[Itw] Komikku : premier bilan pour l’éditeur-libraire…

Publié le 01 juillet 2014 par Paoru

Nouvelle interview éditeur, une que je cherchais à faire depuis 2 ans et qui s’est enfin concrétisée : celle des éditions Komikku, via une entrevue avec Sam Souibgui, le directeur éditorial et fondateur. Fin mai et en direct du Japon, l’homme a accepté de revenir sur la création de sa maison d’édition, la place qu’a tenu la librairie du même nom dans son parcours et son attachement, plus général, aux libraires (cf l’interview de la librairie Komikku, d’ailleurs)… Nous avons aussi évoqué les premières réussites et les premières déceptions, l’attrait de Sam pour les seinens et son point de vue sur les salons japonisants. Un premier tour d’horizon que je vous laisse tout de suite découvrir…

Partie 1 : La genèse de Komikku : Japon, livres et seinen…

Bonjour Sam…

Peux-tu nous dire quand et comment Komikku est né ? Comment est-on passé de l’idée au concret ?

Tout commence il y a une vingtaine d’années. J’étais journaliste dans la presse jeu vidéo et après une longue expérience dans le marketing, chez Ubisoft entre autres, j’ai voulu revenir vers le papier. Mais je ne savais pas comment.

J’en ai discuté avec ma petite sœur et, de brainstorming en brainstorming, nous nous sommes rendus compte que nous avions une passion commune, le Japon, et ce qui marche bien au niveau papier c’est le manga. Donc on a monté la librairie ensemble, avec la ferme intention au bout de 8 à 10 ans de devenir éditeur, un peu comme avait fait Tonkam au début des années 1990. Finalement les choses sont allées plus vite car la librairie a rapidement rencontré le succès, et nous avons pu commencer à bosser sur le projet de maison d’édition à l’année 3, c’est à dire en 2011.

A l’époque le constat était que les acteurs du marché s’endormaient un peu sur les lauriers, en dehors de quelques éditeurs indépendants comme Ki-oon par exemple, et ça manquait cruellement d’imagination. Je ne voulais pas commettre les même erreurs qu’eux donc je trouvais nécessaire de passer par la case libraire pour comprendre les rouages de ce métier, repérer les bons diffuseurs, etc. Tout ça pour avoir une vision optimale de la diffusion, de la distribution…

De toute la chaîne du manga en fait…

Exactement. Et pour l’instant ça se passe bien, car dans l’histoire du manga je pense que nous sommes l’éditeur indépendant qui a le plus beau démarrage. De nombreux éditeurs japonais nous font confiance, nous travaillons déjà avec une douzaine d’entre eux et la liste s’allonge depuis que je suis au Japon.

Concrètement, que représentait la librairie dans cette aventure ?

En dehors des choix évoqués plus haut, le pari de la librairie était vraiment de prouver au marché qu’il y avait un vrai potentiel adulte pour les mangas. Depuis toujours le manga est toujours associé au shônen – Dragon Ball, Naruto, One Piece, Fairy Tail, Bleach, etc. – et nous voulions démontrer aux éditeurs et aux libraires que s’enfermer dans le schéma typique de la libraire traditionnelle, avec des T-shirts des posters et des figurines Naruto accrochés partout, n’était peut-être pas le business model de l’avenir…

Ce que tu évoques me rappelle Konci et d’autres du genre…

Konci et d’autres boutiques de la rue Keller qui évoquait plus des souks indiens que des vrais petites boutiques japonaises. Nous avons choisi de nous installer à Opéra, dans un quartier qui n’était pas saturé en terme de librairie spécialisée, qui était plus adulte – il y a 4 000 employés BNP Paribas par exemple – et qui était aussi culturel et touristique. La formule a séduit et très rapidement notre best-seller a été Les Gouttes de Dieu et non pas Naruto. Derrière nous avons eu des ventes record sur Ikigami, Les vacances de Jésus et Bouddha, Thermae Romae, ….

Nous avons réussi à prouver qu’il y avait une vraie demande de la part de ces adultes mais que l’offre n’était pas encore assez fournie. Par exemple le lectorat adulte de Monster d’Urasawa s’est retrouvé bien seul une fois qu’ils ont lu ce titre car il n’y avait rien d’autre qui arrivait derrière.

