"Les Femmes savantes" ou "Molière l’apéro rock" (Lyon)

Par Alexandra Bourdin @bouteillemer

Les Femmes savantes ou Molière l’apéro rock, comédie musicale mise en scène par Maïté Cussey (Crédits photo : P. Solli)

©Robert Benz

Les Femmes savantes ou Molière l’apéro rock est une comédie musicale d’après Molière mise en scène par Maïté Cussey et interprétée par la troupe du Théâtre d’Ishtar.

Avec Adeline Arénas, Robert Benz, Sindy Carray, Ariane Chaumat, Benjamin Contamina, Maïté Cussey, Jean-Baptiste Maino, Coralie Mangin, Claire Martin, Ulysse Minéo, Cindy Philippon et Lisa Romestant.

L’intrigue

Dans l’Amérique des années 60, Henriette sort avec Clitandre. Lorsqu’ils envisagent de se marier, les problèmes commencent. La mère d’Henriette, Philaminte, refuse catégoriquement le mariage. Elle veut fiancer sa fille à un intellectuel et lui impose le charismatique Trissotin, rockeur sexy à ses heures. De son côté, Clitandre rencontre aussi de nombreuses difficultés : la tante d’Henriette a craqué pour lui et ne veut pas entendre ses appels à l’aide. Le jeune homme doit également faire face à Armande, la sœur d’Henriette… qui est aussi son ex-fiancée !

Dans la maison, les seuls soutiens des amoureux sont Martine, la serveuse impertinente et Chrysale, le papa bienveillant mais peu enclin à contrarier sa femme. Autant dire que leurs chances sont minces… Et que penser de l’étrange Vadius ?

Au milieu du brouhaha, seule Ariste pourrait empêcher la catastrophe. Mais il faut faire vite ! Le mariage arrangé se rapproche…

Dans cette comédie musicale colorée et déjantée, les seuls mots d’ordre sont : love, cupcakes and rock & roll !

Lyon est définitivement un endroit où il fait bon vivre et surtout bon de sortir. Changement d’échelle : après le Festival de Caves au début du mois, je suis passée d’une pièce minimaliste à une seule voix (Du Domaine des Murmures avec Léopoldine Hummel) à un projet ambitieux, original et hétéroclite porté par pas moins de dix comédien(ne)s bourré(e)s de talent pour chanter et se produire sur scène et trois musicien(ne)s, parfois figurant(e)s ou carrément  pour l’un d’entre eux occupant l’un des rôles titre. Broadway s’est juste invité à Lyon, vous ne le saviez pas ?

La troupe du Théâtre d’Ishtar (presque) au complet (Crédits photo : © Mathias Roqueplo)

Cette comédie musicale rock est à mi chemin entre Cabaret et Hair. Molière n’aura jamais été aussi actuel vu l’ambiance de douce revendication moins sexuelle qu’individuelle qui souffle dans Les Femmes savantes revisitée dans les années 60. Si comme moi, vous ne vous cachez pas d’écouter encore et plus que jamais Bob Dylan, Joan Baez, Johnny Cash, les Beatles ou les Doors alors Molière l’apéro rock ne pourra que vous faire gigoter sur votre siège, taper du pied en rythme et vous faire sortir (bien malgré vous) deux-trois cris de groupie. Elvis Presley n’a qu’à bien se tenir.

Et là, vous vous mettez à douter. N’est-ce pas un peu risqué de catapulter dans les années 60 les personnages de Molière et en plus d’ajouter à l’intrigue des intermèdes musicaux quitte à ralentir le rythme de l’action ? Et que viennent faire ces cupcakes dans la scénographie, bien alléchants sur scène et déjà sur l’affiche ?

Soit vous êtes un littéraire, un dur, plus molièresque que Molière et dans ce cas, descendez de vos grands chevaux (ou plutôt de vos motos, vu l’atmosphère rock’n’roll), le beau langage de Molière et le texte versifié sont joliment respectés sauf adaptations et clins d’œil à la sauce sixties pour le public. Et le tout est largement abordable ! Il y a bien quelques mini-couacs vu que certains personnages masculins jouées par des demoiselles sont appelés une fois ou deux "mon frère" (surement pour respecter la rime) mais l’imagination du spectateur pourvoie.

Maïté Cussey (metteure en scène et jouant le rôle de Philaminte)

Soit vous ne connaissez Molière et la pièce ni d’Ève, ni d’Adam (ça existe, je vous jure) et dans ce cas, quelle beau chemin de traverse pour vous familiariser avec cette histoire d’amour contrarié sur fond d’autorité familiale et de revendication féminine. Le brio de la mise en scène de Maïté Cussey, étudiante en M2 LARP (Lettres Appliquées à la Rédaction Professionnelle) à Lyon II, est justement de proposer un projet ni élitiste, ni formaté par une certaine mouvance contemporaine au théâtre qui confond parfois performance scénique et orgie ou hystérie organisées sans souci du moindre texte. Le choix de Maïté sert à prouver qu’on peut aimer (faire) jouer du théâtre dit "classique" (Molière, Shakespeare et les autres has-been) tout en faisant du théâtre contemporain de qualité, sans tomber dans la caricature.

