Chronique de Milan, par Clémence Tombereau…

Publié le 07 juin 2014 par Chatquilouche @chatquilouche

Photo : AL

Il se dévêt sur une roche plate.

Il faut imaginer une eau au-delà du bleu – outre-mer donc.

Il faut imaginer des falaises puissantes, concentrant en leurs flancs toutes les nuances de l’ardoise, au pied desquelles des lignes régulières semblent tracées par l’homme plus que par l’érosion.

Elles se font spectatrices impassibles de l’homme minuscule, nu, dont la peau terriblement vivante, matière souple, musculeuse, rose pâle, contraste avec la matité des pierres.

Il faut imaginer une lumière du jour tellement effrontée, amoureuse de l’eau sur laquelle elle ricoche, que l’homme est contraint de plisser les yeux – il sourit en même temps. Deux mouettes devant lui fendent l’air en riant, se moquant bien de l’homme, se moquant bien du monde, hilares seulement de s’enivrer du vent.

Le poète tend les bras, fléchit les jambes, curieux automate de chair, avec une grâce qui le place entre l’oiseau et la créature aquatique. Il dédaigne son infirmité, son pied bot, qu’il a fini par réduire au rang d’insignifiant détail.

Il ne craint pas l’eau glacée, lui trouve quelque vertu pour calmer son éternelle ardeur.

Il plonge et l’eau froide, pareille à un étau solide, enserre chaque muscle. Chaque muscle se bat, chaque muscle se meut, pour se fondre au courant. Son corps déchire l’onde, n’a plus de poids, les bras comme des lames voulant trancher l’écume, ses jambes comme des ailes giflant le liquide. Nager. Retenir le souffle. Sortir la tête. Bouche gobant un peu d’air. Replonger la tête. Les yeux ouverts, voir le monde autrement, les yeux libres de pleurer, car en ces lieux les larmes n’existent plus : il n’y a que la mer. N’exister que par la froideur salée, la vaincre.

Il faut imaginer l’immensité des lieux, la liberté totale et l’absence des autres. Lestement il arrive à sa grotte secrète – on dirait une bouche creusée dans les falaises, aux reflets miroitants, aveuglants. Il se hisse sur ses bras, son corps dégoulinant retrouve lentement l’étrange pesanteur. Il est nu, dans sa grotte. Il s’ébroue, animal, avant de s’asseoir sur un rocher humide. Sur sa peau rendue pierre par le froid, des gouttes ruissellent et se prennent pour des astres. Il regarde l’azur, il regarde les falaises, les mouettes, ce décor gigantesque qui le couve sans savoir. Lord Byron est assis, nu, perdu au milieu du monde. Et le sourire long, parcelle d’horizon, dessine le bonheur de l’homme solitaire.

Nda : À Porto Venere, en Ligurie,  se trouve une grotte sous-marine dans laquelle lord Byron se rendait à la nage.

Notice biographique

Clémence Tombereau est née à Nîmes et vit actuellement à Milan.  Elle a publié deux recueils, Fragments et Poèmes, Mignardises et Aphorismes aux éditions numériques québécoises Le chat qui louche, ainsi que plusieurs textes dans la revue littéraire Rouge Déclic (numéro 2 et numéro 4) et un essai (Esthétique du rire et utopie amoureuse dans Mademoiselle de Maupin de Théophile Gautier) aux Éditions Universitaires Européennes.  Récemment, elle a publié Débandade(roman) aux Éditions Philippe Rey.

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)