« la gauche et la ville : le divorce ? » par philippe vignaud, architecte

Publié le 06 juin 2014 par Blanchemanche

Publié par Philippe Vignaud le ARCHITECTE URBANISTE ASSOCIÉ CO-GÉRANT SARL AGENCE RVA
Le 6 juin 2014,
Le gouvernement semble se détourner de la Ville, voici qu’elle le lui rend bien !
Cette prise de distance a été surlignée par les résultats calamiteux aux dernières élections municipales qui signalent bien le profond désamour qui s’installe entre la gauche de gouvernement et la ville.
Le 2 avril 2014 à 11h15, Pierre-René Lemas, alors Secrétaire Général de l’Elysée annonce à la presse la composition du premier gouvernement de Manuel Valls et scelle définitivement le sort du Ministère de la Ville. A cet instant, noyée entre la jeunesse et les sports d’un côté et les droits des femmes d’un autre –deux légitimes préoccupations gouvernementales-, la politique de la ville rend l’âme, étouffée sous les étreintes désespérément compassionnelles d’un exécutif qui ne voit plus alors que la dimension socio-culturelle de ces grandes politiques publiques.
Or, la ville est aussi un fait bâti, construit, physique et géographique, facteur d’activité économique, d’emploi et par conséquent de sécurisation du corps social.
L’enjeu social et économique de notre banlieue – franges de villes satellisées et centrifugées- avec ses huit millions de français et une moyenne de 900E de revenus par foyer fiscal en zones urbaine sensibles, requière puissance financière publique et privée, volonté politique et persistance dans le temps ; toutes absentes de l’action gouvernementale depuis plusieurs années.
Ce qui apparaît ici en creux comme un regrettable désaveu gouvernemental, fait suite à une démonétisation croissante de l’action sur la Ville depuis la fin du « plan Borloo » qui fut une des dernières grandes politiques publiques appliquées aux territoires urbains. Depuis, on parle vaguement d’un ANRU 2 dont il se susurre discrètement qu’il sera plus tourné vers l’humain… Peut-être une façon d’annoncer une absence de moyens financiers face aux énormes besoins urbains et sociaux de nos banlieues.
Pour autant, prenons garde à ne pas applaudir à tout rompre au plan Borloo dont chacun découvre avec une feinte stupeur que l’on a reconstruit le ghetto sur lui même, lorsqu’on ne l’a pas simplement « ripoliné » en place ! En d’autres termes on découvre aujourd’hui notre incapacité –nos réticences- collectives à redéployer la grande pauvreté, par égoïsme territorial lâchement concédé par un Ministre réduit alors à une gestion cynique du parc de logements sociaux : « Tu as mal géré tes bâtiments, je t’en finance la démolition et la reconstruction » ! « Sur place, ajouta le Maire ».
Dans le même mouvement, le Secrétaire Général de l’Elysée annonça aussi la dissection de fait – par absence de désignation claire- du pilotage politique du Grand Paris entre un ministère du Logement et de l’Égalité des territoires, un autre la Décentralisation et de la Fonction publique, sans oublier celui de la Ville déjà précité, un secrétariat d’Etat des Transports, de la Mer et de la Pêche.
Il s’agit ici d’un enjeu économique et social considérable pour le pays avec sa zone dense agglomérée de 7 millions d’habitants qui subissent au quotidien une double fragmentation territoriale, d’une part entre l’ouest qui accumule les richesses et l’est les coûts sociaux, et d’autre part entre un centre embolisé qui décide de tout et une couronne effilochée qui tente de ne pas se laisser distancer.
Pourtant, aujourd’hui la Région Ile de France, boostée par sa zone la plus dense dite du Grand Paris, avec 18% de la population française fabrique 30 % du PIB national se trouve encore la première agglomération Européenne, la cinquième mondiale et se situerait à la dix-huitième place dans le classement des Nations !
Pour autant, en ne commençant pas rapidement sa mue structurelle urbaine, économique et sociale, cette position privilégiée, cet acquis d’un autre temps, risque bien de connaître l’accélération d’une érosion déjà à l’œuvre, et la France perdrait ainsi un de ses derniers atouts territoriaux.
Entre autres choses, avec un exécutif organisé ainsi, la gauche de gouvernement est en train de passer à côté d’une de ses missions historique de gestion solidaire et durable des territoires. A lire ces deux exemples auquel on pourrait ajouter l’absence de mesures spécifiques et cohérentes envers les villes moyennes qui s’effondrent, délayées d’une part et disséquées d’autre part, la pensée et surtout l’action politique en faveur de la Ville et des territoires se trouvent réduites à peu de chose alors que l’une et l’autre sont constitutives de l’histoire de la gauche, son ADN, et représentent ses plus belles réussites.
D’une manière incompréhensible, le gouvernement semble ignorer la puissance des territoires, leur capacité à produire de l’activité économique et des richesses ou inversement à enregistrer durablement les stigmates des chocs industriels, des catastrophes écologiques, des désastres sociaux qui s’y échouent après toute débâcle économique.
Si cet impensé, doublé d’une inaction devait s’inscrire dans les faits et dans le temps il y aurait fort à craindre que soit alors entériné le divorce durable entre la gauche et les entrailles de ce pays devenu urbain à 80%. De ce point de vue, dans l’attente d’un coup de rein gouvernemental, prenons les dernières élections municipales comme un avertissement à peu de frais. Souhaitons que ce sinistre accident électoral soit de nature à réveiller les consciences comme ankylosées de nos dirigeants, qui restent cependant les nécessaires déclencheurs et porteurs des grandes politiques publiques en direction des Villes et des territoires.