Faillite de l’Union européenne en Palestine

Publié le 22 juillet 2014 par Blanchemanche

Jeudi 10 juillet 2014. Après l’échec prévisible des négociations dites « de paix » et qui ressemblent depuis longtemps à un théâtre d’ombres, Israël, qui n’a jamais cessé la colonisation, bombarde actuellement Gaza, une des zones les plus densément peuplées de la planète, comme en 2009 et 2012. M. Benyamin Netanyahou a beau agir hors de toute légalité internationale, il a reçu mercredi soir le soutien de l’Elysée, parachevant ainsi la faillite de l’Union européenne en Palestine

http://www.monde-diplomatique.fr/2013/11/BERNARD/49808


Faillite de l’Union européenne enPalestine

Le chef de l’Etat français se rend à Tel-Aviv et à Ramallah les 18 et 19 novembre. Au-delà des discours convenus, Paris poursuivra sa coopération avec Israël comme si l’occupation n’existait pas. Et, si l’Union européenne a enfin décidé de prendre des mesures de rétorsion contre la colonisation, elle le fait avec une timidité qui la rend incapable d’imposer une paix durable dans la région.par Laurence Bernard, novembre 2013Vingt ans après les accords d’Oslo, l’Union européenne vient de franchir une première étape pour rendre crédible sa position officielle en faveur d’un Etat palestinien « indépendant, démocratique, d’un seul tenant et viable ». Une directive publiée en juillet 2013 rend en effet inéligible aux financements européens, à partir du 1er janvier 2014, toute entité israélienne — entreprise, université, laboratoire de recherche, association — située au-delà des frontières de 1967 et exerçant une activité dans une colonie en Cisjordanie ou à Jérusalem-Est.Cela devrait mettre fin au soutien à une société comme Ahava, qui exploite des boues et sels minéraux de la mer Morte, inaccessible aux industriels palestiniens ; ou encore à l’Israel Antiquities Authority, à travers laquelle les autorités israéliennes exercent un quasi-monopole sur la réglementation, la conservation et la présentation des œuvres archéologiques en Palestine.Une telle décision était d’autant plus attendue que l’Union n’a jamais pu, ou voulu, appliquer les déclarations et résolutions accumulées depuis décembre 2009 et exhortant le gouvernement israélien à« mettre immédiatement fin à toutes les activités d’implantation, à Jérusalem-Est et dans le reste de la Cisjordanie, y compris l’extension naturelle des colonies, et à démanteler toutes les colonies de peuplement sauvages installées depuis mars 2001 (1) ». A ce jour, malgré les violations constatées des résolutions de l’Organisation des Nations unies (ONU) et des conventions de Genève, malgré l’avis consultatif de la Cour internationale de justice émis à l’encontre du mur de séparation (2), aucune sanction n’avait été prise.Il y a pourtant urgence, car la politique du fait accompli continue jour après jour de grignoter les territoires palestiniens, hypothéquant la création d’un Etat. La Cisjordanie n’est déjà plus qu’un archipel de petits îlots urbains, en raison du mur de séparation, dont le tracé annexe de facto près de 10 % du territoire palestinien, et du maintien de 60 % de sa superficie sous le contrôle total d’Israël — la fameuse « zone C » (3). Celle-ci compte déjà trois cent cinquante mille colons installés dans cent trente-cinq colonies, pour cent quatre-vingt mille Palestiniens qui y résident. Le Bureau onusien de la coordination des affaires humanitaires (Office for the Coordination of Humanitarian Affairs, OCHA) s’inquiète par ailleurs de l’accroissement des violences perpétrées par les colons, du blocage des permis de construire palestiniens par l’administration civile israélienne chargée des territoires, enfin des démolitions systématiques de bâtiments érigés « sans permis ».