Même en tant que projet étudiant, soutenu notamment par le service culturel de l’université Lumière Lyon II ou le CROUS, ne vous imaginez pas un spectacle de fin d’année rapidement bricolé et fait pour rendre seulement fier papa, maman et ses proches. La troupe du Théâtre d’Ishtar a de l’avenir et la mise en scène des Femmes savantes est à mes yeux digne d’une production professionnelle. A bon entendeur…

Les Femmes savantes en répétition

Pour avoir assisté à plusieurs répétitions et à la première, j’ai d’ailleurs été assez impressionnée par la qualité à la fois du jeu et du niveau musical des comédiens et des comédiennes. Je pense qu’une expérience comme celle-là aussi complète devait être pour certains une première. Ce n’est pas souvent qu’on peut assister à la fois à un concert avec des musiciens et des chanteurs qui tiennent plus que la route (voire de véritables rockstars !) et à une pièce de théâtre où chaque comédien(ne) a su se différencier pour que son personnage touche le public d’une manière ou d’une autre. Comme souvent chez Molière, les personnages sont souvent nombreux ce qui pourrait rapidement mettre la pagaille sur scène mais chaque personnage a en quelque sorte sa scène ce qui permet assez facilement de s’identifier, de compatir ou de comprendre les relations entre les personnages.

Henriette (Ariane Chaumat, assise) & Armande (Coralie Mangin, debout) (Crédits photo © P. Solli)

Vadius (Adeline Arénas) & Trisottin (Benjamin Contamina) en coulisse le Jour J

Si, à titre personnel, je me sens pleine d’empathie pour le personnage d’Armande (joué par Coralie Mangin), le plus nuancé de la pièce, c’est surement le personnage de Bélise (Cindy Philippon) qui vous fera le plus rire ! C’est d’ailleurs assez dommage que l’entrée de son personnage (et en particulier la chanson qui l’accompagne) n’ait pas été applaudi à la première alors que sa prestation a été aussi bonne que les autres. "Public du jeudi", diront certaines dans les coulisses… Pourtant, le public a été plutôt réactif, voire électrique pour certaines chansons comme Hello, I love you chantée par Benjamin Contamina (Trisottin), l’une des meilleurs reprises des Doors que j’ai entendu ou encore Satisfaction interprétée avec passion par Adeline Arénas (Vadius) que je ne présente plus sur ce blog. Big up d’ailleurs aux musiciens qui les accompagnaient (Lisa Romestant, Robert Benz tous deux guitariste et bassiste du groupe de rock lyonnais Les Barjoks et Jean-Baptiste Maino à la batterie), on sent beaucoup d’alchimie et de complicité entre eux ce qui d’ailleurs vaut pour toute la troupe.

De gauche à droite : Armande (Coralie Mangin), Bélise (Cindy Philippon), Trisottin (Benjamin Contamina) et Philaminte (Maïté Cussey) (Crédits photo : P. Solli)

Niveau scénographie, j’ai vraiment été conquise par le travail de la metteure en scène. Bar, tables rondes, chaises rouges vintage, estrade pour les musiciens donnent le ton. On se croirait dans un resto américain digne de Pleasantville. Mais surtout, les cupcakes fournis par le salon de thé lyonnais LITTLE (Metro A : Ampère-Victor Hugo), sont plus qu’appétissants. Et pour avoir joué les hôtesses pour accueillir le public, j’ai même pu en goûter un avec l’aide d’amis après la représentation. Parce que le Théâtre d’Ishtar est aussi généreux autant sur scène qu’en promo vu que des cupcakes ont été gagnés avant et le jour de la représentation. Comme dans Charlie et la chocolaterie, il fallait trouver un fameux ticket d’or dans son programme ! De Willy Wonka à Molière, il n’y a qu’un pas.

Plus que les cupcakes, j’ai été touchée par le thème féministe naturellement évident grâce à l’ancrage dans les 60′s et qui ne m’a paru être une interprétation plus qu’acceptable de la pièce de Molière. Si comme les précieuses, les femmes savantes n’ont pas toujours bonne presse dans ses pièces, il s’agit tout de même d’une chance non négligeable pour du théâtre classique d’avoir une distribution en majorité féminine. Sachez d’ailleurs qu’une chanson sur les Femmes savantes a été écrite pour l’occasion et je peux vous assurer qu’elle reste dans la tête ! A quand le single, les filles ?

© Mickaël Capra

Cette mise en scène a l’air alléchante, n’est-ce pas ? Si vous avez râté la première session du 22 et 23 mai, sachez que la troupe a prévu d’autres représentations ! Rendez-vous le 05 mai à 20h30 à la MJC de Bron. Plus de détails pratiques sur la page de l’événement sur Facebook si vous êtes dans les environs ce jour-là. D’autres dates sont prévues, pour rester informer, n’hésitez pas à les suivre sur Facebook et sur Twitter.


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