“The Rover” de David Michôd

Publié le 10 juin 2014 par Boustoune

La trame pourrait être celle d’un western : Arrivant dans une petite ville poussiéreuse et quasiment déserte, un “cavalier solitaire”, Eric (Guy Pearce), taiseux et froid, s’arrête pour boire un verre dans le “saloon”. Trois “outlaws” en cavale après un braquage sanglant en profitent pour lui voler sa “monture”. Eric décide de les traquer pour récupérer son bien. Sa seule chance de retrouver leur trace est Rey (Robert Pattinson), le frère du chef de gang, blessé lors de l’attaque et laissé pour mort par les fugitifs. Eric le soigne et le remet sur pied, par pur intérêt, espérant qu’il pourra l’aider à retrouver la trace des voleurs. Rey, de son côté, a besoin d’Eric pour le protéger et l’amener à bon port. C’est un garçon un peu lent, souffrant sans doute d’une handicap mental léger, qui aurait du mal à survivre seul dans un environnement aussi hostile. Les deux hommes sont contraints de faire équipe pour traverser le désert et atteindre leurs buts, opposés…

Oui, tous les codes du western sont là. La description d’un univers sauvage, violent, sans foi ni loi, où il n’y a pas de place pour les sentiments. Les grands espaces qui sont le théâtre d’enjeux moraux vertigineux. Une ambiance faite de sueur, de sang et de poussière…
Et pourtant, The Rover n’est pas un western… Déjà parce qu’il se passe dans l’Outback australien, ce qui, d’un pur point de vue géographique, en fait plutôt un “eastern”. Ensuite parce que le “cavalier solitaire” n’est pas un cowboy mais un homme ordinaire, un peu paumé et détruit psychologiquement, que le “saloon” est un bar miteux et que la précieuse “monture” dérobée par les gangsters est une voiture, le seul bien qui reste encore au personnage. Autant d’éléments qui ancrent le film dans une toute autre période que celle de la conquête de l’Ouest.
Le film est surtout un “road movie”, puisqu’on suit le parcours d’Eric et Rey sur la piste des trois gangsters, croisant au passage quelques personnages singuliers. Et aussi un “film d’anticipation”, puisque le scénario se déroule dans un futur proche, “dix ans après la chute de l’économie mondiale”, dans un univers post-apocalyptique tout à fait crédible.

Mais après tout, peu importe le genre auquel se rattache le nouveau long-métrage de l’australien David Michôd. Ce qui compte, c’est surtout la force du propos, cette description d’un monde détruit par la folie des hommes, leur soif de pouvoir et d’argent sans bornes. Un monde sauvage dont les occupants sont retournés à l’état primitif. Un monde sans morale, sans valeurs, où la vie d’un homme a moins d’importance que celle d’un chien.
Le film impressionne par sa noirceur et son nihilisme. Il fait froid dans le dos, également, car ce qu’il décrit pourrait bien arriver un jour. Contrairement aux films post-apocalyptiques habituels, qui reposent généralement sur les conséquences dévastatrices d’un conflit atomique ou de catastrophes naturelles, celui-ci anticipe la chute du modèle économique occidental, tout à fait envisageable au vu des soubresauts actuels des systèmes boursiers et de l’essor d’anciens pays pauvres, en Asie, en Afrique ou en Amérique du Sud.

Le contexte n’est pas précisément détaillé dans le film, mais on comprend que l’Australie est devenu un pays du Tiers-Monde. Mais le pays attire les aventuriers en quête d’un travail. Les richesses naturelles des sous-sols australiens, et notamment les mines, créent quelques emplois. Evidemment, il faut être assez fort pour survivre aux conditions de travail difficiles, mais aussi à un environnement hostile, où il n’y a plus de gouvernement, plus d’autorités pour faire régner la loi et l’ordre.
On constate que toutes les boutiques sont aux mains de commerçants asiatiques, signe que ce sont désormais des pays comme la Chine qui dominent le monde. Les australiens, les américains ou les européens doivent se contenter des miettes et se battre pour leur survie et seuls les plus fourbes, les plus impitoyables, les plus dénués de scrupules sont aptes à s’en sortir. Un peu comme à l’époque des “ruées vers l’or” du XIXème siècle, aux Etats-Unis ou en Australie, ce qui marque un net retour en arrière, à des époques nettement moins glorieuses pour les “civilisations” occidentales…

Terrifiant? Révoltant?
Evidemment. Mais ce qui l’est encore plus, c’est de savoir que cette situation existe déjà actuellement, sur d’autres terres, d’autres continents. L’histoire récente a été témoin de troubles politiques et sociaux liés aux ressources naturelles dans des pays comme la Sierra Leone, la République Démocratique du Congo, le Nigéria ou la Guinée… Le cinéaste nous montre les conséquences de la cupidité des hommes, de la concentration des richesses et des pouvoirs, qui mènent l’humanité à sa perte. Il montre aussi les conséquences désastreuses des politiques économiques ultralibérales et de l’absence de régulation du système sur le comportement des Hommes.
On voit déjà que la crise favorise déjà des attitudes plus individualistes, des replis identitaires et des manifestations de colère. David Michôd imagine la suite logique : la régression vers des comportements animaux, des instincts primitifs.

