Les origines des juifs de mogador

Publié le 27 mai 2014 par Feujmaroc

Texte ecrit par Mr Jacob OHAYON, en 1945,

LES ORIGINES DES JUIFS DE MOGADOR

L'installation des juifs à Mogador, dès sa fondation vers 1760, a été considérée par le Sultan Sidi Mohamed Ben Abdallah, fondateur de la ville, comme la condition essentielle de l'essor qu'il en attendait.

La fermeture du port d'Agadir au commerce européen devait avoir pour conséquence un exode de la population commerçante du Soues, qui servait d'intermédiaire, d'une part entre l'AOF et le Maroc, d'autre part entre l’extrême sud marocain et la côte, c'est-à-dire l'extérieur.

L'ouverture de Mogador devait nécessairement amener une perturbation économique que risquait, d'autre part, d'intensifier l'anarchie régnant dans le Sud, considéré comme un bled Essiba irréductible.

Il fallait donc liquider rapidement la période de transition, et pour cela faciliter le déménagement des juifs d'Agadir et du Souss, détenteurs des leviers de commande du commerce extérieur, et leur aménagement à Mogador.

Le Sultan a donc accordé certains privilèges aux juifs qu'il voulait enraciner à Mogador: habitations, revenus assurés, facilités commerciales et administratives, etc..

Cette sage politique a transformé immédiatement Mogador en porte du Souss, avec en plus, l'interland des Haha Chiadma, et en période hivernale, des Abda et de toute la région de Marrakech, jusque là desservie par Safi, port où le travail n'était possible que quelques mois par an.

Les commerçants juifs portaient le titre de "Tojjar-es-Sultan", les marchands du Sultan et leur influence était telle, jusqu'à la veille du Protectorat, que le sultan, sur simple pétition signée per les commerçants israélites, déplaçait les pachas trop « gourmands», ou qui simplement déplaisaient.

Le Commerce d'exportation, avant les bateaux à vapeur, se faisait par "voiliers". Chaque maison avait sa flottille de voiliers, qui partait vers la France, l'Angleterre et l'Allemagne, les produits du Maroc et du Soudan, et revenaient chargés de produits fabriqués. Tout s’achetait en France ou en Angleterre. Les meubles anciens figurent encore à l'état de fossiles dans certains intérieurs de vieux souiris, à côté de meubles ultramoderne du plus mauvais goût de fabrication marocaine en série.

Il existe encore dans le langage souiri une expression qui rappelle cette époque. Quand on rencontre un ami ayant l'air soucieux, on a l'habitude de l'interpeller ainsi : " Qu'as-tu donc, ce matin ? Ton voilier a-t-il fait naufrage ? .. "

Plus tard, lorsque la Compagnie Paquet a voulu créer une ligne de navigation avec le Maroc, elle s'adressa aux négociants juifs souiris et la maison Belisha possède dans ses archives familiales une correspondance entre Ichoua Belisha et les frères Paquet.

Toujours est-il que, jusqu'à 1910 et même plus tard, la Cie Paquet et toutes les autres compagnies de navigation (anglaise, allemande, espagnole) se disputaient la clientèle des chargeurs. Ceux-ci avaient droit à des passages gratuits deux fois par six mois, sur les bateaux des diverses compagnies. Parfois un différend éclatait entre la Cie Paquet et les chargeurs. Ceux-ci alors, affrétaient un bateau à leur compte, et faisaient venir leur sucre en coopération. Le Compagnie finissait par négocier.

Voilà pour la situation économique.

Rabbin à Mogador.

La situation politique était nette. Les juifs n'étaient pas du moins en politique intérieure, considérés comme autochtones. Ils n'étaient pas sujets, mais "demmi", c'est-à-dire "protégée" du sultan. Ils avaient donc, pour leurs affaires purement juives, une complète autonomie qui ne peut se comparer qu'au statut des minorités dont jouissaient certains peuples entre 1919 et 1939 en Europe, sous la protection de la S.D.N.

Les juifs avaient une communauté administrée par un comité, élu au suffrage universel à l'intérieur du groupement juif. Ils avaient un tribunal rabbinique dont la compétence ne n’était pas, comme aujourd'hui, limitée aux questions d'état-civil. Ce tribunal, au contraire, était compétent en matière civile et commerciale: le notariat dressait des actes de société, des reconnaissances de dette, des actes de commandite, et même des transferts de propriété entre juifs.

L'autorité des rabbins-juges était appuyée par l'autorité chérifienne qui détenait le pouvoir exécutif. Les sentences du tribunal rabbinique étaient exécutées par les pachas qui mettaient ainsi le pouvoir de coercition à la disposition de la communauté pour ses affaires intérieures.

Il arrivait parfois qu'un marocain non-juif, ayant peu confiance en la justice sommaire des mahakmas, traduisait un adversaire Juif devant le tribunal rabbinique, auprès de qui il trouvait des garanties de procédure et d'impartialité qu'il ne rencontrait pas dans la justice personnelle.

Détail singulier: un locataire juif occupant un local jamais occupé jusque là par un coreligionnaire, acquérait, après trois mois d'occupation, le droit dit de "hazaqa" et aucun juif ne pouvait plus, après lui occuper ce local, sans avoir à lui verser un taux de loyer. Les marocains trouvaient ce droit exorbitants, mais comme aucun juif ne pouvait déroger à cette loi, il en résultait une diminution de la valeur locative de l'immeuble, les juifs constituent le partie de la population payant le mieux les loyers. Une transaction intervenait souvent entre le propriétaire marocain et le locataire juif qui, moyennant une indemnité, vendait son droit de "hazaqa"

L’impôt était payé par la communauté et non par chaque juif individuellement. C'était plutôt un impôt de principe, un "tribut annuel", indiquant que les juifs, protégés du sultan, lui devaient un hommage annuel. Le représentent du sultan, recevant l'impôt du chef de la communauté, lui donnait une tape "symbolique" sur la tête, cérémonie qui malgré son sens humiliant, était subie avec le sourire, tant les relations entre les autorités et la communauté étaient cordiales.

SITUATION ADMINISTRATIVE

Les juifs n'étant pas marocaine, et pour être marocain "jure soli" il suffisait d'être musulman, n'étaient pas astreints au Service militaire ou aux levées des mehallas, étant bien entendu que les guerres, se faisant en principe pour la défense de la foi, les infidèles en étaient ipso facto exclus. le justice, plus exactement la police, étant confiée eux pachas, gouverneurs civils et militaires, les juifs en étaient exclus. Il n'était pare logique, dans un pays où les musulmans dominaient, de faire rendre la justice par des pachas juifs. Il ne faut voir là aucune espèce d'intolérance religieuse, les juifs étant simplement considérés comme étrangers.

Les diverses administrations civiles étaient en principe fermées aux juifs.

Pour les mêmes raisons que plus haut, auxquelles s'ajoutait une, très importante : l'ignorance chez les juifs de la langue arabe, de la langue écrite s'entend.

Il y a eu, cependant, des exceptions: on a connu des Oumana juifs (Jacob Guédaliah, eu début du 19ème siècle, Ichoua Afriat dans les dernières années du 19ème siècle). Le Rabbin Judah Bénsemana a été contrôleur du Ravitaillement, c'est-à-dire représentant direct du Sultan Sidi Mohamed, puis du Sultan Moulay Hassan, et ayant le droit de donner directement des ordres au Mohtasseb, et au besoin, de refaire les mercuriales qui n'auraient pas son agrément.

Il existe dans la famille Bensemana deux Dahirs: le premier reconnaissant les services de Bensemana Judah, et lui en donnant un témoignage de satisfaction: le second lui accordant pension de 40 « metqual » par mois. Le « metqual » représentait à l'époque une très forte somme.

Lorsque le Service des Domaines du Protectorat a voulu mettre un peu d'ordre dans les propriétés domaniales, il s'est trouvé en présence de droits de clefs, droits détenus par les vieilles familles, à qui le sultan, moyennant un loyer dérisoire, accordait la jouissance de beaux locaux pour l'habitation et le commerce. Ces diverses contestations ont été réglées à l'amiable tout au moins lorsque les détenteurs de clefs étaient protégés étrangers, ce qui fut d'ailleurs une cause de déception parmi ceux qui étaient simplement marocains, et ne bénéficiaient d'aucune protection étrangère.