Certains des éditeurs qui ont lancé les premiers seinens ont publiés ça un peu en vrac, mélangés dans leurs shônens et leurs shôjos sans les appuyer correctement en terme de communication auprès de la presse grand public… Quand tu as un bon seinen mais que tu ne le rends pas visible auprès de la cible, il ne se vend pas. Beaucoup d’éditeurs sont restés trop ancrés dans un schéma type : « on communique sur Animeland, on communique sur Manga News et Manga Sanctuary » sans essayer d’aller voir et de convaincre Telerama ou des sites webs plus généralistes.

Maintenant le problème de l’offre est résolu, on commence à avoir suffisamment de seinen sans que ce secteur ne soit encore saturé.

Que dire de ce public adulte de lecteur ?

Qu’il est plus sélectif mais aussi plus ouvert…

Grégoire Hellot disait plus patient aussi, par rapport au lectorat adolescent…

Effectivement et il y a un double raisonnement là-dessus. Tu peux attendre six mois entre deux sorties, c’est ce que fait Grégoire sur Jésus et Bouddha, car les habitués de franco-belge attendent parfois un an leur titre. Six mois c’est parfaitement raisonnable, presque rapide.

En revanche sur le shônen il faut être prudent et ne pas se précipiter pour autant. Si tu sors une série courte, un shônen qui s’étale sur cinq-six volumes, et que tu sors un tome tous les deux mois… Tu tues ta série. Tu la tues parce qu’une fois arrivé au dernier volume, les libraires n’ont plus de place et ils retournent la série chez le diffuseur, ce qui annonce généralement la fin de sa vie.

Sur les séries plus longues, comme One Piece ou Naruto, on publiait un tome tous les deux mois parce qu’on le pouvait et qu’on rattrapait le rythme japonais, mais je pense que les jeunes lecteurs auraient très bien pu attendre 3 mois au lieu de 2. C’est juste une mauvaise habitude qu’on leur a donné. Ensuite l’adolescent peut acheter 60 tomes de One Piece sans que ça pose problème, mais pour un adulte, au delà de 18-20 tomes, il en marre et il a envie que ça se termine. C’est souvent le cas, je le vois en boutique sur les Gouttes de Dieu dont les ventes chutent nettement.

Après il y a toujours des exceptions, comme pour les séries télés qu’on ne veut pas voir s’achever mais je pense que l’adulte a besoin de vivre et de lire plein d’histoires différentes.

Si on vient maintenant aux éditions Komikku… Quels étaient les objectifs éditoriaux et commerciaux lors du lancement ?

L’idée était qu’il ne servait à rien d’être un énième éditeur sur le marché qui allait contribuer à la saturation de ce dernier. Mon moto était (et est toujours) : si je suis présent sur ce marché c’est pour l’élargir. Pour se faire, deux voies : celles des adultes en trouvant des séries pour les gens de 40-50-60 ans qui lisent de la BD et qui ne sont pas encore habitués au format manga et en parallèle il faut préparer cette fameuse « relève » sinon dans 20 ans il n’y aura plus personne pour lire des mangas. Donc dès que les enfants commencent à lire, vers 6-7 ans, il faut leur fournir des titres pour les habituer au système narratif japonais, complètement différente du mode occidental, il faut les habituer à ce tracé assez particulier dans lequel nous avons baigné grâce aux dessins animés… Il faut leur permettre de développer cette sensibilité. Kurokawa y arrive très bien avec Inazuma Eleven, Pokémon mais ce n’est pas assez, il faut trouver d’autres titres pour assurer une nouvelle génération.

On veut donc élargir le marché et ça se voit dans notre catalogue : on prend des risques, on essaye des choses nouvelles et certaines marchent, d’autres non. Mais mon idée ce n’est pas de faire que du manga car pour s’en sortir dans le milieu de l’édition il faut jouer la carte de la diversification. Comme ma passion c’est le Japon je vais d’abord jouer cette diversification autour du Japon mais l’envie première qui m’a fait choisir ce métier c’est le papier, c’est l’objet livre, donc peut-être qu’à terme je deviendrai un éditeur qui fera d’autres choses. Comme Glénat par exemple, qui a commencé par de la BD et qui proposent maintenant des livres sur la montagne, sur les poissons japonais, etc. (exemple avec Yanaka de chez Komikku, ci-contre, NDLR)

De toute façon pour progresser, il n’y a que deux façons : la plus mauvaise c’est la saturation du marché et la surenchère, ou alors c’est la diversification. sur un segment t’es limité par le nombre de mois qu’il y a dans une année : une nouveauté par mois, deux à la limite si elles sont sur des cibles différentes mais ça reste restreint. Et donc, pour faire progresser ta boite tu peux créer un nouveau label et de faire de la littérature, par exemple. Ainsi tu publies douze nouveautés en littérature et autant en manga. A mon avis c’est comme ça qu’il faut évoluer.

