"Il n'y a aucune différence entre le Temps, Quatrième Dimension, et l'une quelconque des trois dimensions de l'Espace, sinon que notre conscience se meut avec elle" (H.G. Wells).

Publié le 29 avril 2014 par Christophe
J'étais adolescent quand j'ai lu "la machine à explorer le temps" (j'avais, peu avant, dévoré "la guerre des mondes") et, même si je ne suis pas, comme je l'ai déjà expliqué sur ce blog, un connaisseur de SF, ce roman m'a marqué. Lorsque j'ai cherché un titre à ce billet, c'est donc naturellement que cette référence m'est venue à l'esprit, et vous comprendrez bientôt pourquoi. Mais, avec "la parallèle Vertov", on est bien loin de l'univers de Wells, de sa tonalité, aussi. Frédéric Dlemeulle, auteur de ce roman disponible au Livre de Poche, est un garçon facétieux qui embarquent ses personnages, et les lecteurs avec, dans des aventures extraordinaires et pour le moins intrigantes... Et, même quand ça barde, l'ironie n'est jamais bien loin.

Au printemps 1910, deux journalistes, le français, Joseph Reboul, et un anglais, John Grierson, se rencontrent à Londres. Leurs journaux respectifs les ont envoyés dans la capitale de l'Empire Britannique afin de couvrir un événement pas ordinaire qui vient de se produire à l'Abbaye de Westminster.
Grierson est anglais, rien de surprenant à ce qu'on l'envoie sur les lieux. Mais, si on a choisi de "convoquer" Reboul, c'est parce que sa réputation le précède : on dit, à Paris et ailleurs, qu'il aurait servi de modèle à Gaston Leroux pour son personnage de Rouletabille... C'est un brin exagéré, estime-t-il, mais c'est sans doute parce qu'il se montre toujours très perspicace, qu'on a fait appel à lui...
Dans le lieu sacré, là où sont couronnés les reines et les rois d'Angleterre, le corps sans vie d'un bedeau a été découvert. Mort. Le visage marqué par une peur terrible. Et autour de lui, une scène de crime incompréhensible... Suffisant pour exciter la curiosité des deux hommes, et en particulier de Reboul, qui voudrait simplement comprendre...
Peu de temps après, les deux journalistes se retrouvent à Paris. Et de nouveaux éléments sont apparus. La victime de Westminster avait des frères, tous deux tués eux aussi dans des conditions mystérieuses, au même moment... Là, c'en est trop pour les deux reporters qui vont commencer une enquête approfondie qui les occupera longtemps et les mènera au coeur du continent africain.
En 1993, alors que l'URSS n'en finit plus de se disloquer, le commandant d'un sous-marin nucléaire basé en Nouvelle-Zemble, vend son bâtiment à un inconnu contre une somme rondelette... Les temps changent ! Et ce commandant entend profiter d'une liberté nouvelle à pleines dents, et les poches pleines.
De nos jours, Child (diminutif de Childebert) Kachoudas, un jeune homme qui vivote en faisant de petits boulots informatiques. Son oncle le contacte alors en lui faisant une drôle de demande. Aller consulter des films d'archives consacrés aux funérailles du roi Edouard VII. Child n'a pas vu son oncle depuis longtemps et il est du genre zélé, alors, il se rend à la BNF et demande tous les films disponibles...
Ne sachant pas vraiment ce qu'il cherche, Child se concentre, remarque quelques menues différences entre ces films qui montrent, finalement, à peu près tous la même chose... Mais rien de très probant jusqu'à... Jusqu'à ce qu'un visage dans la foule attire son regard... Il connaît cet homme, et pour cause, c'est son oncle en personne, Jose-Luis de Almeida... En chair et en os, sur des images vieilles de plus d'un siècle...