Un détail fort intéressant m'a été rapporté par Moses Pinto, il y a quelques années: un parent à lui avait été chargé d'une mission diplomatique en Europe, et s'en était acquitté à la satisfaction du Sultan. Un traité diplomatique porterait sa signature. Pour précisions sur le nom et les circonstances, s'adresser à Samuel Serfaty ou à Messod Bitton, tous deux parents de Pinto. Ils connaissent sans doute ce détail et pourraient donner le nom et la date.

RELATIONS JUDEO-ARABES

Les rapports officiels entre les communautés et le maghzen étant toujours empreints de cordialité de la part des premières, et de bienveillance de la part du second, il n'en a point toujours été de même entre les populations musulmanes et juives. Au demeurant, c'était moins par malveillance systématique que par mépris du juif, que les musulmans se livraient à des actes isolés, vexants évidemment pour les passants juifs, mais qui n'avaient pas de portée politique bien grande. Il était évidemment dur pour des juifs ayant voyagé et vécu en Europe libérale de voir la foule molester de paisibles habitants du mellah, mais ces sévices provenaient surtout d'un sentiment d'étrangeté provoqué par ces gens dont les dehors n'étaient pas toujours dépourvus de sordidité, et dont l'attitude humble prêtait souvent le flanc aux qulibets et aux coupa des foules ignorantes. Il faut croire que le sens de l'esthétique était parfois choqué chez ces masses instinctivement portées à l'admiration de la force et de ses manifestations. C'est du moins l'explication possible d'un phénomène que l'on rencontre également chez d'autres foules, dans d'autres pays.

Au Maroc, tandis que les rapports d'individu à individu vont souvent jusqu'à des amitiés sincères et à des dévouements touchants, les rapports de masse à masse sont restés assez pénibles.

Mellah de Mogador  (source: site : melca.info)

Mogador, à ses débuts, n'a pas échappé à la règle commune. Au début le Mellah avait été édifié dans l'actuelle Médita, qui porte encore chez les musulmans, le nom de Mellah El Qédim.

Cette disposition apparaissait assez logique au début. Le quartier administratif, la Kasbah, comprenait la mahakma, le Palais du Gouverneur Khalife du Sultan ( ancien Bab El khdar, où était l'ancienne ambulance Tommy), la maison du Cadi, le douane, les habitations des Oumana, la prison, les divers Consulats. Il était naturel que les "marchands du Sultan" ne fussent pas trop loin du quartier administratif.

Mais le Mellah el Qédim présentait, à l'époque, le désavantage de se trouver au centre de la ville, et par conséquent ouvert à tous les passants, de sorte que les incidente se multipliaient cheque jour entre juifs et musulmans.

Une jeune fille, fille d'un sujet anglais (Léon Corcos connait le nom) se trouvant un samedi à sa fenêtre, a jeté par mégarde une écorce de pépin, tombée sur un chérif. Un incident en surgit: on obligea la jeune fille à abjurer.

Depuis cet incident, les rapports devinrent plus tendus. Un chérif croisait un juif, qui, naturellement, tâchait de l'éviter. Le chérif souvent arrêtait le juif et l'interpellant :

« Tu m'as insulté dans ton cœur, ô juif, et je suis chérif ! » La foule naturellement, se mettait du côté du chérif et voilà un incident de plus. Parfois, devant le pacha, l'affaire tournait à l'avantage du Juif, mais cela mécontentait la population. Il fallait en finir.

Les juifs ayant écrit au Sultan, selon leur habitude, sans passer par les autorités locales, le sultan leur donne satisfaction, les autorisent à déménager, et s'installer dans l'ancienne Médina, devenue ainsi proximité de Bab Doukkala.

Nos grandes mères nous racontent que l'ordre de déménagement étant arrivé le samedi même, les juifs, craignant un contre-ordre, voulurent profiter le jour même de cette surprise, et l'exode, avec échange de locaux entre les juifs et les musulmans, commença le samedi-là. Dans ces récits, la, "skhina" elle-même ne fut pas oubliée, et dans cette sortie d'Egypte, les provisions furent emportées par nos pères tout comme lors de l'exode.

" In exitu Israel de Egypto, domus Jacob, de populo barbaro ..." Combien de fois Israël au cours des siècles, n'a-t-il pas chanté ce psaume libérateur. De pays à pays, de ville à ville, voire dans la même ville, de quartier à quartier cette antienne a toujours été sienne.

Et il semble, que depuis ces déménagements, opérés vers 1820, les incidents ont diminué de virulence, les relations se sont disciplinées, assagies, elles sont devenues indifférentes, et plus tard, elles ont passé au stade de la cordialité.

Les juifs se trouvant à l'étroit, ont demandé vers 1870 et obtenu, l'autorisation de construire un nouveau mellah, qui a été construit en face de l'ancien, à Baba Doukka, adossé aux Chebanat (ancien quartier réservé).

Plus tard les juifs aisés, et ceux venus d'Europe s'installèrent peu à peu à la Kasbah, primitivement réservée au quartier administratif. Celle-ci étant devenue insuffisante pour les nouvelles familles, une Kasbah nouvelle a été édifiée à Bab Sebâa (Avenue Lyautey, rue Commandant Holbecq, rue de Belgique, d'anglets:1p, etc..)

C'est sur les indications des juifs que ces belles rues droites et spacieuses ont été tracées. Plus tard, à partir de 1903 les juifs du Mellah, se trouvant à l'étroit, commencèrent à quitter, d'abord timidement, puis de plus en plus largement, ce quartier où les besoins d'hygiène qu'ils commençaient à ressentir après l'éducation scolaire, n'étaient pas satisfaits. La Médina dont les maisons, faites pour abriter des familles isolées, étaient basses et sans confort, connut une transformation nouvelle. L'appât des loyers incite les propriétaires à construire des étages, à procéder à des réparations et bientôt les juifs et les musulmans voisinèrent, puis se tolérèrent et même s'accordèrent admirablement. Au début, les musulmans étaient surpris, voire scandalisés, par cette invasion de la Médina par les Juifs. Plus tard, ils n'y pensèrent plus.

J'ai connu personnellement des voisins musulmans qui, au début de notre installation dans leur quartier, ne manquaient pas de nous regarder avec une certaine malveillance. Une voisine crachait visiblement par terre chaque fois qu'elle nous voyait penser. Peu à peu, la glace se rompant, les musulmans les plus hostiles venaient chez nous, nous demandaient conseil, parfois nous confiant des sommes d'argent des "amana" (dépôt), ne sachant pas garder eux-mêmes leur argent. Me mère a même souvent été consultée par des voisines à propos de mariages.

En 1906, Anflous envahit Mogador, dont il prit d'office le commandement (Septembre). Il procéda à l'expulsion des juifs de le Médina; cette expulsion se fit dans les 24 Heures.

Deux juifs (l'un français, Léon Corcos; l'autre anglais Moses Pinto) habitaient la rue Attara. Ils refusèrent d'évacuer leurs demeures, s'y enfermèrent, et se laissèrent assiéger. Ce siège allait peut être se terminer pour eux de façon tragique, lorsque l'arrivée du Galilée, dont Anflous fut averti en pleine nuit par un des membres du corps consulaire, Pépé Ratto, mit fin à cette invasion. Anflous et sa troupe reprirent le chemin des Ninafa le matin à l'aube, et le Galilée est arrivé le soir vers 7 heures.

Le départ d'Anflous ne fut pas immédiatement suivi d'un nouvel aménagement; une nouvelle situation était créée. Peu à peu, cependant, les choses reprirent leur état normal.

A noter que pendant ce court exode, le mellah, et même les villes voisines (Safi, Marrakech, Mescala) connurent un afflux de réfugiés sans logis.

Aujourd'hui l'on ne saurait dire s'il existe un quartier arabe proprement dit, les demeures des juifs et des musulmans se mêlant et s'enchevêtrant par contre, il existe toujours un Mellah, ou les non-juifs n'ont aucune envie d'habiter. Toutes les maisons du mellah qui donnent sur l'avenue de Bab Doukkala se sont ouvertes sur cette avenue, et beaucoup sont occupées par des européens.

