Tenter de comprendre la chine d’aujourd'hui et de demain…

Publié le 28 avril 2008 par Francois155

« Quand je fais de la surprise une règle, l’ennemi s’attend à une surprise ; je l’attaque alors selon la règle. Quand je fais de la règle une surprise, l’ennemi s’attend à une attaque selon la règle ; je l’attaque alors par surprise ».

Li Shimin (599-649) : prince de Tang et grand stratège qui devint empereur sous le nom de Taizhong et emploiera son règne à unifier la Chine.

Appréhender avec justesse la Chine est un défi : son histoire millénaire qui a façonné l’État qu’elle est devenue au rythme de révolutions dynastiques et/ou populaires ; son positionnement actuel sur l’échiquier mondial, en constante mutation avec des mouvements de pièces, timides ou hardis ; son rôle futur compte tenu de son développement et de son système politico-économique inédit, mélange apparemment improbable entre des pans capitalistes d’une extrême rudesse s’intégrant dans un carcan politique particulièrement rigide et dirigiste. Le tout à l’échelle d’un continent occupé par une population gigantesque.

Le récent psychodrame franco-chinois[i], les prochains JO, le jeu trouble de Pékin en Afrique, tous ces problèmes présents ne doivent pas nous faire perdre de vue le long terme et le poids énorme que jouera l’Empire du Milieu dans ce monde en devenir.

Comprendre la Chine est un défi que nous devons relever dès à présent pour ne pas nous retrouver démunis dans le futur, lorsque son influence se fera sentir avec plus de force encore. C’est un travail de longue haleine et qui ne trouvera pas sa réponse dans ce billet. En revanche, rien ne nous interdit de consulter les ressources disponibles pour entamer la réflexion.

Trois pistes sont à explorer pour entamer cette quête patiente : l’histoire, bien sûr, la stratégie chinoise, passée et actuelle, ainsi que les techniques et moyens militaires dont ce pays se dote aujourd’hui et qu’il cherche à acquérir pour demain afin de confirmer son rôle de superpuissance dans l’environnement multipolaire qu’il appelle de ses vœux.

L’histoire, dont l’étude est pourtant indispensable, n’est pas l’objet de ce site. Le lecteur trouvera ailleurs de nombreuses références pour parfaire sa connaissance sur ce point.

La stratégie militaire chinoise est riche de deux perles intemporelles, « L’art de la guerre » et « Les trente-six stratagèmes », qui restent encore aujourd’hui des références essentielles et renseignent l’Occidental sur la tournure d’esprit qui inspire les stratèges de ces contrées : mode indirect, ruse, position d’écoute et de veille, action par les côtés, contournement sont quelques caractéristiques parmi d’autres du raisonnement oriental. Pour ce qui est de l’approche contemporaine, un ouvrage précieux, œuvre de deux colonels de l’APL, Qiao Liang et Wang Xiangsui, nous apprend ce que seront peut-être les modes d’action de ce peer competitor qui s’ébroue et étend peu à peu son influence sur des régions et des secteurs clés du monde contemporain.

« La guerre hors limites », parue en 1999 (2003 pour la traduction française), fut conçue largement en réaction à la Guerre du Golfe de 1991, consécration apparente de la RMA et de la prédominance des doctrines militaires américaines. Prenant acte de la puissance des armes US, il veut néanmoins dépasser une approche strictement technique et militaire et propose comme postulat que les guerres futures seront omnidimensionelles, frappant toutes les vulnérabilités des États en n’employant pas que des moyens militaires : armes financières, médiatiques, attaques informatiques contre les réseaux ; autant de « guerres » menées hors des limites traditionnelles où le soldat n’aura plus le rôle prédominant dans la conduite des futures « batailles ». Fascinés par la Transformation chère aux stratèges américains des années 90, les auteurs ne font pas moins preuve d’une grande clairvoyance sur les menaces terroristes et non étatiques : Oussama Ben Laden, à l’époque seulement connu de quelques spécialistes, est abondamment cité et clairement désigné comme un grave péril futur.

Sur la forme, quoique parfois redondant et s’adressant visiblement à un public plus professionnel que profane, l’ouvrage se lit aisément, servi par un verbe clair et parfois coloré qui tranche avec les publications occidentales. Seul le chapitre consacré à la règle de la « section dorée » est demeuré parfaitement impénétrable à votre serviteur…

Sur le fond, les auteurs proposent huit principes pour se guider dans leur concept de guerre combinée hors limites : omnidirectionnalité – synchronie – objectifs limités – moyens illimités – déséquilibre – consommation minimale – coordination omnidimensionnelle – contrôle du processus entier.

Mais des idées doctrinales, même excellentes, resteront lettres mortes sans un soutien matériel adéquat. Or, dans ces domaines, loin des désespérantes pleurnicheries budgétaires hexagonales et européennes, force est de constater que la Chine avance et se dote, peu à peu, d’un outil cohérent, puissant et dont l’expansion doit nous interpeller. Pour faire un point sur le sujet, la consultation du dernier hors série de Raids (« De l’empire du Milieu à l’empire du large ? L’armée chinoise aujourd’hui ») est vivement recommandée : les différents matériels, armes et efforts industriels y sont présentés de manière exhaustive. S’inspirant des meilleures innovations russes comme occidentales, voire les copiant[ii] purement et simplement, l’APL opère sa mutation d’une armée de masse employant des moyens obsolètes à une armée de masse high-tech.

Voici donc un pays continent, immensément peuplé, avide de richesses de toutes natures, doté d’une direction politique inflexible qui n’est pas « affaiblie » par les contraintes démocratiques, pourvu d’un corpus doctrinal cohérent et prêt à consentir d’immenses efforts pour se donner les moyens de ces ambitions…

Si notre adversaire principal d’aujourd’hui est bel et bien irrégulier et non étatique, nous ne devons pas oublier qu’à moyen terme, des états puissants viendront eux aussi, mais selon d’autres méthodes et avec d’autres armes, nous disputer les places de choix que nous occupons (mais pour combien de temps encore ?) dans ce monde multipolaire et globalisé


[i] Cette « crise », et particulièrement sa gestion nébuleuse (pour rester poli) côté français, est un parfait exemple des effets pervers de « l’immédia(t)cratie », ou lorsque l’opinion et les décideurs sont bombardés par une multitude de signaux contradictoires en un temps très court, empêchant une vision claire des objectifs à long terme et poussant à des initiatives in fine contradictoires voire malheureuses.

[ii] À ce propos, admirez le superbe fusil d’assaut chinois Type 95 (voir photo plus haut) qui équipe désormais les meilleures unités de l’APL. Jolie copie du FAMAS, non ? Et les exemples de ce type sont innombrables en matière d’armement produit en Chine.