Une bonne farce d'enfant !

Publié le 13 mai 2014 par Dubruel

MÉMOIRES D’UN FARCEUR  (d'après Maupssant)

Mes chers frères, mes chères sœurs,

Nous vivons dans un siècle où les farceurs

Ont des allures de croque-morts

…Et se nomment politiciens ! D’accord ?

On ne fait plus la vraie farce,

La farce joyeuse, la bonne farce.

Et pourtant,

Quoi de plus amusant

Et de plus drôle que la farce ?

Ah ! Dans ma vie,

J’en ai fait des farces

Et on m’en a fait aussi.

Je veux en raconter deux aujourd’hui.

La première que j’ai subie

Et la suivante que j’ai infligée.

La première. J’allais chasser chez Yves G.,

Un ami gentleman-farmer,

Sur ses terres de Picardie.

On me fit une réception princière.

On tira des coups de fusil.

On m’embrassa,

On me cajola.

Je me serais juré :

‘’On te prépare quelque chose, vieux furet ! ‘’

Pendant le diner, la gaité

Fut excessive, trop importante.

On devait avoir dans l’esprit

L’attente d’une plaisanterie

Qu’on allait me destiner. Attention.

Je ne laissais passer ni une intention,

Ni un geste, ni un mot.

Je montais me coucher tôt.

On m’avait dit bonsoir.

J’ai fermé ma porte à clé, mais dans le couloir

J’entendais chuchoter.

On m’épiait.

J’inspectais murs, parquet, meubles et volets.

Je n’aperçus rien de particulier.

Cependant le lit me parut suspect.

Je n’osais me coucher.

J’ai tiré le matelas en vitesse

Au milieu de la pièce

Et me glissais enfin sous le duvet.

Je demeurai deux heures éveillé,

Tressaillant au moindre bruit.

Puis, tout étant devenu calme dans le château,

Je m’endormis.

Soudain, je fus réveillé en sursaut.

Venait de s’abattre sur moi un corps pesant.

Et sur la poitrine,

Je recevais en même temps,

Un liquide brûlant,

Un pot de confiture et trois tartines.

J’ai cherché à reconnaître quelle était

La masse tombée sur mon corps.

Je rencontrai une figure, des favoris, un nez.

D’un bond, je me suis sauvé dans le corridor !

On accourut au bruit

Et on trouva, étendu sur mon lit,

André, le valet :

Sur ma couche il avait trébuché

En m’apportant le petit déjeuner.

Son plateau s’était renversé.

Ah ! Ce jour-là, on a ri !

Oui, on a bien ri !

L’autre farce que je veux conter,

Je l’ai imaginée

Quand j’avais quinze ans.

Mes parents recevaient de temps en temps

Une de leurs vieilles amies, hargneuse,

Mauvaise, vindicative, grondeuse.

Elle me détestait, je ne sais pourquoi.

Elle ne cessait de rapporter contre moi,

Tournant en mal mes moindres actions,

Mes moindres expressions.

Oh ! La vieille chipie !

Elle s’appelait Mme Duby.

Bien qu’âgée de quatre-vingts-six ans,

Elle portait une perruque auburn

Ornée de ridicules petits rubans.

Moi, je la détestais du fond du cœur

Et résolus de me venger

De ses mauvais procédés.

J’ai utilisé du phosphure de chaux.

Quand ce produit est jeté dans l’eau

Il s’enflamme, détone, dégage des vapeurs

D’une épouvantable odeur.

Donc, un soir, je pénétrai furtivement

Dans la chambre de Mme Duby

Et, pardon, mesdames, je saisis

Le récipient blanc

De forme ronde, caché ordinairement

Non loin de la tête de lit

Ou à l’intérieur de la table de nuit.

J’y déposai une poignée

De phosphure de chaux

Et allai guetter

Dans une cachette peu éloignée.

Mme Duby monta bientôt.

Quand elle fut prête à se coucher,

Je mis l’œil à la serrure de mon ennemie.

Elle ôta sa perruque, se dévêtit,

Mit son râtelier dans un verre,

Endossa un grand peignoir blanc,

Fit sa prière,

Puis s’assit sur l’instrument

…De ma vengeance.

J’entendis d’abord un léger bruit

Puis des détonations en série.

Je vis les yeux de Mme Duby s’ouvrir

Se fermer, se rouvrir.

Puis elle se dressa, la mine patibulaire,

Et quand apparurent de petites flammes

Et une fumée mystérieuse,

Que pensa la dame ?

Crut-elle à une maladie affreuse ?

Songea-t-elle

Que ces vapeurs, sorties d’elle

Allaient brûler sa chair

Voire lui ronger les viscères ?

Bref, elle poussa un grand cri

Et s’abattit au pied du lit.

Je courus dans ma chambre et m’y enfermai.

J’écoutais.

On allait. On venait.

On parlait…Puis… on riait !

Je reçus de mon père une raclée

Dont je me souviendrai !