L’INFLUENCE ANGLAISE

La nature du commerce de Mogador (plumes d'autruches, gommes arabique, sandaraque, amandes) faisait des anglais leurs principaux clients. Les voiliers partaient chargés de gomme spéciale du Sahara, dite « Awewar » qui se vendait, dix, quinze fois son prix de revient; de gomme sandaraque, d'amandes de toute sorte de produits riches; l'huile d'argan dont l'exportation était interdite, partait comme huile d'olive, grâce à la complicité de la douane. Les navires revenaient pleins de cotonnades, de draps fins, d'articles de Birmingham, etc.. Les comptes étaient ouverts dans les banques anglaises en livres sterling.

Les commerçants avaient toutes facilités pour aller visiter Londres et Manchester, où ils faisaient des séjours relativement longs. Ils revenaient pleins d'idées nouvelles, et peu à peu, envoyèrent leurs enfants dans des collèges anglais. C'est ainsi que Aaron Afriat, après avoir commencé avec l'Angleterre par l'entremise de maisons de commission, finit par s'installer à Londres, où il fonde une maison de renommée mondiale. Fait significatif, l'adresse télégraphique de la maison Aaron Afriat & Cie est "AWERWAR" hommage rendu à la gomme "aouerouar", qui fut à l'origine de la fortune des Afriat.

Les Guédaliah se sont alliés aux Montefiore.

La ministre Hoare Belisha est de souche Souirie. Son grand-père était allé s'installer à Londres; son père, Lieutenant dans l'armée britannique, est mort très jeune, le laissant âgé de trois ans.

Les Corcos, Attias, Lugassy, Yuly, Faraché, sont d'installation plus récente.

Sir Moses Montéfiore, venu au Maroc en 1800, à la suite d'un supplice infligé à un juif de Safi accusé d'avoir tué un Espagnol, et qui est mort sous la bastonnade sans avoir reconnu le crime dont on l'accusait; Sir Moses Montefiore, grand avocat et ami personnel de la Reine Victoria, a visité Mogador qui lui a fait un accueil royal. Il est intervenu auprès du sultan en faveur des juifs, et a obtenu un dahir qui constitue la chartre des juifs marocains, le dahir reconnaît l'égalité absolue entre les juifs et les musulmans. Il reconnaît que les juifs sont sujets marocains au même titre que les musulmans, et interdit tout mauvais traitement contre les juifs.

Sir Moses Montefiore (Source: Dafina.net)

En réalité, ce dahir avait pour but de faire cesser la bastonnade aux Juifs. Si les musulmans ne subissaient pas un meilleur traitement, un fait demeurait certain: le juif condamné à la bastonnade était voué à une mort certaine.

Depuis ce dahir, les juifs au Maroc ne reçoivent pas la bastonnade, tandis que les pachas ne se gênaient pas pour l'infliger aux musulmans. En 1901 un pacha a fait donner à un juif 25 coups de bâtons. Quinze jours plus tard, Il était destitué.

Sir Moses Montefiore a laissé à Mogador des souvenirs mémorables. Il s'est constamment occupé de soulager de ses deniers la Communauté, et je possède une lettre autographe portant le timbre de 1868, par laquelle il avisait la Communauté d'un envoi de fonds important pour l'époque.

C'est à lui que l'on devait le pavage du mellah, pavage qui est demeuré en bon état jusqu'au Protectorat, où il fut remplacé par le décevant Macadam. Dans de pareilles conditions, les juifs de Mogador étaient portés à l'admiration de ce qui était anglais.

Il était tout naturel qu'ils cherchassent à donner à leurs enfants une éducation anglaise. A cela il y avait la double raison culturelle et commerciale.

Une école anglaise de garçon, sous la direction de M. Bendahan Judah, a été fondée. Des jeunes gens, après une instruction primaire assez sommaire allaient à Londres ou à Manchester, où ils se mêlaient à la vie britannique, revenaient au Maroc après naturalisation, mais finissaient généralement par se fixer en Angleterre. Vers 1880, une école de fille a été fondée sous la direction de Madame Stella Corcos. Cette école a formé plusieurs générations féminines, et c'est seulement vers le début de la guerre de 1914, devant l'incontestable concurrence de l'école de filles de l'Alliance (1910), qu'elle finit par fermer.

La grande influence anglaise à Mogador s'exerça, en particulier, par l'action féminine. l'école de garçons obtenait de moins brillants résultats. Il y avait à cela une raison sérieuse. Mr. Bendahan qui la dirigeait, s'occupait surtout d'affaires commerciales, et lui consacrait le temps qui lui restait de libre.

L'école de Madame Corcos, par contre était sérieusement menée; les jeunes filles y apprenaient, outre la langue et la littérature anglaises, la couture, le piano, les travaux d'intérieur. L'Alliance, n'ayant pas d'école de fille, subventionnait l'école de Madame Corcos, où un professeur de Français, engagé vers les dernières années d'existence de l'école, enseignait, fort mal d'ailleurs, les premiers rudiments de notre langue.

Une deuxième école anglaise, dirigée par Mme Anahory, tentait de faire concurrence à l'école de Mme Corcos. Elle affectait de ne prendre que des jeunes filles de familles choisies; le programme était le même, mais les résultats étaient moins bons.

L'éducation anglaise développe, parmi les classes juives, une certaine mésentente. La Kasbah, devenue le quartier "aristocratique" abritait les familles bourgeoises à prétentions mondaines, et parfois snob, qui affectaient un certain dédain pour le "Mellah" composé de braves gens sans prétentions.

Il suffisait d'ailleurs d'habiter la Kasbah pour être considéré d'essence supérieure; à cette supériorité, beaucoup de famille du mellah ont facilement accédé.... en opérant un simple déménagement.

Cette discrimination assez étrange persiste encore, bien que faiblement par les Souiris.

Elle était à un moment donné si virulente que les habitants de la "Kasbah" considéraient comme une mésalliance un Mariage avec des « mellahis». A l'école, les enfants lançaient à leurs petits camarades de l'autre bout de le ville, l'épithète, alors injurieuse, de "Mellahi".

LES ECOLES DE L’ALLIANCE

La première école de l'Alliance avait été fondée vers 1860; le local était tout simplement une synagogue, au fond du Mellah, appelée encore aujourd'hui "Slat-es-scuela", - la synagogue de l'Ecole- Le directeur était un vieux parisien Mr Cahen, que mon vieux camarade Joseph Knafo avait connu à Paris vers la fin de sa vie.

Mais cette école n'obtint aucun succès. Peut être que le fait d'avoir été placée au Mellah était-il pour elle un handicap eux yeux des snobs de la Kasbah.

Toujours est-il que cette première tentative a échoué, et la véritable première école de l'Alliance fut fondée en 1889. Son premier directeur fut Mr. Haven. Le deuxième fut Mr Isaac Benchimol, qui envoya à Paris, à l'Ecole Normale de l'Alliance, les premiers élèves-maîtres,  dont mon pauvre ami Joseph Knafo (1897)

Puis ce furent successivement Mr. Abitbol, M. Bensimon Joseph (qui fut plus tard directeur des Galeries Lafayette à Casablanca).

En 1902, c'est M. Taourel qui prend la direction de l'Ecole, et avec lui, elle connait une période brillante. L'on peut affirmer que c'est de l'époque Taourel que s'est développée à Mogador l'influence française, qui finit peu à peu, par supplanter l'influence anglaise.

A un moment donné, la fondation d'une école anglaise par l’AJA (anglo-jewish-association - Association anglo-juive) soue la direction de M. Weinstein, transforme l'enseignement de l'anglais, en le modernisent, et faillit faire une sérieuse concurrence à l'école de l'Alliance. Mais M. Taourel mit fin à cette concurrence en incorporent simplement l'école anglaise dans le système scolaire de l'Alliance, et en nommant son directeur, professeur d'Anglais à l'école de l'Alliance.

L'école de l'Alliance connut un grand succès. Les enfants français le fréquentaient en même temps que leurs autres camarades juifs, et jamais ne s'est posée le question de discrimination, raciale, confessionnelle, ni même nationale.

Mars 1923 - Ecole de l'Alliance à Mogador.