Après, à titre personnel, je fais ça car j’ai fait le tour des boulots que je voulais essayer et maintenant j’ai envie de me faire plaisir. Si un jour j’ai un titre comme Naruto qui débarque et que je vends des centaines de milliers d’exemplaires je serais heureux, mais tant que les œuvres que je propose arrivent au seuil de rentabilité je suis largement satisfait. Je n’ai pas besoin d’en vendre 30, 40 ou 50 000… Après je ne cracherais pas dessus car cela me permettrait d’acquérir d’autres titres plus confidentiels mais que j’ai envie d’éditer. Mais pour le moment j’ai envie de me faire plaisir…

Et donc de ne pas publier des titres « alimentaires »

Voilà. Peut-être qu’un jour j’y serais obligé mais pour le moment ce n’est pas le cas. Tous les titres que nous avons m’ont plu, par un aspect ou par un autre. Malicious Code, notre plus gros succès, m’a plu par son tracé, ses effets en flous et focus, alors que je ne suis pas forcément très shônen. Tous mes choix sont personnels et j’espère que ça restera comme ça longtemps.

On sait qu’avec les japonais la première rencontre et le premier travail n’est pas évident…Comment s’est déroulé ta prise de contact avec eux et pourquoi t’es-tu installé au Japon ?

Tout est lié : le Japon et moi ça remonte à l’automne 98. La première fois que je suis venu c’était pour un Tokyo  Game Show, le salon du jeu vidéo que tout le monde connait. Je suis arrivé en septembre et j’ai posé mes valises à l’hôtel. Comme tout bon geek je suis allé à Akihabara, il pleuvait des cordes et la nuit était déjà tombée. Quand je me suis retrouvé au milieu de tous ces buldings éclairés, tous ces écrans, j’avais l’impression d’être dans Blade Runner. Et je me suis dit : c’est là que je veux vivre.

J’ai continué mon petit bonhomme de chemin en gardant ça en tête. Quand nous avons décidé de monter la maison d’édition, le plus dur a effectivement été la prise de contact avec les Japonais. Ils mettent beaucoup de temps à te faire confiance, même si une fois que lien est créé c’est bon. J’ai essayé de contacter différents agents avec lesquelles bossent les éditeurs français comme Tohan, etc., mais ils ne m’ont jamais répondu.

Et là on peut dire que je dois une fière chandelle à Ahmed (Ahmed Agne, directeur éditorial des éditions Ki-oon, NDLR), car je lui ai expliqué que je voulais faire des offres sur les titres. Il m’a mis en contact avec leur agent chez Tuttle Mori avec qui il travaille depuis longtemps et elle a décidé de me rencontrer à Paris pendant le Salon du Livre 2012. Le projet lui a plu et elle m’a dit : « le seul moyen de pouvoir obtenir vos premières séries c’est d’aller voir les éditeurs japonais sur place. » Je lui ai répondu du tac au tac : « je peux être dans 15 jours à Tokyo. » Deux semaines plus tard je prenais l’avion, elle m’a reçu et elle m’a fait faire la tournée de tous les éditeurs dont j’avais repéré des ouvrages, dont L’île infernale. Pour ce dernier nous avions préparé un super plan marketing et une super offre qu’ils ont accepté l’offre avant même de m’avoir rencontré.

Du coup, quand nous sommes allés voir les autres éditeurs, Media Factory, Hakusensha, Shôdensha, etc., ils pouvaient voir qu’un éditeur japonais nous faisait déjà confiance. Les autres ont commencé à suivre : Akita Shoten a appris qu’on avait signé chez Media Factory et un autre titre Shôdensha et ils ont accepté de nous céder les droits de Mes petits plats faciles qui cartonnait à l’époque au Japon. Ça nous a permis d’aller voir des titres chez Shinchôsha et chez Hakusensha. Quand il y en a un qui te fait confiance ça ouvre petit à petit les portes des autres : nous avons rencontré les équipes de Kodansha et désormais ils acceptent et étudient nos offres. Nous n’avons pas encore eu de réponses positives mais nous avons réussi récemment à être en compétition sur un très gros titre avec de gros éditeurs mangas français.

