[Critique] LA MERDITUDE DES CHOSES

Par Onrembobine @OnRembobinefr

Titre original : De helaasheid der dingen

Note:
Origines : Belgique/Pays-Bas
Réalisateur : Felix Van Groeningen
Distribution : Kenneth Vanbaeden, Koen De Graeve, Valentijn Dhaenens, Wouter Hendrickx , Gilda De Bal, Bert Haelvoet, Pauline Grossen, Natali Broods, Jos Geens…
Genre : Drame/Comédie/Adaptation
Date de sortie : 30 décembre 2009

Le Pitch :
Alors que sa compagne lui annonce qu’elle est enceinte d’un enfant qu’il ne désire pas, Gunther Strobbe, un écrivain raté, se remémore son enfance et son adolescence marginales et parfois sordides ; passées en compagnie de son père, de ses oncles et de sa grand-mère dans la maison familiale d’un petit village du fin fond de le Belgique flamande. De quoi se demander si il va échapper un jour à la merditude des choses…

La Critique :
Le cinéma belge est un des plus inventifs et singuliers d’Europe. En quelques années, il a réussi à s’imposer dans le cœur des cinéphiles de tous horizons, qui reconnaissent en lui cette capacité unique à mêler les tons et les ambiances sans aucune difficulté, et à piétiner joyeusement les petites conventions du cinéma d’auteur. Attention, on ne parle pas là du cinéma social déprimant des frères Dardenne, mais de celui, au combien plus réjouissant des Gustave de Kervern et autres Benoît Delépine, des Bouli Lanners et autres Felix Van Groeningen. Chacun a apporté sa pierre à l’édifice, et c’est de ce dernier dont nous allons parler aujourd’hui. En effet, son récent succès, tant public que critique (et amplement mérité, soit dit en passant) grâce à Alabama Monroe et ses nominations aux Césars, Oscars et autre grands prix prestigieux, l’ayant mis sous le feu des projecteurs. Il y a pas mal de points communs entre Alabama Monroe et La Merditude des Choses, que ce soit dans les thématiques générales ou des petits détails récurrents, mais là n’est pas le propos. Penchons-nous donc sur l’autre chef-d’œuvre du flamand.

Van Groeningen n’en est pas à son coup d’essai lorsqu’il se lance dans cette adaptation du roman éponyme de son compatriote Dimitri Verhulst, paru en 2006. Il s’agit d’une œuvre autobiographique, dans laquelle l’auteur a mis beaucoup de lui-même, notamment au sujet de sa vision du monde. Et d’emblée, ce qui nous saisi, c’est la maîtrise du réalisateur, qui est également co-scénariste. L’intrigue est des plus casse-gueules, tant elle tourne autour de la marginalité et du quotidien misérable et oisif des personnages qu’il dépeint. En effet, les oncles et le père du héros sont des alcooliques notoires vivants sur la maigre pension de leur mère ainsi que sous le toit de cette dernière. En marge de la société et en prise avec des difficultés des plus grandes, ils pourraient n’apparaître que comme de simples loosers qui méritent bien leur vie de beuveries et de coucheries sans lendemain. Pourtant, il n’y a pas le moindre misérabilisme, il respecte ses personnages et les montre sous différents jours. Tout à la fois stupides, misérables, héroïques et étrangement lucides par moments, ils pourraient être de simples clichés, des perdants magnifiques, mais ils ont un plus. Des rednecks (ils sont fans du chanteur de rock Roy Orbison), en somme, mais version flamande, donc un poil plus sympathiques. Un supplément d’âme qui fait d’eux de grandioses pochtrons, plein de gouaille et de leur sens particulier de l’honneur et de la compétition, comme un sale tour au destin qu’ils n’ont pas le courage d’affronter. Mais il n’y a pas que les hommes dans ce film. Les personnages féminins sont très présents et forts, en particulier la grand-mère, qui peine à faire fonctionner sa grande famille totalement dysfonctionnelle. Quant au « héros », il clairement très intéressant et attachant, quelle que soit l’époque où le côtoie. Là où il aurait pu être un simple salaud cherchant une excuse pour justifier son comportement, il est étrangement le plus humain car le plus proche des spectateurs dans ce monde d’excès et de démesure. Un petit microcosme qui nous offre des grands moments de nawak bien forts et géniaux dans leur genre, comme la course de vélo à poil et la fête de village où les hommes se travestissent, entre autres. Mais, encore une fois, point de fatalisme et la fin montre que la vie n’est pas un simple recommencement et que l’on peut briser certains cercles que l’on construit au fil de nos existences…

Le casting est pour beaucoup dans cette réussite des personnages. Tous les acteurs sont extraordinaires, qu’il s’agisse des deux interprètes du héros (Kenneth Vanbaeden et Valentijn Dhaenens) ou du reste de la famille. Ils sont d’un naturel et d’une justesse stupéfiants. Mention spéciale à Jonas Heldenberg, que l’on a pu voir dans le film suivant de Groeningen, le sublime Alabama Monroe. Plein de charisme et doté d’une vraie gueule de cinéma, tout comme ses camarades, il livre une très belle prestation.

La mise en scène est très particulière, elle met en avant l’état psychologique des personnages en mettant la caméra en mouvement de manière désordonnée lorsque vient l’ivresse (assez souvent donc…) ou le passage du noir et blanc à la couleur par moments. La photographie est très soignée, et permet un rendu très organique qui participe vraiment à l’immersion du spectateur dans cet univers étrange et déroutant par son côté joyeusement bordélique. La musique est très peu présente, à part les morceaux d’Orbison, on a droit à quelques orchestrations toujours à propos. La narration éclatée entre les époques est d’une fluidité stupéfiante et permet de renforcer cette impression d’avoir un peu connu certaines de ces galères. Felix Van Groeningen est un cinéaste de la mesure, qui est toujours sur le fil, au bord de la grandiloquence mais qui reste toujours sur ses rails, parfaitement dans le ton unique qu’il insuffle à chacun de ses films. Un cinéma de la vie très fort et modeste à la fois, éminemment intimiste et personnel tout en étant plutôt accessible. Un sacré tour de force stylistique.

Pour conclure, on trouve ici ce qui fera de son futur succès un grand film, mais pas sous une forme larvaire, vu qu’il a déjà atteint la maturité, mais de manière différente. Il nous dose soigneusement et évite les poncifs tout autant que le pathos. D’où toutes ces nominations et victoires, de Cannes (prix du film art et essai), au prix du Film Flamand (où il rafle la totale), en passant, plus important encore, au Festival du Film Grolandais de Gend (amphore d’or, excusez du peu). Bref, si vous avez aimé l’expérience bluegrass de son dernier opus, jetez-vous sur ce petit morceau grandeur crasse et truculente, et vive le Plat Pays !

@ Sacha Lopez

Crédits photos : MK2 Distribution

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