TERENCE FISHER, le roi de la Hammer

Publié le 07 mai 2014 par Olivier Walmacq

Bonjour à toutes et à tous, aujourd'hui je vous propose d'aborder Terence Fisher dont je me suis farçi la filmo (merci Price Minister !) rien que pour vos yeux !

Réalisateur emblématique de la Hammer Film, Terence Fisher a marqué de manière indélébile le cinéma fantastique mondial en donnant à Christopher Lee le rôle de Dracula à travers une série de films tels Le Cauchemar de Dracula et Dracula, prince des ténèbres.

Mais ce que l’on oublie un peu trop souvent est qu’au départ, Terence Fisher n’avait pas donné à Lee le rôle de Dracula mais celui de Frankenstein dans Frankenstein s’est échappé en 1958. Il s’agit là de l’un des premiers spécimens de la Hammer Film, trois ans après Le Monstre (The Quatermass Experiment) de Val Guest. Le futur interprète de Scaramanga dans The Man with the Golden Gun de Guy Hamilton y est secondé par Peter Cushing, autre figure célèbre et fameuse du studio. Également connu sous le nom de The Curse of Frankenstein, le film lança véritablement la Hammer Film. Produit exclusivement en Grande-Bretagne, le film n’est pourtant pas du tout le premier film de Fisher, qui avait mis en scène auparavant une trentaine de polars de série B ainsi qu’une poignée de films fantastiques comme Colonel Bogey, Le Triangle à quatre côtés et Skyways. On considère souvent The Curse of Frankenstein comme son « nouveau premier film ».

La même année, Fisher retrouve (toujours pour le compte de la Hammer) le tandem Lee-Cushing pour Dracula (plus connu sous le nom du Cauchemar de Dracula) qui est à ce jour son chef d’œuvre. Il y fait un usage remarquable du sang et de la couleur pour un éclatant résultat, aux limites du baroque. D’une esthétique irréprochable, Le Cauchemar de Dracula peut aisément être considéré comme la meilleure adaptation de Bram Stoker jamais réalisée !

Mais comment continuer sa carrière après avoir atteint un tel sommet ? Il n’y avait hélas qu’une possibilité : redescendre. Et ce qui devait arriver arriva : toujours en 1958, année charnière dans la carrière du cinéaste, Fisher signa le méconnu La Revanche de Frankenstein, toujours avec Peter Cushing, mais sans Christopher Lee. Partant de l’idée que Frankenstein n’est pas mort car un prêtre a été guillotiné à sa place à la fin du Cauchemar de Dracula, le film met en scène les nouvelles mésaventures du savant fou qui développe une technique de transplantation de cerveau. Il transplante donc son propre cerveau dans le corps de son cobaye (nommé Karl) et, après le succès de l’expérience, revient au labo pour détruire son ancien corps. Mais tout ne va pas se passer comme prévu, évidemment...

Très audacieux dans sa démarche, La Revanche de Frankenstein vaut surtout pour l’interprétation inoubliable de Peter Cushing dans le rôle du savant. Complètement dénué de scrupules, ce dernier s’éloigne néanmoins un peu trop du personnage décrit par Mary Shelley. Cela étant, La Revanche de Frankenstein reste un efficace film d’horreur, même s’il n’atteint pas l’intensité du Cauchemar de Dracula, qui reste à ce jour inégalé dans la filmographie de Terence Fisher.

Après avoir passé un certain temps sur Frankenstein et Dracula, Terence Fisher effectue un virage dans sa carrière avec Les Étrangleurs de Bombay (1959) dans lequel il prend pour la première fois une direction plus exotique, mêlant (comme il le fera juste après pour La Malédiction des pharaons (The Mummy), toujours en 1959, et scénarisé par Jimmy Sangster (vous savez, celui de Horror of Frankenstein avec le David Prowse d'avant Star Wars !) le film d’aventure au film d’horreur. Se centrant sur une affaire de rites ancestraux bien évidemment basés sur des sacrifices humains, le film est à ce jour le plus violent de la carrière du cinéaste, et surprend encore aujourd’hui pour la brutalité de certaines séquences (il faut rappeler que le gore en était à ses premier pas à l’époque, puisque 1959 est aussi l’année de la sortie du célèbrissime (et cultissime) Blood Feast d’Hershell Gordon Lewis (surnommé « Gore gore man » dans le n°273 de Mad Movies) qui ne sont pas recommandées aux âmes sensibles : on y croise effectivement un personnage écartelé, des démembrements, des yeux crevés et des langues arrachées !

Mais toutes ces horreurs ne sont pas gratuites à 100%... En effet, derrière ce festival de gore, le film dissimule un message anticolonialiste fort qui en fait l’une des œuvres les plus audacieuses de Terence Fisher.

Toujours en 1959 et après The Mummy, Fisher retrouve Peter Cushing sur Le Chien des Baskerville d’après le roman homonyme de Sir Arthur Conan Doyle et enchaîne sur The Man Who Could Cheat Death. Le cinéaste était appelé à revenir au personnage de Sherlock Holmes trois ans plus tard dans le nettement plus oubliable Sherlock Holmes et le collier de la mort.

