Bond hors de la citation de Kafka

Publié le 06 juillet 2014 par Theatrummundi


Je cherchais une phrase célèbre, dans le Journal de Kafka. Mais il ne l’a pas écrite.

Je cherchais :

« Ecrire, c’est faire un bond hors du rang des meurtriers. »

Phrase célèbre, citée partout.

Citation fausse, ou du moins très inexacte.

Considérablement arrangée, du moins.

On comprend que la phrase ait été arrangée, le paragraphe en date du 27 janvier 1922 concernant la littérature, son rapport à la littérature, se prêtant mal à la citation. Le voici, traduction de Marthe Robert :

« Etrange, mystérieuse consolation donnée par la littérature, dangereuse peut-être, peut-être libératrice : bond hors du rang des meurtriers, acte-observation. Acte-observation, parce qu’une observation plus haute est créée, plus haute, non plus aiguë ; et plus elle s’élève, plus elle devient inaccessible au « rang », plus aussi elle est indépendante, plus elle obéit aux lois propres de son mouvement, plus son chemin est imprévisible et joyeux, plus il monte. »

C’est une assomption.

C’est beaucoup plus fin, beaucoup plus intéressant que la pseudo-citation célèbre.

L’acte-observation.

Ça m’embête un peu. Comme tout le monde, je voulais citer la phrase connue, mais assortie de sa référence exacte.

Du coup, je me suis promené dans les dernières pages du Journal.

La note du 1er mars 1922 – qui rappelle un peu la célébrissime du 2 août 1914 (1) :

« Richard III. Syncope. »

La micro-nouvelle du 18 février 1922 :

« Un directeur de théâtre qui doit tout créer lui-même de fond en comble, il doit même commencer par procréer les acteurs. Un visiteur qui se produit n’est pas introduit, le directeur est pris par d’importants travaux. Que fait-il ? Il change les langes d’un futur acteur. »

Ou encore, le 12 juin 1923, dernier jour où fut tenu le Journal, cette simple phrase :

« Nous creusons la fosse de Babel. »

Voilà pour cette après-midi.

Je ne donnerai pas la citation fausse.

Mais vais-je utiliser la vraie, qui n’a pas ce côté si pratique de la « maxime-à-la-française » ?

Il est emmerdant, ce Kafka.

Il n’est même pas foutu d’écrire ce qu’on dit qu’il écrit.

(1)   Note du 2 août 1914 : « L’Allemagne a déclaré la guerre à la Russie. – Après-midi piscine. »


Je cherchais une phrase célèbre, dans le Journal de Kafka. Mais il ne l’a pas écrite.

Je cherchais :

« Ecrire, c’est faire un bond hors du rang des meurtriers. »

Phrase célèbre, citée partout.

Citation fausse, ou du moins très inexacte.

Considérablement arrangée, du moins.

On comprend que la phrase ait été arrangée, le paragraphe en date du 27 janvier 1922 concernant la littérature, son rapport à la littérature, se prêtant mal à la citation. Le voici, traduction de Marthe Robert :

« Etrange, mystérieuse consolation donnée par la littérature, dangereuse peut-être, peut-être libératrice : bond hors du rang des meurtriers, acte-observation. Acte-observation, parce qu’une observation plus haute est créée, plus haute, non plus aiguë ; et plus elle s’élève, plus elle devient inaccessible au « rang », plus aussi elle est indépendante, plus elle obéit aux lois propres de son mouvement, plus son chemin est imprévisible et joyeux, plus il monte. »

C’est une assomption.

C’est beaucoup plus fin, beaucoup plus intéressant que la pseudo-citation célèbre.

L’acte-observation.

Ça m’embête un peu. Comme tout le monde, je voulais citer la phrase connue, mais assortie de sa référence exacte.

Du coup, je me suis promené dans les dernières pages du Journal.

La note du 1er mars 1922 – qui rappelle un peu la célébrissime du 2 août 1914 (1) :

« Richard III. Syncope. »

La micro-nouvelle du 18 février 1922 :

« Un directeur de théâtre qui doit tout créer lui-même de fond en comble, il doit même commencer par procréer les acteurs. Un visiteur qui se produit n’est pas introduit, le directeur est pris par d’importants travaux. Que fait-il ? Il change les langes d’un futur acteur. »

Ou encore, le 12 juin 1923, dernier jour où fut tenu le Journal, cette simple phrase :

« Nous creusons la fosse de Babel. »

Voilà pour cette après-midi.

Je ne donnerai pas la citation fausse.

Mais vais-je utiliser la vraie, qui n’a pas ce côté si pratique de la « maxime-à-la-française » ?

Il est emmerdant, ce Kafka.

Il n’est même pas foutu d’écrire ce qu’on dit qu’il écrit.

(1)   Note du 2 août 1914 : « L’Allemagne a déclaré la guerre à la Russie. – Après-midi piscine. »