Sur le concept de pratiques culturelles.

Publié le 13 mai 2014 par Ep2c @jeanclp

Le texte qui introduit sans doute le mieux à la construction du concept de pratiques culturelles et, surtout, des enquêtes et des études sociologiques qui lui ont peu à peu donné "consistance" et "crédibilité"  est du à l'un des artisans principaux de ces travaux, Olivier Donnat, et publié dans un recueil en hommage au créateur et chef du service des études et de la recherche du ministère, Augustin Girard.

Il figure dans l'ouvrage :

Le fil de l'esprit

Augustin Girard, un parcours entre recherche et action, Paris, Comité d'histoire du MCC,  2011.

On peut le télécharger :CLIQUER ICI.  

Une approche plus historienne de la notion est proposée par Philippe Poirrier : 

Les pratiques culturelles au cours des années 1960 et 1970 

in J.-C. GROHENS et J.-F. SIRINELLI (Dir.), Culture et action chez Georges Pompidou, Paris, 

Presses universitaires de France, 2000, p. 123-138.

On trouve ce texte sur le web  :CLIQUER ICI 

Cette seconde contribution évoque, à juste titre l'apport de Michel de Certeau, plus anthropologique ou philosophique que sociologique, à l'accréditation de ce concept. Parmi de nombreux articles consacrés à cet auteur,on peut signaler :

Les trois héritages de Michel de Certeau. Un projet éclaté d'analyse de la modernité  

par  Éric Maigret 

également accessible sur le web : CLIQUER ICI. 

L'oeuvre de Michel de Certeau est abondante, plurielle et compexe.

Il se trouve qu'une des meilleures synthèses en mesure d'articuler les dimensions théologiques, anthropologiques, historiennes et philosophiques des travaux du chercheur jésuite est due au philosophe marxiste Pierre Macherey. 

Je crois utile de le citer longuement.

"(...) il est possible de comprendre les enjeux véritables de l’ouvrage que de Certeau a consacré à « L’invention du quotidien », et qui représente un aboutissement de ce que nous venons d’appeler sa mystique du quotidien. Cet ouvrage, publié en 1980, présente le bilan d’une recherche collective entreprise en 1974 sur commande de la DGRST, dans la lancée d’un colloque international tenu à Arc-et-Senans en 1972, dont il avait été le rapporteur, qui avait eu pour objet de définir une politique européenne de la culture (cf. à ce sujet les textes réunis par de Certeau dans La culture au pluriel, éd. 10/18, 1974, repris en 1993 dans la collection Points/Essais des éditions du Seuil).

Lorsqu’il aborde la thématique générale de la culture, de Certeau est surtout préoccupé par le clivage qui la traverse en profondeur :

« D’un côté, elle est ce qui « permane » ; de l’autre, ce qui s’invente. Il y a d’une part les lenteurs, les latences, les retards qui s’empilent dans l’épaisseur des mentalités, des évidences et des ritualisations sociales, vie opaque, têtue, enfouie dans les gestes quotidiens, à la fois les plus actuels et millénaires. D’autre part, les irruptions, les déviances, toutes ces marges d’une inventivité d’où des générations futures extrairont successivement leur « culture cultivée ». La culture est une nuit incertaine où dorment les révolutions d’hier, invisibles, repliées dans les pratiques – mais des lucioles, et quelquefois de grands oiseaux nocturnes, la traversent, surgissements et créations qui tracent la chance d’un autre jour. » (La culture au pluriel, éd. 1993, p. 211)

De Certeau reprend donc à son compte l’idée de la réification de la culture et par la culture, qui avait été développée par Adorno et Horkheimer dans leur Dialectique de la raison : la culture, davantage encore que le travail industriel, est la forme par excellence de l’assujettissement des masses auxquelles elle communique en uniformisant leurs comportements sa prétendue rationalité, dans le cadre de ce que Debord, reprenant les prémisses de cette analyse, a appelé « société du spectacle ». Mais il assortit dialectiquement cette idée de sa contrepartie : la culture est aussi, dans le silence discret de ses pratiques, de ses « arts de faire », de ses « usages », qui ne sont pas fatalement conformes, du moins pas tous, un champ d’innovation qu’il serait criminel de laisser en friche, alors qu’il est porteur, en dépit des pesanteurs et des contraintes dont il est le siège, de l’avenir de la société : là pullulent en effet ce que, dans le langage aujourd’hui à la mode, on appelle des pratiques émergentes, qui ont dû revêtir au départ le caractère de pratiques déviantes. Le champ dans lequel une politique de la culture a à intervenir est ainsi polarisé par ce double jeu entre un régime de passivité, où s’accumulent des pesanteurs et des retards, et un régime d’activité, où, dans un certain désordre, s’esquissent des avancées. Cette idée se trouvait déjà chez Lefebvre, qui écrivait, dans l’Introduction de sa Critique de la vie quotidienne :

« La substance de la vie quotidienne, l’humble et riche « matière humaine », traverse toute aliénation et fonde la désaliénation. »(Critique de la vie quotidienne, t. I (Introduction), éd. de L’Arche, 1958, p. 109)

Donc, pas d’aliénation sans que ne s’ouvre la possibilité d’un mouvement de sens inverse, allant dans le sens d’une désaliénation, et prenant la forme d’une résistance à la domination, résistance qui est la réponse des dominés à l’agression qu’ils subissent.

De Certeau, à l’exemple de Lefebvre, est ainsi conduit à dépasser l’opposition traditionnelle entre production et consommation, ce qu’il fait en soutenant que la consommation, et en particulier la consommation culturelle, est aussi à sa manière une production, obéissant à une autre logique que celle qui commande la production proprement dite :

« A une production rationalisée, expansionniste autant que centralisée, bruyante et spectaculaire, correspond une autre production, qualifiée de « consommation » : celle-ci est rusée, elle est dispersée, mais elle s’insinue partout, silencieuse et quasi invisible, puisqu’elle ne se signale pas avec des produits propres mais en manières d’employer les produits imposés par un ordre économique dominant. » (L’invention du quotidien, I- Arts de faire, Introduction générale, éd. Gallimard/Folio, 2002, p. XXXVII)

Alors que la production de biens de consommations, qui sont des marchandises, est soumise à un effort d’organisation rationnelle centralisateur dans son principe, la seconde production, qui concerne, non des produits matériels mais la manière de les employer, opère discrètement sur un autre plan, immatériel, culturel, où ses interventions sont dispersées, insinuantes, rusées : elles prennent la forme de pratiques de contournement, qui opèrent en contrebande, non sur le plan des macro-structures, mais sur celui des minuscules préoccupations qui définissent proprement le quotidien, lieu, non d’une consommation unilatérale de la culture, mais de son appropriation par ceux qui la transforment en en faisant usage concrètement ; et ceci hors de tout contrôle, car si des procédures de marketing peuvent susciter artificiellement l’envie d’acquérir des biens de consommation dont on n’a en réalité nul besoin, elles ne peuvent se substituer à ceux qui, ayant cédé à cet appel, doivent trouver par eux-mêmes, à leurs frais et sous leur entière responsabilité, la manière de s’en servir, voire éventuellement de ne pas s’en servir."

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LIRE LE TEXTE INTEGRAL (Copyright Pierre Macherey)

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Jean-Claude Pompougnac

          

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