Pour ma part j'ai eu comme camarades les fils Reutemann, les fils Miscovitch, et cet esprit de camaraderie était si courant que, en 1924, l'Association des Anciens Elèves de l'Alliance élut comme président Etienne Miscovitch. Ce choix ne choqua personne, sauf peut être quelqu'un: Mr Cortade, contrôleur en chef de la Circonscription des Haha-Chiadma. Il me fit notifier, comme vice-président, que la place d'Etienne Miscovitch n’était pas à la tête d'un groupement juif. L'esprit laïque français était si enraciné chez les anciens élèves de l'Alliance que ceux-ci refusèrent d'obtempérer à l'ordre de Mr Cortade, et nous avons conservé Miscovitch à la tête de l'Association, pendant un an. Il remplissait, pour nous, la seule condition exigée: il était ancien élève de l'Alliance.

Ce qui nous enthousiasmait surtout, c'était l'histoire de la France, et aucun de nous ne faisait de distinction entre l'époque royale et l'ère révolutionnaire. Nous voyions la France revivre devant nous; nous comprenions d'instinct l'idéal de 1789: nous grincions des dents aux récits de la terreur. La "Patrie en danger" l'était aussi pour nous, et nous palpitions, comme des petits français, aux récits de la grande épopée.

Les massacres de le Saint-Barthélemy nous ont fait frémir d’horreur: la résistance des rochelais à Richelieu nous paraissait une hérésie, et la révocation de l'édit de Nantes diminua notre admiration pour Louis le Grand.

C'est que, avant de nous enseigner l'histoire, on nous fit apprendre par cœur Corneille, Racine, Molière, la Fontaine, et l'on fit de nous naturellement, des déracinés.

Français de cœur, nous l'étions déjà, mais les vieux, qui avaient conservé le culte de la tradition, et que nous traitions de fanatiques, nous mettaient en garde contre cet enthousiasme, et nous en donnaient loyalement la raison:

"Vous allez vivre dans un monde nouveau. Les Français, qui se battent contre Bou Amana, dans la région d'Oujda, viendront dans quelques années au Maroc. C'est le destin. Moi, ton vieux grand-père qui suis Français et qui ai vécu en Algérie, sais trop ce qu’il en coûte de se jeter à la tête de gens qui n'ont pas encore eu l'occasion de vous estimer. L'amitié ne vient jamais sans l'estime. Gardez votre dignité, votre mesure. Cela aussi, cela surtout, est Français. Gardez-vous de choquer les musulmans en ayant l'air d'oublier que vous avez vécu dans leur pays. Gardez-vous de choquer les juifs, en affectant de vous en séparer parce que vous avez appris une langue qu'ils n'ont pas eu l'occasion d'apprendre. Notre culture juive doit être vôtre. Elle ne déparera pas la culture française".

Devant ces paroles, que je considérais comme des sermons sans consistance, mon mépris pour les vieux s'accentuait: j'en suis revenu depuis. La mesure, qualité essentiellement française, manquait à notre jeunesse; elle résidait cependant au fond du vieux ghetto; mais nous l'avions dépouillée en quittant les noirs vêtements et la calotte. Et peu à peu, cet équilibre se retrouve, au contact de ces mêmes Français, que nous ne connaissions pas encore: de ces mêmes musulmans que nous ne voulions plus connaitre. La vie nous a remis face à face, et les conseils des vieux se sont révélés parfaitement prophétiques.

Quoi qu'il en soit, l'influence française commença à se développer dès que les premières générations scolaires furent en âge de prendre une place dans la vie.

En 1907, les premiers tabors marocains furent organisés sous la direction d'officiers français. Ces officiers, ainsi que les sous-officiers instructeurs qui leur étaient adjoints, furent accueillis fraternellement dans les familles juives. Des fêtes furent données en leur honneur, et ces premiers Français n'étaient pas peu surpris de l'aisance avec laquelle les jeunes filles portaient la robe de soirée, et les jeunes gens le smocking. Une chose cependant leur manquait: les jeunes filles parlaient toutes anglais, et peu s'exprimaient en Français. C’était un handicap pour les flirts, ce qui ne les empêcha nullement de se nouer.

Les officiers, de leur côté, organisèrent des fêtes, en l'honneur de la Communauté Israélite.

Le besoin d'une école de filles de l'Alliance se faisait sérieusement sentir. En 1909 ou 1910, la première école de filles fut fondée, sous la direction de Mlle Hacco. Ce fut un grand succès. Les écoles anglaises se vidèrent peu, pour tomber définitivement en décadence.

Et l’influence Française, trouvant dans les femmes le moyen le plus solide de propagande, se développe rapidement. Les quelques familles françaises de fonctionnaires ou de commerçants restaient fermées aux familles juives.

En 1912, le Dr. et Madame Bouveret battirent en brèche la citadelle et fréquentèrent dès leur arrivée les familles juives, ce qui créa autour d'eux une atmosphère de sympathie, qui se transforma peu à peu en amitié et en affection: En cela, ils ont servi le cause française bien mieux que per des discours ou des conférences.

La fondation de l’Hôpital juif, avec sa Synagogue, sa maternité, fut l'idée la plus originale qui ait été mise à exécution dans les services de la S.H.P. Nous ne pensons d'ailleurs pas que cet exemple ait été suivi ailleurs. Il y fallait des qualités de cœur qu'on ne trouve pas toujours partout.

La Communauté Juive de Mogador, puis les diverses communautés du Maroc ont été saisies d'admiration pour cette œuvre et en 1931 les représentants les plus éminents du Judaïsme Marocain prirent l'initiative d'inscrire le  Docteur Couveret au Livre d'Or du Peuple Juif.

Une souscription publique, où les plus humbles offrandes se mêlaient aux dons les plus riches affluèrent de tous les centres du Maroc, car, par dessus la personne du Docteur Bouveret, cet hommage spontané s'adressait à l'œuvre d'assistance de la France au Maroc.

 Voilà dans quel état étaient les esprits juifs vis à vis de la France. Parfois des incidents individuels entre Français et juifs venaient apporter un peu d'amertume dans les cœurs particulièrement ombrageux de certains membres des communautés, mais à la réflexion, on finissait par se convaincre que l'élite était la vraie représentation de le France, car elle répondait toujours à l'idéal que l'on s'en était fait sur les bancs des écoles de l'Alliance.

On a parfois blagué la phrase rituelle qui commence tout cours d'histoire de France :

" Nos ancêtres les Gaulois ...." Cette phrase à la lumière des événements, prend un sens nouveau.

Aux Tharaud, nous aurions pu répondre: "Il est vrai que les Gaulois ne sont point nos ancêtres, mais nos lettres de noblesse sont pour le moins aussi bonne. Mais nos enfants, dont la langue maternelle est déjà le Français confondent la Gaule avec la Judée de leur rêve, Vercingétorix avec Judah Macchabée. Peut-on leur en vouloir de cet hommage inconscient à la France, source où ils aspirent puiser la sève nouvelle qui revigorera la vieille race de Jacob ?"

LES JUIFS MAROCAINS ET LA GUERRE

Le racisme allemand commença à S'infiltrer bien avant l'hitlérisme. Des manifestations isolées, individuelles, faisaient déjà appréhender un mouvement.

En 1933, dès l'avènement d'Hitler et les premières mesures raciales, les juifs marocains ont voulu protester, - marquer le coup, comme l'on dit. Tandis que les juifs du ghetto accueillaient l'évènement avec l'indifférence statique des persécutés endémiques, protégés qu'ils étaient contre les vexations anti-juives, grâce à une carapace religieuse et traditionnelle, les assimilés par contre, atteints d'un complexe d'infériorité conséquente du peu de confiance en leur résistance et de l'absence de toute foi religieuse commençaient à trembler, les uns pour leurs biens, les autres pour leur confort: aucun à mon avis ne songeait qu'un évènement quelconque, imprévu pouvait les amener au stade où commençaient à s'empêtrer les juifs d'Allemagne.

La manifestation du Régent-Cinéma en mars 1933, était considérée par beaucoup comme purement symbolique. On n'y vit pas figurer les rabbins, les orthodoxes, mais les avocats, les commerçants, toute une foule de gens pour la plupart ignorants de l'histoire juive, et ne se faisant aucune idée de la menace sourde et continue qui allait les poursuivre partout.

 Au cours de la manifestation, des orateurs ont exposé la situation, apportant tour à tour l'expression de la sympathie de leur groupe à l'égard des persécutés.

A un moment donné, pendant qu'un avocat Casablancais, Me Bonan, exposait les méfaits du fascisme, un cri jaillit du fond de le selle : " Matteoti ". C'était un pauvre diable de socialiste, d'ailleurs Français non-juif, spécialiste de telles interruptions, et qui exprimait de cette façon son approbation des paroles de l'orateur.