Le lien entre tout ça ? Eh bien... Non, en fait, oubliez tout ça, le seul événement qui vaille se passe en 117 de notre ère, année de la mort de l'empereur romain Trajan. Vous ne comprenez rien à ce que je raconte, n'est-ce pas ? Eh bien, vous êtes exactement dans la position du lecteur de "la parallèle Vertov"... Mais rassurez-vous, les pièces s'assembleront !
Et ce qui commence comme un thriller historique va devenir un étonnant roman de science-fiction, un voyage dans le temps, mais aussi dans l'Histoire. Une odyssée dans laquelle Child se retrouve entraîné bien malgré lui et qui ne va pas cesser de le surprendre... Mais pas seulement : l'angoisser et le terroriser...
Contrairement à certains avis croisés ici où là (je pense que je suis plus lecteur de thrillers quand eux sont des fans de SF), je suis tout de suite entré dans cette étrange histoire, cherchant les connexions, réfléchissant à ce que tout cela pouvait bien vouloir dire. On peut  trouver qu'on n'entre pas assez dans le vif du sujet, mais j'ai trouvé l'enquête de Reboul et Grierson tout à fait intéressante et menée tambour battant.
De la même façon, j'ai beaucoup apprécié ce côté thriller qui perdure tout au long de "la parallèle Vertov". Il y a très peu de temps morts et la manière dont le lecteur est plongé dans l'inconnu a fonctionné à merveille sur moi. Et oui, je reste un grand enfant, on me mène comme on veut par le bout du nez !
Difficile, sans trop vous en dire, de vous raconter ce qui m'a accroché dans ce roman. J'insiste sur ce mot, mais pour moi, c'est véritablement un thriller, en termes de rythmes, d'intrigues, de rebondissements... Les dangers sont nombreux, et l'absence de repères, pour les personnages, comme pour le lecteur, permet de soutenir la tension.
Je ne suis donc pas un spécialiste de SF, ni un scientifique. J'ai apprécié et appris pas mal de choses dans la préface de Gérard Klein, présente dans l'édition de poche (et qu'il vaut mieux lire, paradoxalement, après le roman), mais j'ai aussi lu ce roman comme le béotien que je suis, et c'est peut-être aussi pour cela qu'il m'a plu.
Lorsque Child et son oncle apparaissent, je n'ai pu m'empêcher de penser à Marty McFly et au Doc. C'est vous dire si je maîtrise les références (remarquez, avec Kachoudas, je suis gâté, je vois Child avec la tête d'Aznavour, puisque c'est le nom de son personnage dans "les fantômes du chapelier...)... Mais, la comparaison avec les héros de "Retour vers le futur", me semble pertinente, même si elle a un effet trompe-l'oeil.
Child est un jeune homme un peu paumé, sans doute doué, mais sans ambition et solitaire. Son oncle est une espèce de savant fou, vivant planqué, limite parano, probablement à juste titre, tant ses travaux peuvent sembler fous... Alors, oui, il y a un peu de Marty et Doc, dans Child et Jose-Luis. Un peu...
Reste la question centrale du temps. Là encore, je vais poser le problème comme le nigaud que je suis, laissant aux spécialistes les clés du débat posées par Gérard Klein dans sa préface. D'abord, le voyage dans le temps, pour un lecture qui aime les aventures, c'est quand même une invention géniale. Et ici, on est gâté, on bouge énormément.
La façon dont Delmeulle joue avec les époques visitées est aussi très intéressante. Sans tomber dans des clichés historiques faciles (non, on n'est pas dans "les Visiteurs", Okkkkkkay ?), l'auteur se sert parfaitement des différents contextes à la fois pour semer et entretenir le doute, mais aussi pour éprouver ses personnages, les mettre en danger...
Je ne vais évidemment pas vous raconter le dénouement, mais il tourne évidemment autour du temps, de cette hypothétique quatrième dimension, évoquée par Wells et d'autres, indomptable, sauf dans les romans et les films de SF... Et, quand on évoque le voyage dans le temps, arrive le fameux "paradoxe temporel"...
