« Tombé de l’armoire »

Publié le 05 juin 2014 par Rolandlabregere

En découvrant l’évolution de l’affaire Bygmalion, Nicolas Sarkozy aurait confié à son entourage qu’il en est « tombé de l’armoire ». C’est Le Parisien qui rapporte la confidence. En d’autres circonstances, un événement inattendu et d’une certaine ampleur aurait généré un grand étonnement, une grande surprise. Un politique cache désormais un acteur. Savoir faire le jacques est indispensable à la conduite d’une carrière.

L’expression n’est pas de la première jeunesse. Elle semble avoir les faveurs de la tribu des UMP et assimilés surtout quand ses principales figures sont mal lunées. Quand il a appris la teneur des écoutes de Patrick Buisson, Henri Guaino l’a utilisée. « Tomber de l’armoire » est une expression précieuse quand il s’agit de jouer la montre avant d’en dire plus. Elle sert, en quelque sorte, à meubler la conversation, histoire de prendre un peu de répit et de préparer une répartie appropriée. C’est qu’après être tombé de l’armoire, il faut se ramasser. C’est bien joli de tomber, mais il faut faire savoir que la chute est bien maîtrisée. Dans une autre circonstance, Alain Juppé a reconnu être tombé « un peu de l’armoire » (Le Figaro, 26/10/2011). En faisant le choix d'une pesanteur modérée, il ménage ses effets et les risques de cassure. En apprenant son éviction du gouvernement, J-F Bokel, socialiste rallié à Sarkozy, fit aussi une chute malencontreuse d’armoire (20minutes-blogs.fr/.17 nov. 2010). Dans son livre Deux ou trois choses que je sais d’eux (Grasset, 1997), Anne Sinclair rapporte que Jacques Chirac apprenant la défection d’Edouard Balladur déterminé à jouer sa propre partition, reconnaît « être tombé de l’armoire ». Quand la ministre de l’environnement avait déclaré à propos du projet de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes (RMC. 30/08/2012) qu’il s’agit « d’une infrastructure dont nous avons besoin », le député écologiste Noël Mamère avait exprimé son indignation en tombant lui aussi de l’armoire. Quand cette ministre est limogée, c’est au tour de Nicolas Hulot de « tomber de l’armoire » en constatant que la sanction qui la frappe est disproportionnée. (Le JDD, 06/07/2013). L’expression s’est popularisée en raison de sa capacité à jouer l’émotion. Elle appuie sur les effets sans insister sur les causes. Mis en doute par L’Equipe (25 juin 2013) après qu’un échantillon d’urine prélevé en 1998 révèle des traces d’EPO, le champion cycliste Laurent Jalabert dit tomber de haut. « Je suis tombé de l'armoire parce que quand on apprend ça, évidemment on ne peut pas être content, ça fait un choc », explique-t-il.

La formule est utile pour réagir à une révélation qui déstabilise et s’avère gênante. Lorsque l’armoire est trop haute, c’est la capacité d’agir qui est provisoirement altérée. La sidération face à la révélation ne doit durer que le temps de la chute. Les petites phrases qui se veulent riches d’à-propos sont là pour compenser les aléas du direct. Elles jouent le rôle d’amortisseur des mauvais effets.

Pour se prémunir de toute déconvenue, il est prudent de garder toujours à l’esprit une formule de première urgence. Tomber de l’armoire convient parfaitement aux situations embarrassantes. Vous êtes supposé avoir mis la main dans le pot de confiture ? L’indignation véhémente est contre-productive. Dites simplement que cela vous fait tomber de l’armoire. Le président déchu par les urnes ne s’est, certes, jamais risqué à s’affirmer comme une armoire à glace mais il rêve toujours d’éclat. Néanmoins, à force d’être cité par les médias dans de nombreuses affaires, il court le risque d’une mauvaise chute. Celle de tomber en désuétude.