La foule, croyant à un contradicteur, se jeta sur lui et faillit le lyncher. La plupart de ceux qui le rouèrent de coups ignoraient tout du fascisme, et du socialisme et de Matteoti. Ils étaient venus là au Régent Cinéma, comme au spectacle. Il y eut du sport pendant un bon quart d'heure. J’étais au banc des journalistes, assis à côté d'un camarade non-juif à qui j'ai exprimé mon dégoût de la manifestation. Il a essayé de me consoler de son mieux. J'assistais, sur le vif à une scène de la Révolution. Je souffrais dans ma chair pour ce non-juif martyrisé par des juifs pour avoir proclamé qu'il sympathisait avec eux. Voilà comment naissent les grandes erreurs historiques.

Ce qu'il y eut de merveilleusement chrétien dans l'attitude de ce socialiste ami des juifs, c'est qu'il a déclaré, pendant qu'on lui portait les soins d'urgence: "Je les comprends..." Mot qui fait penser au : "Pardonnez-leur Seigneur, ils ne savent pas ce qu'ils font. 

Les années ont passé. Le racisme, faisant son petit bonhomme de chemin s'infiltra dans les esprits, les empoisonna, et ce fut dans certaines feuilles, un départ en campagne qui souvent se terminait en coups et blessures, ainsi que Maître Guedj, pris à partie par Georges Istié dans le "Soleil marocain" infligea une correction à ce journaliste, en pleine rue de l'horloge.

Istié, quelques mois auparavant, s'était attaqué à un autre ancien bâtonnier, Mettre Bonan, et n'avait pas rencontré de réaction.

Les manifestations des Croix de Feu étaient en réalité des manifestations où la foule criait, avant tout, "à bas les juifs!", ce qui donnait lieu à des collisions entre partis adverses, où les échanges de coups n'étaient pas toujours limités aux poings: les projectiles de toute sorte venant à la rescousse.

Un jour, une manifestation antisémite provoqua une réaction des partis dits "de gauche" auxquels vinrent se joindre les juifs. M. Zagury, appelé d'urgence per la Région Civile, se voyait prier d’intervenir. Mal lui en prit. Les juifs le reconnaissant le houspillèrent. Les non- juifs disaient: « de quoi se mêle-t’il celui-là ? » Claude Farrère ayant déclaré, dans une interview, dès son arrivée au Maroc que Victor Hugo était le plus formidable imbécile du 19ème siècle, M. Marchand, professeur de littérature, lui lança un Cartel.

"Je voue défie en vers, prose et latin...." disait Vadiul à Trissotin.

A la conférence débat, organisée au Théâtre municipal per l’Université Populaire, nous assistâmes à une belle causerie; les élèves de rhétorique perchés au poulailler faisaient la claque.

L'on vit alors avancer au milieu d'un silence général, un membre des Croix de Feu qui demanda à M. Marchand des précisions sur la vie conjugale de Victor Hugo, ce qui fut le départ d'un échange d'aménité, etc.. Pendant le débat, on trouva moyen de faire allusion aux juifs. 

La masse des travailleurs juifs, devant cette maladie générale, conservait tout de mémo son équilibre et se gardait bien d'attribuer à la France les responsabilités d'un tel état d'esprit. Elle commençait à comprendre les buts de la propagande nazie, dont le succès auprès du public français l'inquiétait autant qu'il l'étonnait.

En 1936, front populaire, Léon Blum, etc…

M. Peyrontou, débarquant au Maroc, est accueilli par les divers organismes officiels, parmi lesquels la Communauté Israélite de Casablanca, à la tête de laquelle était M. Zagury.

"Il interpelle violemment M. Zagury :

"Dites eux juifs que je ne tolérerai pas leur attitude politique, et que "je prendrai des mesures s'ils persistent à me tenir tête.

- "M. le Résident Général, répond humblement ce pauvre Zagury un peu interloqué, nous sommes des gens paisibles, et je ne pense pas que vous ayez à entendre parler de nous....

- "Il ne s'agit pas de vous, mais de vos jeunes gens.  

Quels rapports policiers ont-ils noirci les juifs, dès avant son débarquement au Maroc. Aux yeux de M. Peyrouton ? Mystère et politique antisémite. Toujours est-il que, quelques jours plus tard, M. Peyrouton revenant sur les impressions théoriques des rapports policiers, constatant au contact, qu'il était allé un peu trop loin, voulu se rattraper. Il convoqua la Communauté Israélite une deuxième fois, et cette fois-ci fut très aimable.

A ce moment, on annonçait le succès du Front Populaire, et l'avènement de Léon Blum, Les grèves sur le tas, qui duraient depuis deux mois et dès bien avant les élections, et qu'il fut le seul à savoir résoudre, lui furent attribuées par un public peu renseigné.

Cependant M. Peyrouton multipliait les sourires aux juifs et aux francs maçons. N'était-il pas lui-même un franc-maçon ? N'était-il pas le gendre de Malvy ? Son père n'était-il pas un préfet républicain ayant subi les persécutions du Second Empire ?

Toutes ces rumeurs, il les faisait répandre par son entourage. On le vit visiter ostensiblement le Mellah, guidé per le bâtonnier Bonan et s'écriant devant les taudis :

"Mais c'est épouvantable, c'est épouvantable ! ……  Il faut que cela cesse...."

Craignant, disait-il, pour la sécurité du Mellah, qu'il prétendait protéger contre l'hostilité des Croix de Feu, il apposa ostensiblement, un samedi, jour où tout est fermé au quartier juif, un cordon de troupes baïonnette au canon.

Les juifs du Mellah regardaient tout cet appareil avec une indifférente curiosité. Ceux qui voyaient clair dans le jeu de M. Peyrouton souriaient.

C'est qu'ils savaient qu'un émissaire de la communauté de Casablanca, M. Nataf, avait été envoyé à Paris en vue de demander aux bourgeois juifs de Paris, d’intervenir auprès de Léon Blum pour le maintien de Peyrouton.

Inutile de dire que ces bourgeois s'abstinrent d'intervenir. A chacune de ses visites, M. Nataf s'entendait éconduire :

« Ne nous parlez pas de Léon Blum…. C'est notre cauchemar.... »

C'est que Léon Blum ne les aimait pas non plus.

Le sort de Peyrouton fut rapidement réglé, et ce fut Nogués qui le remplaça. Nogués, l'homme du Front Populaire…… 

Les manifestations s'apaisèrent aussitôt, et la poigne douce et ferme de Noguès mit bien des choses et bien des gens, à leur place.

Mais les juifs sentaient toujours que Lyautey manquait ou Maroc, lui qui les avait déclarés marocains. Les discours officiels, depuis quelques temps, semblaient l'oublier….exprès.

Chaque fois, il n'était question que de l'amitié, du rapprochement "franco-musulman", et non "franco-marocain". Les juifs saisissaient le nuance On ne pouvait pas mieux les exclure de la vie Marocaine.

Un cercle franco-marocain dirigé par un comité français, refusa d'admettre les juifs marocains. Ce cercle devint un foyer politique, où sous prétexte de rapprochement franco-marocain, on fit de le politique raciale. C'est là que fut préparé un statut futur du Judaïsme Marocain, prévoyant même le numérus clausus, l'exclusion de certains postes, etc… Si l'on considère que ces événements se passaient en 1938, l'on comprendra facilement le chemin parcouru dans les esprits par la propagande raciale. Et ce cercle politique prenait, aux yeux des juifs, ses inspirations, ses directives, de français….

Une désaffection, conséquence d'une déception morale, commença à se faire jour dans l'élément juif. Le dernier carré des amis de la France, et ce dernier carré présentait de la surface, croyez-le, tint à établir une distinction entre l'esprit des français de France et de celui des Français du Maroc. Malheureusement Gringoire, pour ne citer que celui-là, était là pour appuyer leurs contradicteurs.

N'importe, le travail de l'Alliance avait été si parfait, que la messe des juifs resta pure de toute contamination hostile au rayonnement français. Et les évènements allaient le montrer.

Munich.... la Tchécoslovaquie….Dantzig….La menace sur la Pologne.