Dans nos propositions il y a un truc qui plait beaucoup aux éditeurs : aucun titre – et je dis bien aucun – ne sort sans communication. Ils sont tous marketés, bénéficient de communication avec des envois massifs et systématiques à la presse et c’est important. Le fait que nous poussions les titres est donc quelque chose qui plait aux Japonais, comme on l’a fait l’an dernier à Japan Expo pour marquer un grand coup. On voulait montrer qu’on est capable de faire de la promotion d’envergure. On leur explique aussi qu’on ne pousse pas uniquement sur le premier tome. Même si c’est important de mettre le plus gros du budget sur le tome 1, nous plaçons aussi une partie de la somme sur les tomes suivants. Les gens oublient les choses donc communiquer sur un seul tome ne suffit pas.

Et pour en revenir au Japon, peux-tu nous en dire plus sur les raisons de ton déménagement…

Lorsque nous avons lancé nos premiers titres j’ai senti que j’avais une faiblesse sur la sélection des titres et sur l’élaboration de notre catalogue 2014. J’ai donc déménagé au Japon pour 3 raisons… Apprendre le Japonais d’abord, pour faire mes propres choix et non pas le faire à partir de fiche de lecture mais je n’ai finalement pas beaucoup avancé là-dessus et j’ai engagé quelqu’un qui est bilingue, Mykola Karpa, qui fait les choix avec moi.

La seconde raison est que je voulais resserrer les liens entre les éditeurs japonais et Komikku et établir une proximité avec eux, en allant boire des pots, etc. Ce sera une force par rapport à mes concurrents.

La 3e raison c’était que je voulais mieux anticiper les tendances et le marché japonais. Un titre comme Sakamoto, je le surveille depuis qu’il est sorti. J’ai senti l’engouement se créé alors qu’en France on a commencé à s’y intéresser quand il a dépassé le million d’exemplaire. C’est comme Le chef de Nobunaga, un succès ici : en huit tomes on a dépassé les 1.2 millions d’exemplaires et le titre est en couverture du magazine de prépublication toutes les 2 – 3 semaines. Mais ça tu le sens quand tu es sur place.

Enfin, mine de rien le Japon c’est loin, et il y a aussi les délais de livraison. Entre le moment où tu repères le livre, tu le commande, ta commande part, tu le reçois, tu le lis et enfin tu passes ton offre, il peut se passer un certain temps, quelques semaines. Nous ici nous allons en librairie toutes les semaines, en passant plusieurs heures à regarder le catalogue de fond en même temps que toutes les nouveautés, tout ce qui commence à faire le buzz… et nous faisons parfois des offres avant même que les éditeurs français aient reçu les ouvrages.

Est-ce qu’il y a des éditeurs de manga français qui t’ont servi de modèle ou qui sont proches de ce que tu envisages en termes d’édition ? Je suppose que l’on va évoquer Ki-oon par exemple ! (Rires)

Ma relation avec Ki-oon a démarré au début de la librairie. Là aussi notre fonctionnement communicatif était différent des autres libraires : lorsque nous organisions des évènements, nous envoyions des communiqués de presse, ce que ne font pas les libraires en général. Quand il y a possibilité de faire du co-branding, entre Komikku et un éditeur nous nous mettions sur les rangs. Et un jour il y a eu une série chez Ki-oon, Jackals, qu’ils ont présenté à Japan Expo. Je me disais qu’on pourrait faire un petit truc standard qui allait avec notre budget de l’époque : un petit marque page tiré à 20 ou 30 000 exemplaires avec un coté Jackals et un coté Komikku. J’ai contacté Ki-oon et Ahmed m’a tout de suite répondu en m’expliquant qu’avec Square Enix ce serait compliqué car ils ne font généralement des partenariats qu’avec des grosses structures comme Fnac ou Virgin. Ca ne s’est pas fait mais je n’ai pas lâché le morceau et l’année suivante lorsqu’ils ont sorti Bamboo Blade je suis revenu à la charge et là ça a marché : on a fait 5 marques pages avec les 5 héroïnes, on en a diffusé 50 000 à la Japan Expo.

