Pourquoi et comment le diesel est devenu l'ennemi public n°1

Publié le 18 juin 2014 par Blanchemanche

Par Anna Rousseau

Du statut de carburant prioritaire, le diesel est passé à celui d’empoisonneur. Et c’est vrai qu’il pourrit la vie des constructeurs. Surtout en France.



Gaz d'échappement d'un moteur diesel. AFP
Les députés ont beau le dévisager sévèrement, Carlos Tavares, le nouveau patron de Peugeot Citroën, n’a pas du tout l’intention de se laisser faire. Auditionné le 20 mai dans les sous-sols de l’Assemblée nationale par la commission des Affaires économiques, il présente la stratégie qu’il vient de mettre en place pour sauver son groupe. Et voilà que toutes les questions, ou presque, portent sur le diesel ! "On parle de 42.000 morts prématurées chaque année", accuse une députée. "Les constructeurs français sont les spécialistes d’un diesel que l’on diabolise maintenant", s’inquiète un autre. Delphine Batho enfonce le clou : "Comme le dit Louis Gallois, le problème de la France, c’est le diesel."

Point de vue de constructeur

Carlos Tavares voit bien le danger : les élus sont tentés de faire porter la responsabilité de la pollution de l’air aux constructeurs. Il se bat. "Durant des décennies, on nous a dit : le problème, c’est le CO2. Alors nous avons développé le diesel. Après, on nous a dit que le problème, c’était les particules. Alors nous avons développé les filtres à particules. Et maintenant, c’est le dioxyde d’azote !" Il fait une pause. "Nous sommes ouverts au dialogue, mais dites-nous quels polluants il faut mettre sous contrôle." En signe d’apaisement, il vient avec une proposition : l’Assemblée nationale pourrait nommer une commission d’experts indépendants, qui interrogeront les ingénieurs de Peugeot Citroën. "Si je les écoute, le diesel moderne, avec filtre à particules, est propre. Mais venez le vérifier." Approbation générale des députés.Cela fait deux ans que les pouvoirs publics ne peuvent plus ignorer le sujet. Le 12 juin 2012, l’OMS a provoqué un séisme en classant les gaz d’échappement des moteurs diesels comme étant cancérogènes pour l’homme. Depuis, les études s’accumulent, unanimes. Escape, une étude paneuropéenne coordonnée par l’université d’Utrecht, a apporté la preuve en 2013 du lien entre pollution aux particules et cancer du poumon, risque d’infarctus, sous-poids des bébés à la naissance…

Paris, à la pointe du combat

A Paris, où 45% des particules fines présentes dans l’air proviennent du trafic routier, l’Institut national de veille sanitaire a calculé que l’espérance de vie pourrait être allongée de six mois si les niveaux limites de particules fines fixés par Bruxelles étaient respectés. Ils sont dépassés… 200 jours par an.Pas étonnant que les candidates à la mairie de Paris, Nathalie Kosciusko-Morizet et Anne Hidalgo, aient toutes deux fait campagne contre le diesel. Anne Hidalgo a d’ailleurs bien l’intention de tenir sa promesse de janvier 2014 d’"éradiquer le diesel" de la ville. Le 19 mai, devant le premier Conseil de Paris de sa mandature, elle a détaillé sa politique antipollution, très ciblée : la flotte municipale sortira du diesel dès la fin de l’année ; professionnels et particuliers seront incités financièrement à changer de véhicule ; d’ici à 2020, dans la majorité des rues de la capitale, la vitesse sera limitée à 30 kilomètres-heure, et la circulation interdite aux véhicules les plus polluants – comprendre : ceux qui carburent au gazoleLes élus parisiens ne cachent pas leur volonté de servir d’exemples, y compris au gouvernement. "En France, la pollution de l’air est subventionnée par l’Etat", a accusé Christophe Najdovski, l’adjoint aux transports (Verts), le 19 mai. C’est bien parce que l’Etat a mis en place une fiscalité avantageuse que le diesel a phagocyté le marché : d’un quart du parc automobile en 1995, il en détient les deux tiers aujourd’hui. Mais comment faire marche arrière ? Le chantier est gigantesque !

Reculades politiques

Selon les calculs de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), un tiers seulement des 19 millions de voitures diesels qui circulent en France sont équipées de filtres à particules. La mise en place d’un contrôle technique écologique a été étudiée par Bercy, qui l’a rejetée pour ne pas fâcher 19 millions d’électeurs. Pour la même raison, l’écart de taxation entre l’essence et le diesel ne sera réduit que de 1 centime en 2015. Un temps séduit par une nouvelle prime à la casse, Arnaud Montebourg a fini par y renoncer : "La dernière fois, on s’est aperçu que les Français achetaient des petites voitures, qui ne sont pas fabriquées en France, confirme un conseiller. Le ministre ne veut pas en entendre parler."Si, en France, les politiques pataugent, l’Union européenne, elle, a réagi il y a plus de vingt ans. Elle a imposé les premières réductions d’émissions dès 1992. Les constructeurs ont donc été obligés de faire évoluer leurs technologies. Sur les véhicules diesels, les émissions de particules ont été contractées, passant de 360 grammes-kilowattheure en 1992 à… 0,01 en septembre prochain, date de l’entrée en vigueur de la norme Euro 6. Mais plus le diesel devient propre… plus il devient cher. Rien qu’entre la norme Euro 5 (2009) et la norme Euro 6, Peugeot Citroën a investi plus d’1 milliard d’euros en recherche.Et logiquement, ce sont les clients qui paient en bout de chaîne : le surcoût est estimé entre 800 et 1.000 euros pour un véhicule particulier, 10.000 euros pour un camion. Prohibitif. "C’est comme l’eau qui monte : le surcoût est trop important pour une petite voiture comme la Twingo, explique un dirigeant de Renault. Donc, à partir de septembre, elle n’existera plus en diesel. La prochaine, ce sera la Clio…" Le comité des constructeurs français d’automobiles estime que, dès 2020, le diesel ne représentera, au mieux, que la moitié du marché (67% en 2013). Pour les véhicules industriels, c’est une autre histoire : 100% de la flotte est diesel. La R&D du secteur pousse les feux, comme MAN, qui vient de vendre 250 bus hybrides et au gaz à Paris, et teste, avec Suez, des camions-poubelles électriques de 26 tonnes en Belgique. Sachant qu’ils coûtent dix fois plus cher que des camions-poubelles diesels, on est loin du but.Même si Carlos Tavares a raison, et que les particules fines sont bel et bien filtrées par les moteurs Euro 6, il reste un problème : l’oxyde d’azote, lui aussi émis par le diesel. "L’oxyde d’azote, une fois rejeté, forme des particules secondaires un peu plus loin, s’inquiète Gilles Aymoz, chef du service qualité de l’air à l’Ademe. Ce sont des particules ultrafines qui passent très certainement dans le sang." De Charybde en Scylla.