Appel aux âmes de constructions massives !

Publié le 20 mai 2008 par Anne-Sophie

Ce soir sera diffusé sur Arte à 21h un documentaires sur les Guerres du Climat. L’occasion pour nous de s’attarder un peu sur cette problématique…

Dans les Enquêtes d’Hérodote, le chapitre IV relate les événements néfastes qui ont frappé Cyrène (ville située dans la Cyrénaïque, équivalent actuel de la Lybie) quelques siècles avant notre ère… Les Grecs s’étaient installés dans cette région et y avaient engagé pendant six siècles une exploitation inconsidérée de la plante des Dieux, le célèbre Silphium, recherchée pour ses vertus médicinales et gustatives. La disparition de la plante entraîna, paraît-il, la chute de l’économie et la disparition de cette civilisation. Des exemples comme celui-ci sont légions, à commencer par celui de l’île de Pâques (il s’agissait du bois)… Mais interprétés en langage d’aujourd’hui ces événements témoignent des conséquences catastrophiques d’une mauvaise gestion des ressources sur l’équilibre des états

Un tel constat est dressé par Lucien Chabanon, conseiller auprès de la direction de l’Iddri, et résume en peu de mots, les propos tenus en mars derniers lors de la conférence organisée au Sénat par Marie-Christine Blandin (sénatrice verte) et le WWF-France au sujet des liens entre guerre et environnement.

Selon Daniel Richard, président du WWF France, l’anthropocentrisme et l’attachement au pouvoir sont deux éléments culturels et psychologiques clefs pour comprendre la lenteur actuelle dans la mise en place de structures respectueuses de la nature et des hommes. Ne mâchant pas ses mots, il estime en effet qu’accorder une priorité aux intérêts individuels à court terme et s’attacher à des conceptions fragmentaires du monde vivant sont les dénominateurs communs d’une posture intellectuelle dangereuse pour la planète… entraînant des problèmes politiques, militaires et écologiques corrélatifs. “La grande complexité des écosystèmes nécessite de nouvelles valeurs” et aussi devons nous “aller vers une culture de partage plutôt qu’une cultures de frontières“…

Les frontières justement… qui sont-elles, entre les pays, si ce n’est un facteur de paix ou de conflit… et ce même en des temps globalisés ? Qui plus est, avez vous une idée des impacts environnementaux liés à un conflits ?

Pièce représentant le Silphium de Cyrénaïque (ou Silphion) Source.

Certains estiment que 4 grands processus d’impact environnementaux ont généralement lieu lors de conflits:

  • via les impacts directs liés à la conduite des hostilités,
  • via les impacts indirects liés aux stratégies de survie,
  • via les impacts relatifs aux situations de non-droit, ou
  • via les impacts produits par les flux de retours de déplacés et de réfugiés et des processus de reconstruction post-crise.

En ne prenant pas en compte de ces différents éléments, la continuation ou la reprise des conflits armés sont systématiques.

Alors certes, me direz vous, facile de se préoccuper d’environnement quand certains ne pensent qu’à une chose : sauver leur peau!

C’est vrai, il faut surtout comprendre que l’approche adoptée dans ce genre de recherches relève d’une conception holistique (globale) du vivant : les interdépendances de la nature ne sont là que pour nous rappeler que l’homme fait partie d’un ensemble complexe d’équilibres instables… instables notamment par la pression qu’il est capable d’exercer lui-même sur son propre environnement…

En Afghanistan par exemple, 23 années de conflit ont provoqué une perte de 95% des forêts à certains endroits, entraînant de fait une grave insécurité alimentaire pour les populations. Au Liban, la présence de bombes à sous munition n’ayant pas explosé ont contaminé les zones agricoles, devenues impropres à toute culture depuis… En tout, 17 conflits majeurs ont été causés ou maintenus par l’exploitation des ressources naturelles depuis 1990. Sauver sa peau rime donc souvent avec sauver son environnement aussi !

De l’art de la Diplomatie environnementale…?