Le film est âpre, sauvage, truffé d’éclairs de violence graphique – têtes explosées, corps criblés de balles ou roués de coups – mais le plus terrifiant, c’est l’absence totale de remords chez les personnages. Passe encore pour les gangsters, qui, par définition, sont des types sans foi ni loi, mais le personnage incarné par Guy Pearce, lui, fait froid dans le dos. Alors qu’on aurait pu le prendre pour un type ordinaire, sans histoire, il montre le même caractère impitoyable que les voleurs. Son obsession à récupérer son bien, quel que soit les moyens employés, le fait glisser dans la catégorie du psychopathe dangereux. Et pourtant, dans cet univers déshumanisé, c’est le seul personnage auquel on peut s’identifier un tant soit peu, ce qui renforce encore le trouble éprouvé…

Conscient du caractère très sombre de son récit, le cinéaste lui apporte une petite lueur d’espoir à travers la relation qui se noue peu à peu entre Eric et Rey.
Le premier ne voit tout d’abord dans le second qu’un moyen de retrouver la trace de ceux qui ont dérobé sa voiture, mais il finit par s‘attacher au jeune homme, plus victime des circonstances que véritable méchant. Contrairement à ses frères et à Eric, Rey n’a pas vraiment eu conscience de l’effondrement de la société. Il a quitté l’enfance pour être propulsé directement dans un monde brutal, violent, sans concession et sans repères. Sans doute aurait-il évolué différemment dans un autre contexte. En tout cas, il possède encore une certaine naïveté, une fragilité, qui finit par émouvoir Eric, qui n’a pas toujours été un être froid et dur, comme on le découvrira, par petites touches, tout au long du périple…
Rey est la preuve qu’une once d’humanité peut encore exister dans ce chaos, même de façon fugace. Il éclaire les ténèbres d’une petite lueur d’espoir.

Le charme de The Rover repose beaucoup sur cette relation entre les deux protagonistes, et, évidemment, sur la complicité de ses deux comédiens principaux, tous deux excellents.
Guy Pearce est impeccable dans la peau de ce type fatigué, forcé de sortir de ses gonds pour récupérer le seul bien qui le rattache encore à son passé, à sa vie d’avant, plus heureuse. Il possède à la fois l’aspect rassurant de “Monsieur tout le monde” et une sorte de profondeur insondable, qui peut abriter la folie et la rage du personnage.
Robert Pattinson, qui avait déjà réussi son virage post-Twillight avec le Cosmopolis de David Cronenberg, impressionne dans le rôle assez casse-gueule de ce jeune truand simple d’esprit et fragile, en quête d’un substitut paternel ou fraternel. Il incarne son personnage avec beaucoup de subtilité, loin des stéréotypes habituellement liés à ce genre de rôle.

La mise en scène de David Michôd fait le reste.
Si certains tics de mise en scène gâchaient quelque peu le plaisir éprouvé face à Animal Kingdom, son premier long-métrage, ce n’est plus le cas ici. Le cinéaste a su affiner son style, le débarrasser de ses affèteries, et cela ne fait que renforcer la puissance de certaines scènes, aptes à hanter pendant longtemps les mémoires des cinéphiles.
On pense par exemple à cette séquence hallucinante où un véhicule effectue des tonneau derrière le personnage de Guy Pearce, tranquillement accoudé au bar et impassible. Ou à la rencontre pour le moins brutale entre le “héros” et un trafiquant d’arme de petite taille…

Oeuvre forte, intense, proposant à la fois un film de genre efficace et une réflexion sur l’état du monde contemporain, The Rover aurait mérité les honneurs de la compétition officielle cannoise plutôt que de l’accessit qui lui a été consenti par le biais d’une séance de minuit, hors compétition.
Espérons que l’exposition médiatique aura été suffisante pour permettre à ce road-movie sauvage de trouver son public.
Quoi qu’il en soit, il impose définitivement David Michôd comme l’un des nouveaux cinéastes à suivre de très près. Il ne fait nul doute qu’il est promis à une belle carrière, si le monde ne s’écroule pas avant…

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The Rover
The Rover

Réalisateur : David Michôd
Avec : Guy Pearce, Robert Pattinson, Scoot McNairy,
David Field, Gillian Jones, Susan Prior, Nash Edgerton
Origine : Australie, Etats-Unis
Genre : western, eastern, road movie et anticipation
Durée : 1h42
Date de sortie France : 04/06/2014
Note pour ce film :
Contrepoint critique : Télérama

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