Les portes de la perception

Publié le 25 mai 2014 par Joseleroy

Les portes de la perception est un livre de Aldous huxley.

Le titre du recueil est une citation du poète mystique et visionnaire William Blake, extraite du recueil de textes en vers et en prose intitulé Le mariage du ciel et de l'enfer.

« Si les portes de la perception étaient nettoyées,

chaque chose apparaîtrait à l'homme telle qu'elle est, infinie »

Ce titre a, à son tour, inspiré Jim Morrison dans le choix du nom du groupe The Doors.

Le livre décrit les effets de la mescaline sur l'esprit d'Aldous Huxley. La mescaline est extrait du Peyotl, petit cactus mexicain.

les premières pages notamment sont intéressantes, car sous l'influence de la mescaline, Huxley décrit des perceptions qu'il identifie comme proches des expériences mystiques.

« J’avais pris ma pilule à onze heures. Une heure et demie plus tard, j’étais assis dans mon cabinet de travail, contemplant attentivement un petit vase en verre. Le vase ne renfermait que trois fleurs – une rose Belle-de-Portugal, largement épanouie, d’un rose-coquillage, avec un soupçon, à la base de chaque pétale, d’une teinte plus chaude, plus enflammée ; un gros oeillet magenta et crème ; et, violet pâle à l’extrémité de sa tige brisée, le bouton fier et héraldique d’un iris. Fortuit et provisoire, le petit bouquet violait toutes les règles du bon goût traditionnel. Au déjeuner, ce matin-là, j’avais été frappé de la dissonance vive de ses couleurs. Mais la question n’était plus là. Je ne regardais plus, à présent, une disposition insolite de fleurs. Je voyais ce qu’Adam avait vu le matin de sa création – le miracle, d’instant en instant, de l’existence dans sa nudité.

« Est-ce agréable ? » demanda quelqu’un. (Pendant cette partie de l’expérience, toutes les conversations étaient enregistrées au moyen d’une machine à dicter, et j’ai pu me rafraîchir la mémoire quant à ce qui a été dit.)

Ni agréable, ni désagréable. «Cela est, sans plus. » Istigkeit – n’était-ce pas là le mot dont maître Eckhart aimait à se servir ? Le fait d’être. L’Être de la philosophie platonicienne, – sauf que Platon semble avoir commis l’erreur énorme et grotesque de séparer l’Être du devenir, et de l’identifier avec l’abstraction mathématique de l’idée. Jamais il n’avait pu voir, le pauvre, un bouquet de fleurs brillant de leur propre lumière intérieure, et quasi frémissantes sous la pression de la signification dont elles étaient chargées ; jamais il n’avait pu percevoir que ce que signifiaient d’une façon aussi intense la rose, l’iris et l’œillet, ce n’était rien de plus, et rien de moins, que ce qu’ils étaient une durée passagère qui était pourtant une vie éternelle, un périr perpétuel qui était en même temps un Être pur, un paquet de détails menus et uniques dans lesquels, par quelque paradoxe ineffable et pourtant évident en soi, se voyait la source divine de toute existence.

Je continuai à regarder les fleurs, et dans leur lumière vivante, il me sembla déceler l’équivalent qualitatif d’une respiration – mais d’une respiration sans retours à un point de départ, sans reflux récurrents, mais seulement une coulée répétée d’une beauté à une beauté rehaussée, d’une profondeur de signification à une autre, toujours de plus en plus intense. Des mots tels que Grâce et que Transfiguration me vinrent à l’esprit, et c’était cela, bien entendu, entre autres, qu’ils représentaient. Mes yeux passèrent de la rose à l’oeillet, et de cette incandescence plumeuse aux banderoles lisses d’améthyste sentimentale qui étaient l’iris. La Vision de Béatitude, Sat Chit Ananda, la Félicité de l’Avoir-Conscience, – pour la première fois je comprenais, non pas au niveau verbal, non pas par des indications rudimentaires ou à distance, mais d’une façon précise et complète, à quoi se rapportaient ces syllabes prodigieuses. Et je me souvins alors d’un passage que j’avais lu dans l’un des essais de Suzuki. « Qu’est-ce que le Corps-Dharma du Buddha ? » (Le Corps-Dharma du Buddha est une autre façon de dire : l’Esprit, l’Être, le Vide, la Divinité.) Cette question est posée dans un monastère Zen, par un novice plein de sérieux et désorienté. Et, avec la prompte incohérence de l’un des Frères Marx, le Maître répond : « La haie au fond du jardin. » – « Et l’homme qui se rend compte de cette vérité, demande le novice, d’un ton dubitatif, qu’est-il, lui, si j’ose poser cette question ? » Groucho lui applique sur les épaules un coup vigoureux de son bâton, et répond : « Un lion aux cheveux d’or. »

Ce n’avait été, lorsque je l’avais lu, qu’une absurdité vaguement grosse de quelque sens caché. Maintenant, c’était clair comme le jour, aussi évident qu’un théorème d’Euclide. Bien entendu, le Corps-Dharma du Buddha, c’était la haie au fond du jardin. En même temps, et non moins manifestement, c’était ces fleurs, c’était toute chose qu’il me plaisait – ou plutôt, qu’il plaisait au non-moi béni et délivré pour un instant de mon étreinte étouffante – de regarder. Les livres, par exemple, dont étaient tapissés les murs de mon cabinet. Comme les fleurs, ils luisaient, quand je les regardais, de couleurs plus vives, d’une signification plus profonde. Des livres rouges, semblables à des rubis ; des livres émeraude ; des livres reliés en jade blanche ; des livres d’agate, d’aigue-marine, de topaze jaune ; des livres de lapis-lazuli dont la couleur était si intense, si intrinsèquement pleine de sens, qu’ils me semblaient être sur le point de quitter les rayons pour s’imposer avec plus d’insistance encore à mon attention. »

Aldous Huxley, Les portes de la perception.

La drogue a pour un instant écarté le voile, posé par le moi, sur la perception. Mais cet état ne dure pas, et la chute est encore plus rude. C'est pourquoi, est-il besoin de le dire, la drogue n'est pas le bon moyen pour s'éveiller !

 Dans un article  Huxley écrit :

"Ma propre croyance est que, bien que cela puisse être d'abord ressenti avec embarras, ces nouveaux produits altérant la conscience tendront à long terme à approfondir la vie spirituelle des communautés au sein desquelles ils auront été disponibles.

Cette fameuse "résurrection de la religion" à propos de laquelle tellement de gens ont eu tant de choses à dire, ne proviendra pas des suites de réunions évangéliques de masse ou d'apparitions télévisées de gourous photogéniques. Il s'agira plutôt de la conséquence de découvertes biochimiques rendant possible le fait qu'un grand nombre d'hommes et de femmes puissent atteindre une autotranscendance radicale et une compréhension plus profonde de la nature des choses. Et cette résurrection de la religion sera en même temps une révolution. De l'état d'activité essentiellemnt centrée sur les symboles, la religion sera transformée en une activité centrée sur l'expérience et l'intuition – un mysticisme quotidien sous-tendant et nourrissant la rationnalité quotidienne, les tâches et les devoirs quotidiens, les relations quotidiennes."

jlr