Crier au fascisme ne tue pas le FN

Publié le 01 juin 2014 par Polluxe

C’est un historien qui vient d’écrire la meilleure analyse sur la montée Front National. il rappelle justement que le fascisme est une mouvement politique aux caractéristiques historiques précises qui ne s’applique pas à tout mouvement d’extrême-droite. Les jeunes manifestants (et abstentionistes ?) de l’anti-fascisme feraient bien de relire leurs cours d’histoire, car pour combattre un phénomène encore faut-il bien le définir (les mots sont importants…). Il serait grand temps de prendre les bons axes d’analyse et de mettre à plat certains sujets, en traitant du fond sans se contenter de postures. Et ceci en France comme dans l’Union Européenne, car – comme le soulignait Dominique Reynié en commentaire des résultats des élections européennes du 25 mai dernier – la montée de l’extrême-droite n’a pas lieu qu’en France ou dans des pays en graves difficultés économiques : il y a l’Autriche, la Hongrie, le Danemark, les Pays-Bas… C’est un problème européen qui a aussi à voir avec le système de valeurs, l’identité, la civilisation. Faute de bien cerner le phénomène, il y a de fortes chances que les élections présidentielles de 2017 soit le calque de celles de 2002. Voici l’article en question d’André Ropert :

Est-il bien pertinent (comme l’ont encore fait les jeunes manifestants de la semaine dernière) de crier au fascisme si l’on veut s’opposer efficacement au Front national ?

 Le fascisme est une doctrine et une pratique politique précise qui, à l’heure actuelle, n’existe plus nulle part et c’est une facilité de langage d’en affubler toutes les dictatures, bien réelles (hélas !) dans ce monde. Et plus encore de l’attribuer à tout mouvement issu de l’extrême-droite, quel qu’il soit, comme une sorte de marque sui-generis.

Le fascisme (le vrai) suppose un chef charismatique, un parti unique éliminant toutes les autres formations, ayant vocation à se confondre avec l’Etat, s’appuyant dans sa phase de conquête du pouvoir sur des milices para-militaires, rejetant le libéralisme pour lui substituer, non l’abolition, mais la mise sous tutelle du capitalisme sous l’égide de l’état totalitaire. Son modèle, c’est le parti bolchevique léninien dont il est comme l’inversion, en copiant l’organisation et les méthodes et en substituant à l’idéologie communiste un nationalisme exacerbé. Dans les années 1920, le vieux socialiste allemand Karl Kautsky ne s’y trompait pas quand il écrivait :  » le fascisme n’est que le pendant du bolchevisme. Mussolini n’est que le singe de Lénine ».

Il faut donc beaucoup d’imagination pour identifier le Front national à un mouvement fasciste. Ni son organisation, ni ses méthodes d’action n’y correspondent et le décrire ainsi (ce que d’aucuns nomment sa « diabolisation ») ne l’affaiblit pas, bien au contraire. L’idéologie frontiste est un national-populisme, nourri des inquiétudes d’un peuple qui constate l’impuissance des partis de gouvernement et qui est saisi de la crainte de se voir disparaître, noyé à la fois dans la mondialisation, dans une Europe intégrée où sa souveraineté se dilue, et submergé par une immigration incontrôlable porteuse de valeurs qui lui sont étrangères. Ces craintes ne sont pas dénuées de tout fondement et si l’on veut combattre efficacement l’influence du Front, c’est à elles qu’il faut s’attaquer, avec autant de pédagogie que de résultats concrets, et non en caricaturant et en criant au fascisme.

Ne serait-il pas plus efficace de se poser certaines questions, à commencer par celles concernant le vote des banlieues, dont la population est majoritairement issue de l’immigration et qui ont donné au Front d’impressionnants pourcentages ? Ne faudrait-il pas voir dans ce résultat paradoxal comme l’appel au secours de groupes sociaux abandonnés par les pouvoirs publics et dont l’image est dépréciée auprès de l’opinion ordinaire ? Dans ces cités de non-droit, désertées par l’autorité publique, en proie au chômage massif et au sous-équipement, des individus, des familles qui souhaiteraient sincèrement s’intégrer sont pris au piège d’une double coercition, celle du trafic de drogue et celle du fanatisme religieux, le règne des gangs et celui des salafistes, qui ne sont pas sans partager une certaine connivence car à leur manière, les intégristes imposent un ordre dont a besoin l’économie souterraine pour prospérer. Happée dès l’enfance par les apparentes facilités du monde du trafic, endoctrinée à l’adolescence par les sectateurs du djihad, une partie de la jeunesse s’égare, au désespoir de parents qui avaient rêvé d’un autre avenir. Et rien ne vient à leur secours, le kärcher de la droite n’a jamais rien nettoyé et la gauche semble paralysée par la complaisante accusation d’islamophobie. Pourquoi dès lors ne pas mettre ses espoirs dans le Front national, peut-être saurait-il, lui, mettre de l’ordre…?

Vouloir répondre à ces attentes ne serait-il pas plus efficace, pour combattre et démystifier le Front, que défiler en se déclarant en lutte contre un fascisme qui relève du fantasme. Avant de s’inventer d’illusoires ennemis, essayons plutôt de comprendre la logique qui transforme peu à peu un vieux groupuscule nationaliste et extrémiste en parti politique influent. Le Front n’a pas de miliciens en uniforme dans les rues, mais il convainc des gens simples confrontés à une vie difficile qu’il pourrait faire mieux. Au vu de ce qui se fait jusqu’à présent, il n’a pas trop de mal.

C’est cela qui est inquiétant à terme. Nul besoin de convoquer le fantôme du fascisme pour s’en persuader.

Source : blog d’André Ropert.


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