation, honore deux chefs d’un État voisin et ami au même titre que les invités à un mariage participent à la cérémonie religieuse même s’ils ne sont pas croyants dans la religion des mariés.

Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (25 avril 2014)
http://www.rakotoarison.eu

Pour aller plus loin :
Le pape François.
Jean-Paul II et le pardon.
Benoît XVI et l’infaillibilité.
La renonciation de Benoît XVI.
Le Concile Vatican II.
Pourquoi m’as-tu abandonné ?


 
http://www.agoravox.fr/actualites/religions/article/jean-xxiii-et-jean-paul-ii-151147