De là on a beaucoup sympathisé avec Ahmed et Cécile et on a commencé à se voir, on a beaucoup échangé sur nos visions du marché. Quand ils avaient besoin de savoir comment leurs concurrents communiquaient en librairie, on leur filait quelques infos et réciproquement. Nous avons développé des liens d’amitiés et un jour je disais à Sonia : « il faut que je leur dise qu’on va devenir éditeur parce que s’ils apprennent ça par un autre ils pourraient mal le prendre… » . Et du coup en 2011 je les ai invité au resto et très solennellement je leur ai dit « Ahmed, Cécile j’ai un truc à vous dire… » et là du tac au tac Cécile a dit « tu vas devenir éditeur ! » (Rires)

Elle trouvait que c’était la suite logique. Il fallait que je passe du coté où l’on créé des choses. Ce qui est bien c’est que ça n’a pas entaché notre amitié, au contraire. Ahmed a un raisonnement  qui est similaire au mien : il est plus sein d’avoir des concurrents constructifs qui aident à porter le marché plutôt que des concurrents qui le tirent vers le bas. Ahmed ou d’autres éditeurs comme nobi nobi font partie de ces gens qui sont actifs et qui sont bénéfiques pour le marché.

Depuis, je continue de demander des conseils à Ahmed sur certaines choses, sur certains titres. Avec Cécile, ils ont compris le marché et sont en train de l’emmener à un autre niveau, selon une évolution logique. Les anciens ont eu du mal à passer ce stade de professionnalisation, comme ça a été le cas dans le jeu vidéo à une époque, pour passer du coté fun et sympa à une industrie. Il y a des grosses boites comme Pika pour qui ce n’est pas un problème mais d’autres ont eu plus du mal. J’ai par exemple du mal à voir ce que Guy Delcourt, derrière l’absorption de Soleil et de Tonkam, veut réellement construire pour le manga.

Et pour clore cette première partie sur la création de Komikku : que devient la librairie dans cette histoire, comment se porte-t-elle ?

Depuis début de l’année 2013, c’est Sonia a repris les rennes, c’est elle la patronne. Ce sont deux structures et compagnies indépendantes, chacun son bébé. Sonia le mérite car c’est une libraire de formation et qu’elle exerce ce métier depuis 15 ans, elle a acquis toute l’expertise com, gestion et management avec moi…  Donc c’est normal qu’elle puisse voler de ces propres ailes.

Maintenant le secteur librairie indépendant souffre, avec Amazon déjà car il suffit de faire un clic pour que le livre arrive dans ta boite aux lettres le lendemain. Il y a aussi avec la crise économique qui a plombé le moral des français, qui consomment moins même si le livre est un secteur qui ne s’en sort pas trop mal. Nos clients qui achetaient dix mangas par moi sont passés à quatre ou cinq, on sent la baisse.

La dernière raison c’est la diversification des loisirs avec les séries TV US qui plaisent et qui grignotent la lecture, ou encore le cinéma qui redémarre et tous ces micros-jeux qui se développent sur portable. Un Candy Crush tu y joues dans le métro au lieu de lire par exemple. Les réseaux sociaux aussi sont des choses assez chronophages. Il y a donc moins de temps pour la lecture en général et ce secteur souffre, même si ça repart depuis début 2014.

La librairie Komikku continuera de toute façon d’exister car nous vendons des produits pas très chers finalement, du manga à moins de dix euros, là où une librairie généraliste qui vend des ouvrages à 20 euros souffre davantage. De plus nous avons un modèle économique réfléchi depuis le début, avec une librairie toute petite, et heureusement. Si nous avions pris plus grand nous n’existerions peut-être plus à cause du loyer plombant nos résultats. Depuis nous avons bien optimisé l’espace et nous n’envisageons pas de la déménager car ce serait la mettre en danger. J’ai ensuite profité de mon départ au Japon pour restructurer et optimiser nos dépenses (téléphones, éclairage, etc.) pour économiser des milliers d’euros sur l’année. Enfin, nous avons remboursé quasiment tous nos crédits et la fin du dernier arrive fin 2014, ce qui nous permet de respirer et de continuer à exister.

Retour sur les premiers titres et regard vers l’avenir…

Après plusieurs mois de publications, quelles ont été les bonnes et les mauvaises surprises en termes de ventes ?

Sur les premier titres d’abord : on les lancé parce qu’ils nous plaisaient mais aussi pour tester le marché et nous avons eu quelques beaux succès : L’ile infernale, Malicicous Code et Yanaka histoires de chats. Malicious Code est notre plus gros succès car nous sommes à 8 000 exemplaires vendus pour le premier tome.

