Pour gagner son pain quotidien, que ne faut-il pas faire parfois!

Publié le 28 avril 2014 par Dubruel

LA CONFESSION DE THÉODULE SABOT (d'après Maupassant)

À Martinville, Théodule Sabot, le menuisier

Représentait le parti avancé.

En voilà un qui n’aimait pas les curés.

Ce gaillard, il en dévorait !

Quand il apprit que Monseigneur

Favorisait le menuisier de la grand ’ville

Pour entreprendre la rénovation du chœur

De l’église.de Martinville,

Au prétexte que Sabot n’avait jamais

Exécuté pareil chantier,

Théodule se rendit au presbytère :

-« Je viens pour l’ouvrage à faire. »

Le curé, surpris, lui répondit :

« Comment oses-tu , toi, le seul impie

De ma paroisse ?…Ce serait un scandale.

L’évêque me réprimanderait,

…Peut-être même qu’il me déplacerait.

Je comprends. Ça te fait mal

De voir la réfection de Saint-Paulin

Confiée au menuisier du bourg voisin

Mais je ne peux pas faire autrement…

À moins que… mais…

Non. Tu n’y consentirais pas…Pourtant,

Sans cela, jamais… »

-« Dites toujours votre idée.

P’t-être qu’on s’entendra. »

Le curé déclara :

-« Donne-moi un gage de bonne volonté :

Dimanche, tu devras communier, publiquement.»

-« Et les bancs ? J’ les ferai les bancs ? »

-« Oui, si je suis sûr de ta conversion. »

-« On pourrait pas la r’mettre, c’te communion ? »

-« Non. Tu viendras te confesser demain. »

Le curé accueillit Sabot le lendemain :

-« Eh bien ! Te voilà !

Entre, on ne te mangera pas !

Récite le Confiteor. » -« Le quoi ? »

-« Bon. Répète après moi. »

Le curé articula la prière sacrée

Et Sabot la répétait de façon empêtrée.

-« Confesse-toi maintenant. »

Le menuisier ne savait comment.

-« Nous allons prendre les commandements.

À mes questions, tu répondras :

Un seul Dieu tu adoreras

Et aimeras parfaitement.

As-tu aimé quelqu’un autant que Dieu ? »

-« Oh non, m’sieu l’curé. J’aime l’ bon Dieu.

Dire que j’aime point mes éfants, non, j’ peux pas.

Dire que s’il fallait choisir entre eux

Et l’bon Dieu,

Pour ça, je n’ dis pas. »

-« C’est plus que tout qu’il te faut L’adorer ! »

-« J’ferai mon possible, m’sieu l’ curé. »

L’abbé reprit : -« Dieu en vain tu ne jureras

As-tu prononcé quelque juron parfois ? »

-« Oh ! ça non ! Je n’ jure pas.

Quéquefois,

J’ dis bin : ‘‘sacré nom de Dieu’’ !

Mais je n’ jure pas, sacrebleu ! »

Le prêtre s’écria :

-« C’est jurer cela !

Ne le fais plus. 

Je continue :

Les dimanches tu garderas

En servant Dieu dévotement.

Que fais-tu le dimanche ? »

Sabot répondit avec embarras :

-« Bien souvent

J’ sers l’ bon Dieu

Et d’ mon mieux.

Mais parfois, j’ travaille l’ dimanche. »

Le curé, magnanime, l’interrompit :

-« Sûr que tu n’as pas failli.

Passons les commandements suivants.

Je reprends :

Le bien d’autrui tu ne prendras.

Le bien d’autrui,

L’as-tu détourné déjà ? »

Sabot s’indigna : -« Ah ! Mais non. J’ suis

Un honnête homme. Ça j’ l’ jure.

Dire que j’ai pas

Compté sur une facture

quéqu’heure de plus

Pour ça, je n’ dis pas.

Dire que j’y mets pas

Quéques centimes de plus,

Pour ça, je n’ dis pas.

Mais pour voler, non.

Ah ! Mais ça, non. »

-« Détourner un centime constitue

Un vol. Ne le fais plus.

Le curé dit :

Faux témoignage ne diras

Ni aucunement mentiras.

As-tu menti ? »

-« Non.

Pour ça, non.

J’ suis pas menteux. C’est ma qualité.

Dire que j’ai point raconté

Quéques blagues, pour ça,

Je n’ dis pas !

Dire que j’ai point

Fait accroire c’ qui n’était point,

Quand ce s’rait

D’ mon intérêt,

Pour ça,

Je n’ dis pas.

Mais pour menteux,

Non. Je n’ suis pas menteux. »

Le prêtre lui conseilla simplement :

-« Observe-toi dorénavant. 

L’œuvre de chair ne désireras. En ton âme

Et conscience, as-tu désiré

Une autre femme

Que la tienne ? » -« Oh, non !,

M’sieu l’curé.

Ma femme, la tromper ?

Pour ça, non.

Dire que je n’ vas jamais badiner…

Pour ça, je n’ dis pas. »

Le curé n’insista pas

Et lui donna l’absolution.

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Sabot fit un travail excellent.

Dorénavant,

À la table de communion,

On peut le voir, s’agenouillant

Plusieurs fois par an.