Après cet aparté exotiquo-gore, le cinéaste revient à Dracula pour son entrée dans les sixties avec La Fiancée de Dracula puis Les Maîtresses de Dracula, où il retrouve une nouvelle fois Cushing (qui ne l’avait pas suivi pour Les Étrangleurs de Bombay). Toujours produit par la Hammer, Les Maîtresses de Dracula suit une tendance un peu plus bis que les deux précédents opus, mais à la différence de La Revanche de Dracula, le cinéaste revient ici d’avantage à un style visuel baroque très soigné, accompagné d’une élégante photographie plus ou moins léchée. La particularité des Maîtresses de Dracula vient néanmoins de... l’absence du buveur de sang ! À part pendant le prologue, il n’est pas tant question de Dracula ici (puisqu’on nous soutient mordicus que le zozo est mort et enterré) que de ses disciples.

Et particulièrement d’un certain baron Meinster, enfermé par sa mère dans son château et auquel on livre des jeunes femmes en pâture dans le but d’assouvir sa faim. Jusqu’au jour où le baron est libéré...

Comme on peut s’en douter à la lecture du titre, Les Maîtresses de Dracula se veut beaucoup plus explicites dans son sous-texte sexuel et pervers, le baron Meinster allant jusqu’à "vampiriser sa mère" (dixit Laurent Aknin) dans une scène que d’aucun trouveront incestueuse.

Particulièrement spectaculaire et audacieux, Les Maîtresses de Dracula est une excellente surprise, dont on se souviendra longtemps pour son combat final où Van Helsing (Peter Crushing, of course) réussit à vaincre Meinster en formant une croix sur le sol avec les pales d’un moulin (d'où ma question de la semaine, remember !). Le cinéaste revient à nouveau à l’adaptation littéraire avec Les Deux visages du docteur Jekyll d’après le roman célèbre de Robert Louis Stevenson, considéré dans « Les Classiques du cinéma fantastiques » de Jean-Marie Sabathier comme un chef d’œuvre.

Passé le succès des Maîtresses de Dracula, Terence Fisher aborde ensuite un autre grand mythe du fantastique remis récemment au goût du jour dans Dog Soldiers (Neil Marshall), Cursed (Wes Craven), ou encore Harry Potter : le prisonnier d’Azkaban (Alfonso Cuaron) : celui du loup-garou; avec La Nuit du loup-garou (ou The Curse of the Werewolf) dans lequel il engage un certain Olivier Reed, connu des studios Hammer pour avoir tourné quelques mois auparavant dans Le Fascinant capitaine Clegg, échec au box-office, aux côtés de Peter Cushing dans le rôle titre.

Se penchant sur la genèse du monstre et sur ses origines, La Nuit du loup-garou nous apprend également qu’on ne devient pas loup-garou en étant mordu par un autre loup-garou mais en étant poursuivi par une sorte de malédiction (d’où le titre original, The Curse of the Werewolf, qui signifie « La Malédiction du loup-garou »). Et c’est précisément ce qui arrive à un pauvre vagabond dont la seule faute est d’avoir manqué de respect à un noble répugnant. Devenu animal, le vagabond s’en prend à une domestique muette qu’il viole. Cette dernière devient à son tour loup-garou (ou louve-garou) et tue son maître, avant de donner naissance à un enfant. Jusque là, Terence Fisher réussit à mener de main de maître l’action, avec un sens du rythme et une minutie, un sens du détail qui ont de quoi impressionner les plus exigeants des fantasticophiles. Mais c’est après que ça se gâte, et que le film tombe dans la convention, reprenant le schéma classique d’une série B avec Paul Naschy. Et c’est bien dommage, car si le film avait réussi à se maintenir tout du long, La Nuit du loup-garou aurait pu atteindre des sommets. En l’état, c’est juste une sympathique curiosité.

Il faut ensuite attendre 1964 pour revoir Fisher à la réalisation d’une réelle réussite (après quelque faux pas mineurs comme The Horror of it All et The Earth Dies Screaming), avec The Gorgon, petit chef d’œuvre de sa carrière, et aussi son meilleur, parmi les plus oubliés. Il faut dire que rien qu’à la vue de la fiche technique, un cinéphage normalement constitué devrait se mettre à baver : le scénario est signé John Gilling (auteur entre autres du fondateur L’Invasion des morts-vivants et du célèbrissime La Femme reptile, récemment projeté à la Cinémathèque française), tandis que la distribution regroupe Peter Cushing, Christopher Lee et Barbara Shelley (Le Village des damnés, version Wolf Rilla) qu’il retrouvera sur son film suivant, Dracula prince des ténèbres.

Si La Gorgone est réellement handicapé par des effets spéciaux peu performants, il s’agit néanmoins d’un très beau film, où Terence Fisher se penche pour la première fois d’avantage sur la psychologique et la mélancolie des héros. Projeté en festival à partir de 1967, La Gorgone fait partie des films les plus mésestimés du cinéaste.