LA GUERRE

Septembre 1839... La guerre est déclarée. Des centaines, des milliers de juifs, ardents à combattre l'Allemagne d’Hitler, se présentent au Bureau de Recrutement. Refus de ce service de prendre les engagements des juifs. Tout ce monde est renvoyé devant le Contrôleur Civil.

Les dirigeants juifs de la Communauté, se présentant à le Région Civile demandent au chef de le Région les motifs de son attitude. Il répond évasivement :

" On verrait… pour le moment, on n'a pas besoin d'engagés volontaires….

Pour se préparer une retraite stratégique, il suggère la création d’un comité juif chargé de recevoir les engagements et d'en dresser la liste, pour le cas échéant, permettre le recours à ces engagements.

Déjà, sur les six mille volontaires qui s'étaient présentés le premier jour, il n'y a plus que 1700 à 2.000 qui signent leur engagement dans le Bureau de Recrutement organisé par la Communauté, au Cercle de l'Alliance, rue Lacépède. Parmi ceux là trois frères, dont l'ainé avait à peine 23 ans, se présentent, accompagnés de leur père. Celui-ci, se tournant vers moi, qui était là comme membre de la presse, me déclare : " Je n'ai que ces trois fils; je regrette de n'en avoir pas davantage"

Ce père ne portait pas le chapeau haute forme ni la redingote bourgeoise, ni même la veste ou la casquette. Il portait simplement une djellaba noire et la calotte traditionnelle. Le fer n'avait jamais touché se barbe...

Qu'a-t-on fait de ces engagements ? Sans doute furent-ils jetés su panier.

Comme secrétaire à la rédaction de la Vigie, collaborant avec la censure, j'avais pour consigne de ne rien laisser passer su sujet des engagements juifs pour le durée de la guerre. Bien plus, leur participation à la Fraternité de Guerre devait autant que possible demeurer dans l'ombre. Voilà les consignes de la Résidence (ou de la Région) à l'époque Daladier.

Juin 1940... La défaite. Les juifs pleurent, car c'est aussi la défaite de la Liberté, de la Tolérance, de l'égalité et de la fraternité.

Les premières persécutions se précisent. Les juifs raisonnables disent "c'est la pression ennemie qui fait tout marcher".

Les juifs déçus, les amoureux dépités, s'écrient :

"Qu’a donc Pétain à jouer la carte juive ? C'était peut âtre son meilleur atout, il l'abat tout de suite. Vous verrez qu'il ira plus loin qu'Hitler..."

Si les mesures étaient purement gouvernementales, et si l'esprit des masses n'y trouvait pas satisfaction, le mal n'eut pas été grand. Mais le public approuvait : « c'est bien fait.. » et « ce n'est pas assez.. ». Le dahir sur la presse ne visait qu'un seul journaliste; celui sur les médecins ne dépassait pas la portée de 12 médecins: les avocats étaient à peine 25. Il y avait de quoi être fier. Un si petit groupe être honoré de tant de beaux dahirs !

Mais le Maroc voulut faire plus et mieux: les juifs marocaine furent expulsés ou menacés de l'être de leurs demeures en ville européenne. Les arabes ne manquaient pas de souligner auprès des juifs une telle maladresse.

- Constetez, disaient-ils, que le dahir ne vous expulse pas des Médinas, mais des quartiers européens. Ce sont les Français, vos amis, qui vous en veulent ; cela vous apprendra à les préférer à nous. "

Aux Français, les indigènes tenaient un autre langage:

-C'est vous qui avez ouvert la porte aux abus juifs ; vous voilà enfin réveillés. Nous avions donc raison de les tenir en état d'esclavage avent votre arrivée. Il faut les ruiner."

Et la ruine des juifs, qui ne commençait pas encore, fut ébauchée. Le renoncement des fortunes allait être suivis de mesures plus radicales. Le journal officiel de l'Etat français portait chaque jour des listes interminables de spoliations, de proscriptions.

Le Maroc allait suivre.

En attendant, pour ruiner le commerce juif, on se mit à dresser à tour de bras des procès verbaux pour marché noir. Pendant ce temps-là, on enrichissait, par tous les moyens, les marocains musulmans, ce qui leur permet aujourd'hui d'entretenir des offices de propagande et même des organisations de coups d'Etat. On semble actuellement revenu de cette erreur.

Aux juifs, les musulmans disaient :

"Vous étiez nos hôtes; avec nous, certes, vous n'aviez pas beaucoup de  liberté, Mais nous vous laissions faire dans vos Mellah ce que vous vouliez, sans trop vous gêner. Parfois même, vous poussiez l'audace  jusqu'à nous surpasser en droits. Vous vous êtes jetés à la tête des  Français; vous avez tenté de vous faire naturaliser français et devenir ainsi nos protecteurs". Si au lieu de cela, vous vous étiez unis " à nous contre les étrangers, nous aurions fait ensemble de grandes choses. Maintenant, après avoir collaboré à notre asservissement, vous  y passez à votre tour. Ce n'est que justice."

Voilà le langage que m'a tenu, non au présent, mais au futur, en 1938, Abdellatif Sbihi, mon confrère, directeur du Journal le Voix Nationale, interdit depuis deux ans pour faits de collaboration.

Abdellatif Sbihi, en 1936, m'a tenu un autre langage:

"J'ai vu Léon Blum, me dit-il. Il m'a reçu avec d'autres camarades musulmans, très simplement et très cordialement. C'est un homme que j'admire. " Au reste, n'est-il pas de Ma race ?' "

Ainsi s'exprimait Abdellatif Sbihi, au moment où les juifs lui paraissaient détenir la clé du pouvoir. Les mots soulignés dépeignent bien son état d'esprit à l'époque.

Plus tard, au cours d'une conversation privée, il m'a déclaré :

" Les juifs ont ruiné les arabes; ils se sont enrichis à nos dépens, grâce à leur connaissance du français. Ils n'ont jamais été aussi pressés, pour apprendre l'arabe, la langue du pays qui les vit naitre, et ils affectent même, pour nous narguer, de ne pas parler d'autre langue que le français. Nous allons bientôt les tenir, et nous nous vengerons. En tout cas, soyez certain d'une chose: nous ne leur laisserons même pas leur chemise sur le dos."

Voilà les beaux plans qui murissaient dans les cervelles nationalistes. Certains français, de me amis, dont l'un était mon camarade à la presse, m'avouaient naïvement que leur politique de "collaboration" avec les marocains exigeait que l'on sacrifiât les juifs. Plus tard, ces mêmes personnages, y compris mon camarade de presse, se sont distingués dans la "collaboration", celle qui consistait à recevoir les mots d'ordre d'un vainqueur détesté.

Sur le plan économique, les procès verbaux de la Commission des Prix pleuvaient sur les juifs, choisis d'ailleurs d'avance.

Un Commissaire (de police) de mes amis m'a déclaré :

" Nous recevions parfois des ordres ainsi conçus : Il nous faut deux millions d'ici le…… Débrouillez-vous ! "

Et l'on se débrouillait. Pour le Journal collaborationniste "Jeunesse" il fallait 300.000 Francs. On dépouille en un tournemain un nommé Chocron et le tour était joué. Etc.…. 

Par contre le Marché Noir, s'étalait au grand jour, et sur une grande échelle, dans les milieux nationalistes. Des millions, par centaines furent raflés. Des fortunes s'édifièrent, et l'on raconte qu'un commerçant en tissus qui n'avait pas en 1939 une centaine de mille francs, a fêté en 1942 son premier milliard, fête au cours de laquelle le champagne coula à flots, car notre néo-milliardaire n'oublia pas d'inviter les autorités. Si non é vero…. 

Dès le débarquement américain l'on commença à s'apercevoir de la faute commise en permettant le rapide enrichissement de certains nationalistes. Le paysan avait réchauffé dans son sein la vipère, celle-ci ne se gênait plus pour piquer.

La marche-arrière devait évidemment être lente et insensible, mais elle commença. Il est vrai qu'il n'y avait plus autant de belles occasions d'enrichissements. Le sens des procès-verbaux pour hausse, s'orienta vers un certain monde. Trop tard. L'on se souvient des évènements de Janvier 1944 et de l'exploitation tout à fait nouvelle qu'avaient tenté ces messieurs les nationalistes en interprétant à leur manière la charte de l'Atlantique.