En revanche nous avons eu deux vraies grosses déceptions. La première était prévisible, il s’agit de Mes petits plats faciles by Hana car il est très spécifique et orienté cuisine japonaise… Si tu n’as pas une épicerie japonaise autour de toi ça limite l’intérêt, en plus d’un dessin assez particulier. Ensuite il y a une seconde et grosse déception avec Les fleurs du passé, qui a été encensé par la presse mais qui n’a pas fonctionné. Il y a énormément de femmes qui réclament du josei à corps et à cris mais quand on leur en propose un de qualité, l’essai n’est pas transformé.

Le josei fait du bruit mais pas encore des ventes ?

Exactement. Et quand les gens vont lire cette interview et vont comprendre que nous ne prendront pas le risque sur le josei avant un bon moment, ils vont être super déçus mais nous les avons écouté et tous ceux qui ont lu le titre l’ont adoré, mais le 4e tome ne dépasse par les 600 ventes. Et c’est une série qui nous a couté cher, car nous l’avons bien soutenu, le papier est de qualité et il y a du travail sur les jaquettes… Mais la rentabilité n’est pas là.

Donc voilà, nous testons le marché. Nous l’avons fait avec Eureka ! sur le manga historique et je ne désespère pas, je pense qu’il y a encore des choses à faire  même avec des tracés un peu particulier comme ceux de Hitoshi Iwaaki. Nobunaga démarre bien et ça me prouve que nous avons raison d’insister.

Dans une autre catégorie, nous avons a aussi testé la jeunesse avec nos comptes de Noël. Et nous nous sommes lamentablement vautrés. Père Noël et le petit arbre et Père Noël et les 50 rennes ne se sont pas vendus du tout alors que, là aussi, nous avions aussi fait du qualitatif avec du vernis sélectif et un super papier. La jeunesse c’est un autre secteur, une autre façon de faire que je ne maîtrise pas du tout, je le dis clairement. Il sort 1 500 mangas chaque année quand il y a 5 000 ouvrages jeunesse par an. Je ne sais pas s’il faut que nous retentions tout de suite l’expérience par contre, car c’est un secteur qui me plait beaucoup mais c’est un marché tellement complexe en France que je pense qu’il faut d’abord s’entourer de spécialiste et donc que je recrute des gens compétents, pour s’y développer plus tard.

Y-a-t-il d’autres titres ?

On pourrait aussi citer le Franponais, pour lequel nous remercions Florent Georges. C’est un titre qu’il avait lui-même édité et vendu, en faisant des chiffres extraordinaires et du coup je lui ai proposé de rééditer le tome 1, puis le 2 et une version Deluxe en lui donnant une visibilité nationale grâce à notre distributeur / diffuseur qu’est Interforum. Il a accepté et ça a été un grand succès, tout ce qu’on imprimé sur les tomes 1 et 2 s’est vendu et il nous reste un peu de Deluxe.

Cela prouve que la diversification peut fonctionner tant qu’elle n’est pas faite n’importe comment. Un autre indicateur encourageant est que les gens commencent à nous connaître et à s’intéresser aux titres que nous publions en disant « ah ça c’est un Komikku donc je vais essayer ». Même avec des titres différents, on retrouve une cohérence adulte dans tout ça.

Terminons cette année en parlant de 2014… Comment se déroule ce début d’année ?

2014 a plutôt bien démarré, nous sommes déjà en augmentation de 53 % en valeur sur le premier trimestre mais ce chiffre est faussé car c’est une progression de démarrage. Donc forcément nous allons afficher des hausses insolentes à deux ou trois chiffres jusqu’à la fin de l’année puisque nous augmentons notre production. L’an dernier nous étions à un tome par mois alors qu’à partir de juin nous sommes en systématique à trois tomes par mois, car des séries se poursuivent et que nous ajoutons à chaque mois une nouvelle série.

Nous cherchons à nous développer, et arriver dans le top 10 de GfK d’ici 3 ans. L’an dernier nous étions 19e et nous aimerions arriver dans le top 15 à la fin de l’année, dans le top 12 l’année prochaine et le top 10 d’ici 2016. C’est un objectif qui me semble totalement réalisable. Néanmoins nous ne nous voyons pas sortir huit à titres par mois…

Où est-ce que tu situes ton rythme de croisière ?

Je l’envisage plutôt à six – sept publications par mois, mais nous allons prendre le temps d’y arriver. Là nous nous pouvons gérer les trois titres par mois avec des séries courtes.

Pourquoi cette nouvelle série chaque mois ?