Que faire donc, dans ce telles circonstances, en plein conflit ? Une solution consiste à considérer la diplomatie environnementale : constatant le risque que fait courir une mauvaise gestion environnementale au maintien de la paix, les experts insistent sur l’opportunité que cette dernière peut représenter. Les ressources naturelles, à l’origine des rivalités, peuvent être utilisées comme des outils de dialogue, via des processus de partage d’information, des traités bilatéraux et des accords de coopération technique.

Qui plus est, il existe déjà plusieurs traités régulant le respect de l’environnement en temps de guerre, mais les Etats de non-droit créés par certaines situations conflictuelles et l’usage d’armes de destruction massive comme outils d’équilibre de la terreur sont telles que ces traités ne pèsent pas lourds sur le terrain… De maigres avancées permettent de garder espoir (cf. parmi d’autres la décision de 1997 concernant l’interdiction de produire et d’utiliser des mines antipersonnelles). Un jour peut être, la Cour pénale Internationale pourra punir les atteintes à l’environnement au même titre que les crimes de guerre !

…Ou du rôle des citoyens?

D’ici là, comme il est difficile de faire cohabiter les règles internationales de l”environnement (que ce soit du fait même de la nature de la guerre, de la pusillanimité collective des gouvernements, ou des faiblesses structurelles des instruments), le rôle de l’opinion publique et des acteurs économiques est déterminant. Comme le rappelle le chargé de plaidoyer et de l’action politique de l’ONG Handicap International, Jean-Marc Boivin, les campagnes de boycotts menées contre les groupes financiers investissant dans l’industrie des armes illégales se sont avérées efficaces. Alliés à une mobilisation citoyenne, la création de synergies et le décloisonnement des approches forment un vecteur d’action essentiel.

Qui plus est, dans les régions touchées par les conflits, les populations concernées témoignent d’une vive prise de consciences des enjeux environnementaux. Ainsi, d’après Pekka Haavisto, député finlandais ayant officiellement représenté l’Union Européenne au Soudan, il faut toujours considérer les effets directs et indirects des guerres sur l’environnement afin de bien saisir la gravité des enjeux. Les groupes de rebelles qu’il a rencontrés au Soudan évoquent la défense de leurs modes de vie traditionnels pour demander des systèmes de protection de leurs ressources en eau ou des actions de reboisement. L’équilibre de l’environnement est perçu comme une valeur essentielle, aussi bien pour le maintien des identités culturelles, que pour mettre en place des processus de paix effectifs.

Source

Au final, la sécurité environnementale est composée de multiples dimensions, notamment écologique, politique, économique, énergétique, militaire. Sa définition reste complexe du fait de l’interaction de ces différentes problématiques et de sa proximité avec des notions connexes, telle que la sécurité humaine (dont nous vous avons déjà parlé ici). Ainsi que le souligne le rapport du WWF, “ce travail doit être conduit par les Etats et les organisations internationales, mais la contribution de la société civile et de la communauté scientifique et universitaire est indispensable. Il est aussi essentiel d’identifier les enceintes compétentes sur cette question pour éviter que la complexité du sujet n’entraîne une multiplication des initiatives dans les organisations internationales sans vision ni cohérence d’ensemble“.

Naturellement, ces problématiques ne doivent pas nous plonger dans la sinistrose, et bien au contraire inciter à la réflexion sur la formidable opportunité que représente la sécurité environnementale en termes de coopération internationale. Pour Marie-Christine Blandin, il faudrait réinterpeller le gouvernement français sur la convention ENMOD et les bombes à sous munitions, et établir des tableaux comparatifs entre les budgets de l’environnement et les budgets militaires des pays. Pour Serge Orru, directeur du WWF France, il faut également en appeler aux “âmes de construction massives” et à “l’insurrection des consciences” pour empêcher aux “les grenailles de l’”environnement” de provoquer “le cimetière des éléments” et préserver la diversité culturelle, humaine et la biodiversité.

Alors… qu’est-ce qu’on attend!?;-)

++ Pour aller plus loin ++