Ils trouvèrent des juifs aigris per le Vichysme pour leur tendre la main et marcher avec eux. Mais ces juifs n'eurent personne pour eux, dans les communautés, qui observaient la plus stricte réserve.

Après les deux années de régime totalitaire où ils sentaient l'orage gronder sur leur tête, les juifs conservèrent-ils de l'amertume ? Certes, ils ne pouvaient du jour au lendemain, oublier les persécutions dont ils furent l'objet et cela d'autant moins, que le jour même du débarquement américain le 8 Novembre 1942, la Vigie marocaine publiait un communiqué prometteur: "La lèpre juive", annonciateur d'un pogrom pour le 15 Novembre 1942.

Tout de même, dons la joie de la libération, nous étions disposés à l'indulgence. Nous sortions d'un cauchemar, et nous imaginions dans notre candeur naïve qu'il n'existerait pas de français susceptible de considérer le débarquement américain comme un désastre national. Nous fumes vite fixés.

Au moment du défilé des troupes américaines, le 11 novembre, Place de France, les S.O.L. déchainèrent les goumiers et même de simple indigènes pris dans la foule, contre les juifs, qu'ils accusaient de manifester une joie "indécente" (le mot n'est pas de moi) à l'arrivée des américains au Maroc. Une bagarre qui eut pu dégénérer en pogrom éclata, la grande synagogue de la Place de France fut envahie par les indigènes, souillée, et tous ses vitraux volèrent en éclats. Il y a pour cent mille francs de réparations. La Municipalité a offert généreusement 6.000 frs.

Le jeune Henri Ohayon (tué à Sarrebourg le 22 Novembre 1944) et sa sœur Suzanne (aujourd'hui mariée au Capitaine Duranthon, aviateur)) ont été arrêtés et conduits au poste. On arracha au jeune Henri la croix de Lorraine qu'il portait, et on le menaça de le passer à tabac. Ce qui est humiliant, c'est qu'il fut libéré sur l'intervention du Consulat d'Amérique.

D'autre part, un millier d'arrestations étaient opérées ce jour-là car pour pouvoir arrêter les agresseurs indigènes, il fallait, par une politique de balance, arrêter également des victimes: moitié, moitié : une alouette, un cheval.

A Rabat, dès que l'on apercevait un juif en compagnie de militaires américains, on procédait immédiatement à son arrestation. Le président de la Communauté de Rabat aurait même reçu des autorités, instructions verbales lui demandant de désigner lui-même un certain nombre de gens à arrêter au Mellah, pour apaiser les arabes, ajoutait-on. La vérité est que les arabes n'étaient pas contents, non parce que les américains libéraient le Maroc et du coup ses persécutés, mais de ce que les allemands n'étaient plus les maîtres. Sacrifier les juifs au Moloch de la trahison c'était un peu paradoxal. Est-ce à dire que les indigènes aimaient les allemands ? Non. Ils trouvaient même que les français, somme toute, étaient de braves bougres, qui ne demandent qu'une chose: qu'on leur f.... la paix. Mais leur préférence pour l'allemand venait simplement de ce qu'ils en attendaient un ordre nouveau.

Peu à peu, cependant, l'étau se desserra autour des juifs. La politique timide de Giraud encourageait encore les collaborationnistes, mais les évènements allaient vite. Les juifs entraient par la petite porte, dans leurs droits. On mobilisa les français et on les envoya…au camp de Bedeau, camp de concentration plus que camp militaire. Encore une faute.

Dès Décembre 1942 à l'annonce de la création du Corps Franc d'Afrique les juifs allèrent s'engager en masse. Le premier jour, sur 1500 engagés de toutes origines, il y avait 1300 juifs.

Les autres jours, à l'avenant.

Mes enfants se trouvaient à ce moment-là eu DIM (Dépôt des Isolés Métropolitains) comme mobilisés non encore affectés. C'est là que l'on conduisit les nouveaux engagés.

Mais dès le premier jour, à la cantine, tenue par un légionnaire polonais antisémite, on refuse de servir les juifs. Une bagarre épouvantable s'en suivit et le polonais fut presque lynché par les nouveaux volontaires. On les traite mieux depuis.

Notons que parmi les engagés se trouvaient pas mal de jeunes gens de Mogador, qui ont fait la campagne de Tunisie et que l'on a depuis licenciés. Parmi ces jeunes gens de Mogador se trouvait le jeune Zagury fils de Fibin, qui e été avec mon fils Georges à Cherchell, et qui est aujourd'hui aspirant. Il avait gagné la croix de guerre à la campagne de Tunisie.

Mais ces engagements n'ont pas été maintenus. On reforme les neuf-dixièmes. Pour les juifs il est donc démontré une fois de plus, que tout se passe comme si quelqu'un avait intérêt à ce qu’ils ne participent pas à la guerre. Peut être tient-on à entretenir le vieux préjugé du juif lâche. Peut être tient-on aussi à maintenir centre le juif le préjugé d'égoïsme.

« Il y a de la gloire pour tous » écrivait il y a quelques mois, le journal "Le Combattant" qui reprochait aux juifs leur inaction alors que tout le monde se bat. Inclus copie de la lettre que j'ai adressée à cette occasion à l'organe des Anciens Combattants.

Les pointes, cependant, s'émoussent aujourd'hui; les plaies se cicatrisent. Le rayonnement de la France reprend sa puissance; les juifs malgré encore bien des injustices sociales ne se souviennent plus en général de l'odieuse époque nazie. Ils savent que ces injustices sociales ils les subissent, non comme juifs, mais comme indigènes: par exemple, l'inégalité dans la répartition du ravitaillement est également pleine d'amertume pour les juifs et les musulmans marocains.

Les juifs ont manifesté en toute circonstance, notamment depuis 1942, leur attachement à la France libérale, la république, dont les principes sinon toujours les actes, sauvegardaient, les droits de l'homme.

Le régime Vichyssois était tout naturellement abhorré, et constituait pour les juifs une monstruosité qui hurlait avec tout le passé de la France.

Ceci explique leur Gaullisme de la première heure. Parmi les juifs, il n'existait pas de nuances: on n'était pas pour la France si l'on n'était pas gaulliste. Et c'est tout naturel: de Gaulle ne symbolisait-il pas la lutte à outrance pour ce qu'il y avait de plus noble, de plus beau dans la vie, la Liberté, les Droits de l'Homme ? La France symbolisait à nos yeux la Liberté; beaucoup de Français hélas, l'ont oublié; mais nous, qu'aucun préjugé n'aveuglait et qui avions éprouvé que l'abaissement de la France consommait notre guise, ruine morale, ruine intellectuelle, ruine politique, ruine matérielle; nous qui perdions tout par la défaite de la France, sentions combien son rayonnement s'identifiait avec ce qu'il y a de plus noble dans l'humanité. Le mot lui-même "France" n'était-il pas synonyme de "Liberté"

Dès lors il n'y avait pour nous qu'une seule façon de manifester notre amour pour la France; soutenir, par tous les moyens, celui qui la symbolisait qui n'a jamais cessé de désespérer d'elle; dont la figure évoquait pour nous ces fières figures du passé; personnage du cap et d'épée; tel se le représentaient nos foules dans les plus humbles Mellah. Où ont-ils puisé cette image ? Peut-être dans les récits des aventures de d'Artagnan, humble personnage imaginaire, mais combien Français; peut-être simplement ont-ils associés de Gaulle à quelque noble figure de l’histoire de France, celle qui commence précisément par « Les Gaulois, nos ancêtres... » Vercingétorix moderne plus heureux que l'autre, et même plus constant dans ses desseins car lui ne sera pas traité derrière le char du vainqueur provisoire, et ne sera pas étranglé dans une prison. Il représente la France pure, sans compromissions avec les principes de liberté, la France de nos livres d’histoire, celle de la théorie et celle de la pratique. L'on peut être déçu par les régimes et les hommes, jamais par les principes.

La cinquième colonne ne nous pardonne pas notre attachement à la France nouvelle, qui n'est autre que la France renouvelée.

A Sefrou le 30 Juillet 1944, jour du jeûne d'Ab, à l'heure où les juifs étaient en prière dans leurs temples, les goumiers à la suite d'un léger incident qui n'était qu’un prétexte, se lancèrent à l'assaut du Mellah, saccagèrent les maisons, souillèrent et profanèrent la synagogue. Leur action fut couverte par leurs officiers, qui allèrent jusqu'à enfermer le receveur des P.T.T. un Français résistant qui avait cru devoir protester.

