Bien avant Photoshop et compagnie…

Publié le 19 juin 2014 par Lifeproof @CcilLifeproof

Je tenais à faire un retour dans le passé – pas si lointain que cela – pour parler d’une technique un peu révolue, mais qui crée des possibles remarquables. À mon sens, c’est parfois nécessaire de connaître l’histoire des procédés, en l’occurrence de la photographie, pour retrouver l’expérimentation créative de la matière. Le lien émotionnel entre un photographe et ces procédés est renforcé ; de l’étonnement, de la surprise, de l’imprévu, de l’incontrôlable les accompagnent tout au long du travail engagé.

Gertrude Käsebier, Le Cristal magique, 1904

L’intervention sur le support n’apparaît pas avec les logiciels de retouche ; elle date depuis l’invention de la photographie. Le pictorialisme en était féru. Né dans les années 1890 à Vienne, ce mouvement international – il s’est propagé dans toute l’Europe jusqu’aux États-Unis – est une réponse à la crise, que subit la photographie, en proie au doute sur sa vraie nature, alors qu’elle est en plein essor. Par ce courant, le médium photographique renonce à lui-même, à sa nature mécanique et chimique pour devenir artistique, bien loin du réalisme tant recherché. Le labo prend une part importante dans le travail des pictorialistes, bien plus que la prise de vue ; le tirage en positif devient l’instant décisif dans une recherche de la complexité technique, refusant la photographie de masse prônée par Kodak. C’est un art de la nuance. Cette revendication est justement permise par l’utilisation de la gomme bichromatée.

Il s’agit d’un procédé pigmentaire, par lequel le photographe estompe, efface, métamorphose le cliché tout entier ou seulement certains éléments. Enduit d’une solution de gomme arabique, de bichromate de potassium et de pigments colorés, le papier est exposé à la lumière. Ainsi, le mélange durcit selon la quantité de lumière, pénétrant le négatif. Contrairement au processus habituel du développement d’un tirage, le papier n’est pas plongé dans le révélateur, mais nettoyé soigneusement à l’eau tiède ; on parle de dépouillement, réalisé au pinceau, d’où l’idée d’un transfert très présent entre la peinture et la photographie. Par ce geste, la solution se dissout pour faire apparaître les zones claires, tandis que les zones sombres sont colorées par le pigment.

L’œuvre de cette photographe américaine, Gertrude Käsebier (1852-1934), intitulée Le Cristal magique, (1904) est tout à fait caractéristique de ce mouvement et de cette technique. Ce cliché illustre à la fois l’utilisation de la gomme bichromatée, travestissant la réalité, mais également l’univers fantasmagorique que je perçois dans la photographie ancienne. Outre son titre, faisant clairement référence à la magie, l’image montre la vision de l’artiste, dans sa volonté de nous entraîner dans son propre imaginaire. L’usage du procédé est ici employé pour estomper les détails et pour entremêler les éléments les uns dans les autres. Une impression fugitive, une sensation de présence en mouvement, englobent la femme, penchée au-dessus de la boule de cristal, comme si cette brume en sortait. Des effets d’harmonie, de volupté, de douceur, de préciosité, induits par la gomme, accentuent l’univers mystérieux du cliché.

Le photographe était avant un chimiste et un sculpteur, qui manipulait et modelait la matière photographique pour exprimer sa créativité, nous plongeant dans un monde imaginaire. Le hasard fait également partie du résultat, car sans lui, il n’y aurait pas cette surprise que nous ressentons, dès lors qu’une image se révèle à nous.

Caroline.