Parce que, en analysant ce que font nos petits amis éditeurs, nous avons constaté que ça offre de la visibilité à la marque. En proposant une nouvelle série chaque mois plutôt que quatre ou cinq dans l’année tu t’assures que le public ne t’oublie pas. En plus, tu verrais mon bureau, j’y ai bien 60-70 titres empilés, que je voudrais publier mais je ne peux pas, parce que ça prend du temps. Certains vont nous passer sous le nez mais j’ai envie d’en proposer un maximum. Ce rythme est donc essentiel aussi bien pour la marque Komikku que pour la richesse de son catalogue.

Le manga, le libraire et le salon…

En termes d’ouvrage sur 2014, quels seront les moments marquants pour le reste de l’année ?

Tu en connais déjà plusieurs mais je peux te présenter Master of Library, Le Maître des livres chez nous. L’idée est de se faire connaître auprès des bibliothécaires et dans ce manga tu redécouvres les grands classiques jeunesses qui nous ont fait vibrer quand nous étions plus jeune. C’est l’histoire d’un bibliothécaire à la vie assez banale mais qui raconte aux enfants des histoires pour leur permettre de surmonter des épreuves, d’avancer dans leur vie… Par exemple, dans le premier tome, il y a des extraits de L’île au trésor de Stevenson, de Niels Anderson, Le Prince heureux d’Oscar Wilde

Nous sortons les tomes 1 et 2 le 28 aout, juste avant la rentrée scolaire et nous aurons une grande campagne de communication pour réussir à faire entrer le titre en bibliothèque. Nous avons commencé la prospection et les libraires sont super enthousiastes, ils nous ont déjà demandé de faire un poster de promotion pour l’afficher en librairie. C’est une occasion pour les adultes de montrer tous ces romans qu’ils ont eux-mêmes lus et aimés étant plus jeunes, donnant peut-être l’envie à ces derniers de se tourner vers ces romans. Cela peut aussi en faire découvrir à ces adultes, car il y a des titres méconnus et des classiques de la littérature japonaise.

Ensuite le tome 3 est prévu pour Noël et le 4 sortira pour le Salon du Livre 2014 car dans ce tome il est fait mention du livre jeunesse le plus lu dans le monde qu’est Le Petit Prince de Saint Exupéry

Un salon incontournable pour ce genre de manga qui s’adresse à un public plus généraliste…

Justement, ça me donne l’occasion de parler de salons…

Le Salon du Livre est plus important pour moi que Japan Expo car il correspond plus à ma ligne éditoriale. Du coup, cette année, nous avons décidé de ne pas participer à Japan Expo, et ce pour 2 raisons.

La première c’est que Japan Expo, contrairement à ce que l’on croit, ne fait pas l’avenir d’un titre. Ce n’est pas parce que tu vas avoir une super place sur l’allée centrale avec un grand stand que ton titre va exploser en terme de ventes…

C’est le cas de Mes petits plats faciles by Hana par exemple

Par exemple. Il n’a pas réussi à décoller parce qu’en fait, ce n’était pas un titre fait pour Japan Expo. Les fleurs du passé non plus. Ceux qui achètent à Japan Expo ne sont peut-être pas le cœur du public de Komikku Editions. Le seul qui pouvait sortir du lot c’est Malicious Code, qui pour le coup correspondait bien à Japan Expo et qui a fait des bons chiffres, mais il n’a pas vu ses ventes s’envoler non plus.

Ensuite il y a, toujours dans ce premier point, le fait que tous les éditeurs français sortent l’artillerie lourde sur Japan Expo…

Les éditeurs japonais poussent aussi pour ça…

Oui mais cette année nous leur avons annoncé que nous ne ferions pas Japan Expo et ils nous ont quand même confié Sakamoto, parce que nous avons proposé une alternative. Mais sur Japan Expo ton budget marketing important – car tu dois payer l’espace, le stand, le staff, etc. – est noyé dans tous les autres budgets marketing des autres éditeurs. Quand tu vois des stands comme ceux de Kana, Pika ou Glénat qui ont les reins beaucoup plus solides, tu as beau mettre, 30, 40 ou 50 000 euros sur la table pour faire la promotion de ton titre ça se retrouve noyé. Parfois c’est presque de l’argent jeté par les fenêtres.

Là où, dans un autre salon, la moitié de ce budget suffirait pour cartonner…

Exactement.