Plusieurs centaines de Juifs furent enfermés dans un local qui pouvait à peine en contenir des dizaines; pour respirer, ils durent enlever leur chemise, et se relayer devant une fenêtre. Le gardien de la prison leur vendait à prix d'or le droit de sortir dans la cour respirer un peu d'air pendant quelques minutes.

Le Mellah fut bloqué et privé de ravitaillement rendant trois jours.

Les femmes, les enfants, montèrent sur les terrasses donnent sur les rues de la Médina, et mendiaient aux passants un peu d'eau. Les chefs de la Communauté demandèrent à l'autorité une dérogation en faveur des enfants privés de lait. Cela leur fut refusé. Au bout de quatre jours, le commandant de la place est descendu au Mellah, soi-disant pour ouvrir une enquête. Le premier Juif qu'il rencontra ne lui ayant pas fait le salut militaire, obligatoire parait-il, il le cravacha et le fit emprisonner.

Une protestation, suivie d'un rapport, fut adressée eu Résident Général. Les groupements de la résistance se mêlèrent de l'affaire. Un rapport fut adressé à M. René Cassin, qui adressa une lettre interpellative à M. Massigli exigeant des sanctions. Celles-ci pour l'honneur de la France, furent prises.

Dans le Tadla un pacha commettait des exactions contre les Juifs. Ceux-ci réclamèrent, et après enquête, le pacha fut destitué.

Des abus furent également commis dans la région de Marrakech. Les Juifs ayant réclamé et fait intervenir la Communauté de Casablanca, furent à leur tour menacés d'emprisonnement.

A Mogador, des exactions furent commises per le Pacha - et l'on dit même que le grand rabbin n'y était pas étranger, ce qui est un comble. Des mesures étaient promises par les autorités d'Alger, à qui des propos furent rapportés, maie personne n'osa nous adresser des précisions et des témoignages, ce qui dénote, chez la communauté de Mogador, un certain abaissement. Au demeurant, on nous dit qu'actuellement le Pacha a fait mettre beaucoup d'eau dans son vin. Ce n'est pas la faute aux juifs.

N’avait-il pas, en pleine période de persécution raciale, monnayé à son profit le recensement des fortunes ? N’a t-il pas fait emprisonner un Rosilio ? Mais sans doute ce Rosilio là méritait-il d'être emprisonné, puisqu'il avait tant peur de la prison.

Tous ces petits détails, au-dessus desquels il faut planer, n'enlèvent rien à la grandeur de la France. Ils soulignent au contraire, l'anarchie consécutive à son absence. La politique indigène doit s'orienter vers des voies plus hardies. Rien ne sert de caresser les puissants et de laisser le peuple dans la misère. Louis XIV ne réussit que per l'abaissement des grands. Ce fut le secret de se politique. Il fut le roi le plus démocratique qu'ait connu l'ancien régime. Les "Commis" dont il s'entoure n'étaient-ils pas tous des "roturiers". La rage de Saint-Simon ne procède pas d'une autre cause.

Le régne de Louis XIV fat désastreux pour avoir méconnu ce principe de gouvernement.

Les contrôleurs civils ont-ils étudié l'histoire de France ? La haine de la République va-t-elle les aveugler au point de leur faire méconnaitre l'intérêt de la France ? La République commit des fautes, c'est entendu. Elle en commit une, surtout, capitale : celle de recruter ses serviteurs parmi ceux qui auraient voulu la voir abattue. Maintenant ils sont comblés. La IIIème République est morte, mais en nait une nouvelle, qui, si elle veut vivre, doit profiter des enseignements d'un vacant passé.

Quant un pacha commet des injustices, des exactions, c'est la France, pays protecteur, qui en endosse le dommage. Quand un caïd pressure le bled, c'est la France qui passe pour faire suer le burnous. C'est cela qui doit cesser.

La seule politique indigène convenable, c'est la propagande par l'assistance médicale, par l'aide Sociale, par la justice, par l'égalité, sinon encore entre protecteur et protégés, au moins entre protégés.

Que la protection soit efficace, et qu'elle ne soit pas un mot de pharisien. Qu'elle ne justifie pas ces paroles souvent entendues :

" Ah, si j'étais protégé anglais... Ah, si j'étaie protégé américain, ou seulement espagnol ou portugais...."

En ce qui concerne la colonie Souirie à Casablanca, je peux garantir que son affection pour la France est si fidèle qu'elle en est ombrageuse. Il s'y mêle une pointe d'amertume : celle qu'éprouve un mari trompé après le retour de l'infidèle au foyer. L'amour malgré cela subsiste, plus violent, plus susceptible. Voilà la psychologie du juif en général, et du juif marocain en particulier.

Pour terminer, voici une petite liste des juifs de Mogador qui, à ma connaissance, ont participé à la guerre contre l'Allemagne.

GUERRE 1914-18

   David COHEN

Croix de guerre avec palme et trois étoiles, habitant Paris et marié à une Française, a eu deux jumeaux, aujourd'hui âgés de 20 ans. Emprisonné pendant trente trois mois, et envoyé eu bagne d'Aurigny, près de Cherbourg, oû ses deux fils l'ont rejoint et ont été enfermée vingt trois mois. Sa femme, enfermée 9 mois, en sortit comme aryenne (elle était la fille du bedeau de la Synagogue de la rue de la Victoire, d'origine Alsacienne). Mis dans un wagon plombé pour être dirigés sur l'Allemagne, le père et ses deux fils parvinrent à s'échapper au cours d'un bombardement (Juillet 1944) et à rejoindre le maquis.

   Isaac SOUSS

   Médaillé militaire croix de guerre, engagé volontaire.

CIVILS

   LUGASSY Isaac

à Marseille depuis 1917. Il y a fait souche. Ses fils et lui ont pris le maquis dès l'invasion de la Provence. Ses fils servent dans l'armée française.

Ceux de Saint-Fons dont je ne me souviens plus des noms, et qui ont fait souche en France, ont été en grande partie massacrés.

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Médecin Lieutenant Joseph OHAYON - résistant depuis Novembre 40. A fait déjà la campagne 1939/40 et a été démobilisé en Septembre 40.

OHAYON Lucien - Campagne 1939/40 démobilisé en Septembre 40. Rappelé en Décembre 40. Campagne de Toulon, de France, d'Alsace, du Rhin. Encore sous les drapeaux.

OHAYON Georges - Classe 1941 - Rappelé en Décembre 1942 - (Ile d’Elbe-Toulon - France - Lorraine - Alsace)

   OHAYON René – Campagne de France – d’Alsace

   OHAYON Joseph – Fils de Meir – Engagé volontaire à 18 ans

CORCOS Ernest – Campagne 1939/40 engagé en 1942 – plusieurs blessures et citations

   CORCOS Albert – 1939/40 en France – FFI engagé à nouveau Citations

   CORCOS Philippe - Campagne 1939/40

   COSCOS Lucien - Campagne 1939/40 puis rappelé en 1942 Campagne deFrance

(Léon Corcos vous donnera les détails)

   Raoul AKNINE et son ou ses frères (demander détails aux Babaya)

   Humberto Lumbroso engagé volontaire, blessé citations

René SIMANTOB  - (fils de Mercedes Benchimol). à la division Leclerc campagne de Normandie d'Alsace

ZAGURY (fils de Fibi Zagury) Aspirant Campagne de Tunisie,Italie, France. Croix de guerre. Engagé volontaire

OHAYON Henri - Fils de Nissim Ohayon et de Simi Pinto. Engagé volontaire dans la division Leclerc, Croix de guerre deux fois cité, tué à Sarrebourg le 22 Novembre 1944

CARUCCI (Caroutchi) dit à Mogador "Ben Begga" engagé volontaire, tué

Mardochée Knafo - originaire de Mogador engagé volontaire, tué

SABBAH (le fils d'Abraham, frère de David Sabbah) engagé volontaire, porté disparu depuis quelques mois.

Il y a d'autres engagés volontaires; sur place il vous sera facile de les recueillir. Par exemple, le fila de Ben Tanarait, engagé pour la campagne de Tunisie, le fils d'Aflalo, corps Franc, etc..

Je ne vous ai donné que les noms de ceux qui sont nés à Mogador.