Histoire de chambres

Publié le 17 juillet 2014 par Pralinerie @Pralinerie

Je connaissais les travaux de Michelle Perrot sur l'histoire, notamment l'histoire des femmes. Mais lorsque j'ai vu ce titre, je n'ai pas hésité bien longtemps. J'aime ces essais qui racontent l'histoire et les usages des lieux.

Voici ce que raconte cet ouvrage ; les titres des chapitres seront indiqués comme celui-ci, qui constitue l'introduction : 

Musiques de chambres


La chambre du roi

Chaque thème est abordé par plusieurs biais : archives historiques, littérature, cinéma, etc. Ainsi, la chambre du roi est certainement la plus facile à documenter car visible de tous, avec des rituels bien établis autour du lever et du coucher. Ce n'est d'ailleurs pas la chambre où dort le roi. Cet usage de la chambre, qui permet de contrôler les courtisans, de les hiérarchiser selon les espaces (de l'antichambre à la balustre) et d'écouter leurs doléances, c'est bien sûr Louis XIV qui lui a donné son faste. Il tombe en désuétude sous Louis XV.

Chambres à coucher

Pour ce qui est de la chambre à coucher, figurez vous qu'avant d'être une pièce personnelle, c'est plutôt une salle commune, où toute une famille dort ensemble. Bonjour l'intimité ! On parle aussi du lit clos qui rapproche parfois plusieurs générations. Il est également question de la chambre conjugale, cette chambre procréatrice, centrée autour du lit.

La chambre particulière

Puis la chambre particulière est un désir presque universel. C'est un lieu de secret, d'intimité. Un lieu de lecture, de méditation, de prière, d'écriture, autant que de sommeil. Un refuge loin des autres. C'est cette volonté d'une "chambre à soi" que prône V. Woolf

La chambre d'enfant

Quant à la chambre d'enfant, qui occupe aujourd'hui les plus belles pages des catalogues de décoration, elle a mis du temps à s'imposer. L'enfant dort d'abord avec ses parents, dans leur lit puis dans son berceau. Elle existe comme chambre des enfants (au pluriel) dans les hautes sphères dès le XVIIIe siècle et s'impose à l'époque victorienne. C'est surtout à la fin du XIXème siècle et au début du XXème que les plans des maisons intègrent cette nouvelle pièce. C'est une chambre qui évolue avec l'âge, de celle que la future mère prépare pour le nourrisson jusqu'à la chambre de l'adolescent.

La chambre des dames

C'était celle qui m'intriguait le plus. La chambre, c'est l'espace féminin par excellence. Celui où, pudique et secrète, elle appartient. Car la femme doit souvent rester cachée, habitante de l'intérieur, responsable de la maisonnée mais pas des affaires publiques. Gynécée, chambre de la Vierge, sérail, couvent, etc. les femmes sont assignées à des lieux qui sont purement les leurs, où elles exercent des activités dites féminines (couture, prière, rêverie... Et prostitution et accouchement). C'est aussi le lieu où les précieuses reçoivent et réinventent les lettres.

Chambres d'hôtel

Les chambres d'hôtels sont ces lieux de passage, ces chambres qui ne sont jamais vraiment les vôtres mais qui vous hébergent au milieu d'un voyage. Mais initialement, les hôtels et auberges ne sont pas spécialement accueillants : rarement propres, sans place pour la toilette, ils ne se modernisent qu'au début du XXème siècle comme le signalait C. Bertho-Lavenir. C'est aussi l'espace de l'homme qui ne veut pas s'attacher à une maison, à une famille comme Sartre ou Genet.

Chambres ouvrières

M. Perrot nous décrit ensuite les habitats précaires des ouvriers, espace que les penseurs du XIXème s'attachent à moraliser et à améliorer. C'est aussi le lieu qui reflète de l'ascension sociale, un lieu que l'on décore et que l'on meuble, un lieu qui s'agrandit à mesure que l'on gagne plus.

Lit de mort et chambre du malade

La partie sur la chambre du malade parlera beaucoup aux amoureux de Georges Sand et d'Alice James. On y vit ses dernières heures, entouré ou non des siens, qui gardent parfois cette chambre comme un sanctuaire autour du défunt, le temps d'une génération, ou de façon permanente pour certains hommes célèbres. C'est aussi le moment où il est question de la chambre d'hôpital, un grand dortoir commun où chacun tente de construire des cloisons : là aussi, on recherche de l'intimité.

Huis clos

Dans la dernière partie, "Huis clos", il est question de séquestration. Celle d'une femme qui doit soigner ses nerfs et qui sombre dans la folie comme C. Perkins Gilman, celle des prisonniers, celle des ermites et artistes qui de retirent du monde, celle aussi des amoureux qui cherchent une cachette pour leurs ébats, celle des enfants punis ou maltraités : toutes ces chambres ont un point commun, elles restent closes sur elles-mêmes.

Chambres fugitives

Enfin, l'auteur conclut sur ces chambres disparues, celles de l'enfance, celles des hommes du passé... Au delà de l'histoire du corps, la chambre renseigne sur l'histoire des sociétés, de l'imaginaire, etc.

"Quitter"

Très dissert sur l'histoire du XVIIIème au XXème siècle, cet essai évoque également les temps lointains, le lit d'Ulysse et les chambres médiévales notamment. Temps plus anciens et moins documentés, ils manquent parfois au tableau. Cependant, cet ouvrage est d'une extrême richesse et esquisse une très belle image d'un espace polysémique. A la frontière des genres, entre histoire et littérature, ce livre ouvre beaucoup de pistes à explorer. Et il peut d'ailleurs se lire dans l'ordre qui vous plaira, ses chapitres sont indépendants et l'index fourni permet de retrouver directement la personnalité que l'on cherche. Si quelqu'un est tenté, il y a notamment une histoire de la chambre dans les romans policiers, une histoire de la chambre d'écrivain, et beaucoup d'autres histoires de chambres à écrire !