Vous vous doutez bien que "la parallèle Vertov" s'attaque à tout cela, qu'on discute de ces termes, de leur sens, de leur éventuelle réalité, du passage de la théorie à la pratique... Certes, tout cela y est. Mais, je comprends que ce roman puisse surprendre les aficionados de la SF, les puristes. Car, Delmeulle joue avec, comme il joue avec l'histoire et le thriller.
Gérard Klein, dans sa présentation, emploie le terme de parodie, je n'irais pas jusque-là, ça me paraît un peu fort. Mais il convient de lire "la parallèle Vertov" avec recul, car Delmeulle y manie allègrement ironie et second degré. Le final a un petit côté Agatha Christie, pas désagréable du tout, mais qui, évidemment, n'est pas forcément ce qu'on peut attendre d'un roman de SF stricto sensu.
Pour moi, peu importe, je ne vais pas bouder mon plaisir. C'est un peu alambiqué ? Oui, certainement, mais on est dans un roman qui parle de voyage dans le temps, c'est pas alambiqué, ça ? Un dénouement décevant ? Non, je ne trouve pas, il laisse même des pistes de réflexion et donne très envie de poursuivre l'aventure (ce qui sera bientôt fait avec la lecture des "manuscrits de Kinnereth", également disponible en poche).
"La parallèle Vertov" est un roman à attaquer sans a priori, tout simplement. D'accord, on sait qu'on aura du voyage dans le temps. Mais ensuite, il faut se laisser porter par l'imaginaire foisonnant de Delmeulle et jouer le jeu, tout simplement. Parce que vous avez en main un livre de pur divertissement, et pas un roman à thèse (quoi que...), ni une somme philosophique.
Pourtant, l'auteur pose tout de même quelques questions. J'ai évoqué le temps, mais on pourrait aussi parler de l'Histoire. Nos repères sur le passé sont dans les livres. Mais tout n'est pas exhaustif, et il y a souvent des vides, qu'on ne peut combler depuis notre époque. Là aussi, Delmeulle s'amuse de ces visions tronquées (tous les documents ne sont pas arrivées jusqu'à nous), des rencontres avec les anonymes du passé, des théories et de leur confrontation au réel, des modes de vie, qu'il vaut mieux, sans doute, lire que partager, parfois...
Même s'il ne s'agit pas d'un roman comique, la trame centrale est d'ailleurs bien plus dramatique que la tonalité évoquée dans ce billet le laisse entendre, l'humour est très présent, à la fois dans le comportement de Child et de Jose-Luis, qui, parfois, ont des faux airs de Pieds Nickelés, mais aussi justement dans les décalages occasionnés par les chocs d'époque et de culture.
Les nombreuses trouvailles qui entourent l'intrigue (dont la présence, en "guest star", de Marlène Dietrich en personne...), la façon de mener son intrigue en semant des indices ici et là, mais en dévoilant son jeu au compte-gouttes, tout cela contribue à faire de ce roman, qui est autant un roman d'aventure qu'un roman de SF (allez, parlons de Verne, après Wells...), un bonheur de lecture.
Vous l'aurez compris, "la parallèle Vertov" est un roman qu'il vaut peut-être mieux conseiller à des lecteurs que la SF intéresse mais qui n'en sont pas forcément de fins connaisseurs, qu'à des lecteurs habitués de romans où les débats scientifiques et technologiques font partie intégrante du récit. Un roman grand public, et moins pour spécialistes, pour faire bref.
Voilà un divertissement comme je les aime, original et rythmé, plein de surprises et de créativité, renouvelant, dans le fond comme dans la forme, un thème classique, peut-être déjà rebattu, même si, à l'échelle de la littérature, il reste assez récent. Un auteur sorti de nulle part (cf encore la préface de Gérard Klein, jamais deux sans trois), étranger au sérail, mais que je serai curieux de rencontrer du côté d'Epinal, sans doute pour discuter de tout ce que je viens de vous dire. Et plus encore de ce premier roman.