Si La Gorgone s’est avérée être un bel échec commercial, le film a néanmoins permis au cinéaste de nouer certaines relations avec l’équipe technique, et il en retrouve certains sur son film suivant qui marque son retour au mythe de Dracula : Dracula prince des ténèbres (1965). Il y retrouve en effet Michael Reed à la photographie ainsi que Barbara Shelley parmi les interprètes (aux côtés de Christopher Lee (qui avait pourtant juré de ne jamais revenir à Dracula), qui joue cette fois sans Cushing). Extrêmement violent (surtout pour la scène de résurrection de Dracula, par l’égorgement d’une victime au-dessus de sa bouche), le film porte la marque de Terence Fisher de par sa capacité à déranger et à perturber le public, même un demi-siècle après sa sortie en salles.

Il est à noter que Peter Crushing est ici remplacé par Andrew Keir dans le rôle de Van Helsing...

En tout les cas, j’espère que Lee n’a pas été payé à la ligne de dialogue !!! En effet, l’acteur ne prononce pas un mot de tout le film, et si Dracula prince des ténèbres se distingue clairement des autres opus de la saga de la Hammer, c’est parce que le personnage de Dracula prend une toute autre tournure, plus ou moins comparable à celle prise par James Bond dans Permis de tuer puis Quantum of Solace : il passe brutalement du dandy parfumé et élégant à celui de tueur assoiffé de sang et impitoyable. Et il faut bien l’avouer, même si Christopher Lee n’a jamais adoré ses expériences auprès de la Hammer (il se préfère dans The Wicker Man), il y excelle véritablement ! 

Le réalisateur tournera ensuite le méconnu Island of Terror (à ne pas confondre avec L’Île de l’épouvante de Mario Bava) en 1966.

Par la suite, Terence Fisher délaissera le personnage de Dracula (le film suivant de la saga, à savoir le très beau Dracula et les femmes, sera réalisé par Freddie Francis (Le Train des épouvantes, 1963, avec Peter Crushing, Christopher Lee, Donald Shuterland) et se consacre au personnage de Frankenstein (délaissé depuis La Revanche de Frankenstein) avec Frankenstein créa la femme (1966), composé par James Bernard, compositeur attitré du cinéaste, à qui l’on doit la BO de Le Cauchemar de Dracula, Le Chien des Baskerville, Les Étrangleurs de Bombay, Dracula prince des ténèbres mais aussi de Kiss of the Vampire de Don Sharp, Les Damnés de Joseph Losey, Le Jardin des tortures de Freddie Francis et Les Cicatrices de Dracula de Roy Ward Backer (le réalisateur de Docteur Jekyll et Sister Hyde) et dont le chef opérateur n’est autre que Arthur Grant en personne, qui a supervisé Le Redoutable homme des neiges de Val Guest, Le Spectre du chat de John Gilling mais aussi un certain Les Étrangleurs de Bombay...

Fisher retrouve finalement retrouver Christopher Lee (moustachu pour l’occasion) dans Les Vierges de Satan (1968) pour lequel il collabore avec Richard Matheson au scénario et Charles Gray (Évasion sur commande, On ne vit que deux fois, Les Diamants sont éternels) à l’interprétation.

Racontant l’histoire de la lutte d’une famille (celle du duc de Richleau) contre une secte de satanistes barjots (ce qui va souvent de pair). Il s’agit probablement là du dernier bon film de Terence Fisher.

Par la suite, le réalisateur déclinera sérieusement, revenant à ses premiers amours dans les très Z Frankenstein et le monstre de l’enfer, ironiquement sorti la même année que le dernier film de la saga « Dracula » après Dracula 73, à savoir le très dispensable Dracula vit toujours à Londres de Alan Gibson (à ne pas confondre avec Brian Gibson, réalisateur de Poltergeist 3) et Le Retour de Frankenstein (1969).

Par la suite, la Hammer continuera de tourner sans lui, mais avec bien plus de difficultés. Parmi les derniers films intéressants sortis du studios, on notera Une fille pour le Diable (1975), dans la lignée de The Omen et de The Exoricst, avec Richard Widmark (qui remplace au pied levé Klaus Kinski), Natassja Kinski et Christopher Lee, le film bénéficiant de certaines séquences-chocs efficaces.

En 1982, après l’implosion du studio, Vincent Price, Christopher Lee, Peter Cushing et un étranger de la Hammer (à vrai dire, comme Vincent Price, employé chez Corman, à AIP, ne l’oublions pas !), John Carradine se retrouvèrent pour un dernier trip : House of the Long Shadows, inédit en salles en France, et réalisé par Peter Walker. Sans être une merveille, le film reste tout de même le dernier représentant d’un âge d’or du fantastique complètement révolu lors de la sortie du film (la même année que Evil Dead, Creepshow, Poltergeist et Halloween 2 alors bon, je vous fais pas un dessin…). Et on se prend à rêver à se demander ce que ce cher Terence aurait fait avec un tel cast…

 Adieu Terence Fisher. Un auteur de plus en avance sur son temps

Sources : Les Classiques du cinéma fantastique de Jean-Marie Sabathier

Les Classiques du cinéma bis de Laurent Aknin