Confessions d'un homme dangereux - 8/10

Par Aelezig

Un film de George Clooney (2003 - USA, Canada, Allemagne) avec Sam Rockwell, Drew Barrymore, George Clooney, Julia Roberts

Brillant, très brillant.

L'histoire : Années 60. Chuck rêve de travailler à la télé où il finit par entrer par la petite porte. Il n'a ensuite de cesse de proposer des sujets d'émission jusqu'au jour où un projet attire enfin l'attention des producteurs. Une jeune femme pose des questions à trois hommes cachés par un paravent. Selon qu'elle aura ou non apprécié leurs réponses, elle en choisira un, avec lequel elle ira partager un fastueux dîner payé par la chaîne. Chuck devient une gloire nationale. Côté coeur, il est très amoureux de sa jeune compagne, Penny, même s'il résiste absolument au mariage qu'elle lui demande, trop épris de liberté. Mais parallèlement à cette vie sous les paillettes... Chuck est aussi un tueur, recruté par la CIA, pendant une période où il galérait comme un fou. Sa double vie lui pèse... mais en même temps, quelle adrénaline et quelles rencontres extrordinaires cela lui procure !

Mon avis : Premier film de George, et magnifique réalisation, tant sur le fond, parfois drôle, parfois amer, que sur la forme, classe. On savait l'homme intelligent, préoccupé par les absurdités de notre société, et engagé politiquement ; il peut exprimer dans ses films tout ce qu'il a à dire, et il le fait bien.

La mise en scène est particulièrement réussie, variée dans les techniques, ce qui évite l'ennui, la routine, tout en donnant une force authentique à l'histoire. Car l'histoire est racontée sur trois niveaux : un point de vue spectateur, classique, que nous regardons avec notre propre subjectivité ; le narrateur, qui a décidé de coucher sur le papier toute son histoire ; et l'intervention de "témoins" comme dans un documentaire, qui commentent la vision qu'ils ont eu du bonhomme. La photo elle non plus n'est pas commune, et habille ces différentes séquences de couleurs différentes : saturées, surexposées, pour la vie d'espion ; plus académiques pour la vie à la télé et à la maison ; gros plans un peu foutraques pour les témoignages ; ambiance triste et sordide pour le Chuck qui se souvient et vit désormais dans une misère affective et sociale.

Le message passé par Clooney est double. D'une part, nous avons la critique des émissions de télé-réalité, nous en rappelant un historique avec lequel on n'avait pas fait le rapprochement (enfin pas moi...), tant c'est vieux et kitsch. Car la fameuse émission avec laquelle tout démarre, vous la reconnaissez : c'est l'ancêtre de notre Tournez manège ! Anecdotique ? Pas si sûr ! Déjà à l'époque, on ne s'en rendait peut-être pas encore compte car c'était nouveau, le but sournois de l'affaire était de se moquer. Et Clooney, ça, il n'aime pas du tout et attire bien notre attention sur ce danger, au travers des discussions et des critiques faites à Chuck. Non seulement, rien n'a changé, mais au contraire le phénomène a explosé. Nous avons importé également son émission devenue chez nous Les Z'amours, puis beaucoup d'autres. Et aujourd'hui, entre Secret StoryLes Anges, Les Ch'tis à Las Vegas et autres Nabilla et Cie... on ne voit plus que des êtres factices, vulgaires, avides de gloire et de célébrité, au vocabulaire et à la culture réduits à leur plus simple expression. On se moque, on se gausse, on se révolte. Mais n'empêche, ça existe... et ça passionne les jeunes ! Qui imitent ces comportements dans la vie. Un nivellement général par la base, qui commence à inquiéter sérieusement sociologues et éducateurs... Au boulot, messieurs, il n'est pas trop tard, il faut faire quelque chose !

Le deuxième point abordé par Clooney est l'illustration pratique des ravages de ces pratiques sur le personnage qui est à l'origine du concept ! Prêt à tout pour être célèbre et gagner plein d'argent, Chuck envoie aux orties morale et scrupules... jusqu'à devenir tueur pour la CIA et y prendre plaisir. Plus on critique ses émissions, dans certains milieux avisés, qui le méprisent et le lui disent, plus il trouve une nouvelle glorification à sa vie cachée : patriote, protecteur de la nation, membre de la CIA, un héros, quoi !

Jusqu'à en devenir quasi fou...

Un film intelligent, utile, passionnant et une interprétation en tous points remarquables de Sam Rockwell (son meilleur rôle) qui sait donner au personnage toutes les nuances de sa personnalité borderline. Enorme. Sans oublier une Drew Barrymore, fraîche, douce, délicieuse, dont on aimerait tellement qu'elle tire enfin son amoureux vers le haut, vers la lumière, qu'elle-même irradie. Curieusement, Chuck ne nous apparaît "beau gosse" que dans les scènes où il est avec elle, tranquille, heureux. Dans les autres situations, quelles qu'elles soient, il a toujours l'air un peu dingue, un peu barge, un peu ridicule. Belle prestation également de Julia Roberts, froide et vénéneuse à souhait.

Magnifique.

A noter :

  • des petits caméos des potes de toujours, Brad Pitt et Matt Damon, en célibataires neuneus de l'émission de Chuck !
  • le film n'est pas sans rappeler le Man on the moon, de Milos Forman sur autre personnalité survoltée de la télé américaine

Chuck Barris a bel et bien existé, et écrit son autobiographie. Mais la CIA a formellement démenti son appartenance à l'agence (personne ne s'attendait à ce qu'elle livre ses secrets, de toutes façons...). On ne saura donc sans doute jamais la vérité...