La seconde raison, c’est le libraire qui en parle et qui se rend compte que c’est difficile en ce moment : nous avons décidé de remettre les libraires au cœur du jeu. Ne pas participer à la Japan Expo ça ne veut pas dire rester silencieux pour autant. Le budget que nous avons utilisé l’an dernier va être repris dans son intégralité mais de façon plus intelligente. Nous avons bien conscience que les ventes sur Japan Expo pénalisent les libraires. Quand tu écoules 3 000 exemplaires sur ton stand c’est ça en moins pour eux. Donc comment demander à ces libraires de te soutenir toute l’année, en assurant les mises en place, en poussant les titres, pour ensuite leur tirer une balle dans le pied et engranger des ventes nettes pour toi à leur place. Ce n’est pas super fair play.

Quand j’étais libraire je trouvais ça pas terrible non plus. C’est comme les avant-premières à Japan Expo… Des avant-premières nous n’en ferons jamais et ça tu peux le marquer noir sur blanc : KOMIKKU NE FERA JAMAIS D’AVANT-PREMIERE SALON. Je trouve que c’est tout simplement malhonnête.

Donc, pour revenir sur cette collaboration, nous assurons donc aux libraires qu’ils feront l’intégralité des ventes sur Sakamoto. C’est un titre qui a un grand potentiel et les libraires auront donc leur part du gâteau. Nous projetons de faire venir l’auteure en octobre pour la sortie du tome 2 et loin de la com’ Japan Expo. Ce n’est pas encore signé mais nous sommes en train de le négocier. Nous la ferons tourner dans 5-6 villes françaises car les libraires qui nous soutiennent ne sont pas que sur Paris ou les grandes villes.

L’idée c’est d’offrir un maximum d’outils pour que le titre soit visible en librairie, car ce qui ne se voit pas ne se vend pas. De plus les libraires n’ont pas tous un background en communication et ils ont parfois besoin d’être accompagné. En les remettants au cœur du jeu il y a donc un vrai travail pédagogique de la part d’Interforum et de notre part à nous. Le budget est donc reporté là-dessus, en accompagnant ça de quelques goodies pour nos clients si l’on peut, au moment de la tournée nationale.

Donc voilà, l’an dernier il fallait frapper fort pour montrer aux gens qu’il y avait un nouvel éditeur sur le marché, nous avons donc pris une place sur l’allée centrale et fait ce qu’il fallait pour avoir un beau stand. Pour marquer le coup. Cette année ce n’est pas forcément nécessaire avec le line up que nous  présentons. Pour l’an prochain nous sommes actuellement en négociation pour des gros titres dont un qui s’inscrit totalement dans la cible de Japan Expo et donc nous reviendrons sur le salon si nous décrochons cette licence.

Cela n’empêche pas, qu’à terme, le Salon du Livre sera le salon qui nous correspondra le plus. Je ne peux pas prédire l’avenir non plus mais je cherche vraiment à satisfaire ce lectorat adulte de 40 à 60 ans qui aiment aller fouler la moquette du SDL, ainsi que toute cette jeunesse qui vient avec son école et leur bibliothécaire pour remplir le salon au point que tu ne peux plus y faire 2 mètres. C’est tout ce public à qui j’ai envie de parler et de proposer des titres.

Justement pour finir, un dernier titre à nous présenter dans le line up 2014 ?

En septembre il y a Fatima déesse de la vie qui fait partie des nouveaux talents que l’on veut mettre en avant, comme la mangaka de Sakamoto dont c’est le premier titre. C’est très beau, dans un style proche des CLAMP. On cherche des nouveaux auteurs méconnus, comme a fait Ki-oon sur Tetsuya Tsutsui, on les sécurise en publiant directement leur première œuvre sur le marché français. Et on va les suivre de très très près. C’est une série en deux tomes, qui sortiront tous les deux en même temps.

Le rendez-vous est pris alors, à très bientôt Komikku !

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Retrouvez toutes nos interviews éditeur :

Doki-Doki (mai 2012, janvier 2014)

Glénat (mars 2009 – décembre 2012)

IMHO (avril 2012)

Isan Manga (mars 2013)

Pika (avril 2013)

Kana (novembre 2012 - janvier 2014)

Kazé Manga (avril 2011 – janvier 2012 – décembre 2013)

Ki-oon (avril 2010 - avril 2011 – janvier 2012 – janvier 2013, avril 2014)

Komikku (mai 2014)

Kurokawa (juin 2012 – décembre 2013)

nobi nobi ! (septembre 2013)

Ototo – Taifu (octobre 2012)

Soleil Manga (mai 2013)

Tonkam (avril 2011)

Retrouvez également les bilans manga annuel du marché français réalisés par le chocobo : 2010, 2011, 2012 et 2013