Pressions israéliennes et américaines

Ces démolitions n’épargnent pas les projets financés par l’Union européenne, à qui il arrive de payer la reconstruction d’infrastructures détruites par l’armée israélienne. Ce sont par exemple le port et l’aéroport de Gaza, mais aussi des bâtiments administratifs et de sécurité de l’Autorité palestinienne — notamment à Naplouse et à Jénine, où l’Union a consacré 30 millions d’euros à la reconstruction, qui devrait être achevée début 2014, de deux sièges de l’Autorité —, ou encore des installations de base en milieu rural. Même des équipements mobiles à usage humanitaire (tentes, abris, latrines...) sont régulièrement saccagés par l’armée ou par les colons, sans qu’aucune demande de dédommagements ait jamais été formulée. Seul l’Office humanitaire de la Commission européenne (ECHO) a réclamé par écrit, en 2013, des compensations financières. Il a reçu une fin de non-recevoir assez sèche, sous prétexte que les structures n’avaient pas été construites en coordination avec les autorités israéliennes.Les incidents — impliquant entre autres des diplomates européens (lire « Quand Paris se couche… ») — sont fréquents, mais le plus souvent étouffés par des chancelleries soucieuses de ne pas faire de vagues. Ainsi, l’appui au renforcement institutionnel de l’Autorité palestinienne — leitmotiv des bailleurs de fonds qui misent sur le développement économique à défaut de solution politique — a été confirmé sans sourciller. Il s’est pourtant transformé au fil du temps en une perfusion permettant de maintenir à flot l’Autorité, dont l’Union paie en grande partie les fonctionnaires, à raison de 150 millions d’euros par an.Les ressources en eau ont toujours constitué un enjeu majeur. Or leur partage est resté largement défavorable aux Palestiniens, tributaires d’un Joint Water Committee censé favoriser la codécision, mais utilisé par la partie israélienne pour bloquer la plupart des projets palestiniens touchant à l’aquifère. Les Palestiniens n’ont accès qu’à 20 % des ressources de la Cisjordanie, contre 80 % pour les Israéliens (4) ; ils consomment en moyenne quatre fois moins d’eau par jour et par personne. La « communauté internationale », Union incluse, ne semble pas gênée de financer des projets de traitement des eaux dont l’investissement ainsi que les coûts d’opération sont plus élevés en raison des restrictions imposées par l’occupant.A Jérusalem, les autorités israéliennes ont exproprié plus d’un tiers de la partie est de la ville, aussitôt déclaré « territoire de l’Etat ». En 2013, on dénombre deux cent cinquante mille colons établis dans les quartiers palestiniens, que ce soit dans la vieille ville et les bassins historiques ou dans de vastes ensembles urbains disposés en cercles concentriques autour de la ville. Même la culture, l’histoire et le patrimoine sont des domaines étroitement contrôlés : rétention des permis d’exercer comme guide touristique, récupération des œuvres et des manuscrits, contrôle des fouilles archéologiques... Cela semble relever, d’après le dernier rapport des chefs de mission diplomatique européens en poste à Jérusalem, « d’un effort concerté qui vise à se servir de l’archéologie pour renforcer les prétentions à une continuité historique juive à Jérusalem, et ainsi créer une justification pour son établissement en tant que capitale éternelle et indivisible d’Israël (5) ».Malgré les conclusions sans équivoque de ce rapport transmis à toutes les capitales européennes, l’Union a été bien en peine d’imposer une quelconque mesure aux autorités israéliennes, à commencer par la réouverture des institutions officielles à Jérusalem-Est, au premier rang desquelles la Maison d’Orient — siège de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) à Jérusalem jusqu’en 2000 — et la Chambre de commerce palestinienne.En 2010, Israël a fermé l’ensemble des points de passage vers la bande de Gaza, excepté ceux d’Erez (à accès restreint) et de Kerem Shalom, seule entrée autorisée pour les importations de certaines marchandises, au grand bénéfice du Hamas. Les exportations restent interdites, à quelques exceptions près. Tout le long de cette bande de Gaza, déjà l’un des endroits les plus densément peuplés du monde avec près de deux millions de personnes sur quatre cents kilomètres carrés (quatre mille cinq cents habitants au kilomètre carré), les autorités israéliennes ont en outre imposé une zone tampon (buffer zone) de cent à cinq cents mètres de largeur le long du mur de sécurité, empêchant désormais l’accès de la population à 17 % du territoire, soit près du tiers de sa surface cultivable.De telles restrictions existent aussi pour la façade maritime, puisque la limite de pêche — initialement établie à vingt milles nautiques par les accords d’Oslo — est aujourd’hui comprise entre trois et six milles nautiques selon les périodes (6). Réponse de l’Union : 15 millions d’euros supplémentaires pour l’agrandissement des infrastructures frontalières au point de passage de Kerem Shalom, c’est-à-dire un investissement dans l’infrastructure de sécurité israélienne, à défaut d’obtenir la levée du blocus que l’on réclame pourtant officiellement.Par ailleurs, le sort des réfugiés palestiniens s’est encore détérioré. Expulsés de leurs villages lors des guerres de 1948 et de 1967, ils sont près de cinq millions enregistrés par les Nations unies. Un tiers vivent encore dans des camps « provisoires » à Gaza, en Cisjordanie, en Jordanie, au Liban et en Syrie ; trois millions et demi dépendent de l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA) pour les services de base en matière de santé ou d’éducation. Cette situation, qui coûte à l’Union européenne près de 300 millions d’euros par an sous forme d’appui financier à l’UNRWA, est encore aggravée par l’afflux actuel de réfugiés syriens et par l’instabilité des pays de la région.Le statu quo au Proche-Orient, qui n’a de statu quo que le nom, illustre l’incapacité de l’Union européenne à imposer les conditions d’une paix durable dans la région. Elle dispose pourtant de tous les moyens pour le faire (7).En premier lieu, l’Union devrait assumer ce pas important franchi avec la publication de sa directive, au lieu de tenter d’en atténuer la portée, et refuser de céder aux pressions exercées depuis par les autorités israéliennes — qui ont interdit à ses représentants l’accès à Gaza — et américaines. En outre, avec un volume d’échanges de près de 30 milliards d’euros par an, l’Europe représente le premier partenaire commercial d’Israël, et un quart de ses exportations. L’Union pourrait ainsi menacer Tel-Aviv de rétorsions dans le cadre de l’accord d’association signé en 2000, geler les accords spécifiques en vigueur ou en cours de négociation (Israël reste le premier bénéficiaire des programmes méditerranéens), et suspendre toute négociation en vue d’un renforcement de l’accord d’association.De surcroît, elle pourrait cesser d’importer des produits fabriqués ou assemblés dans les colonies israéliennes de Cisjordanie. En 2012, un collectif de vingt-deux organisations non gouvernementales (ONG) estimait ces importations à 230 millions d’euros, soit quinze fois plus que les importations européennes de produits palestiniens (8). Ne dépendant pas de financements européens directs, ces exportations ne sont en effet pas concernées par la récente directive. Et, à défaut d’étiquetage précis, ces produits « made in Israel », en fait originaires des colonies, bénéficient d’une exemption de taxe… Dans un souci de transparence vis-à-vis du consommateur européen, une démarche d’étiquetage est en cours dans treize Etats. Cependant, certains d’entre eux, comme l’Irlande, regrettent que cette initiative n’aille pas jusqu’à l’interdiction pure et simple de ces produits sur le marché européen.Enfin, l’Union est en mesure d’agir sur le commerce des armes avec Israël, qui continue de croître en dépit du code de conduite européen interdisant tout commerce d’équipement militaire avec des autorités« faisant usage de répression intérieure, d’agression internationale ou contribuant à l’instabilité régionale ». Cette importation d’équipements, l’investissement dans la recherche (en partie grâce à des subventions européennes) ainsi que les récentes opérations militaires meurtrières à Gaza — véritable laboratoire pour les technologies de pointe en matière d’armement — ont permis d’accroître les ventes d’armes israéliennes dans le monde : elles ont atteint en 2012 le niveau record de 5,3 milliards d’euros, ravissant ainsi la quatrième place au palmarès des exportateurs d’armes à... la France.Il y a un an, l’Union européenne obtenait le prix Nobel de la paix. Peut-être serait-il temps qu’elle s’en souvienne ?Laurence BernardJournaliste.
(1) Conclusions du conseil des affaires étrangères de l’Union européenne, 8 décembre 2009.(2) En 2004, la Cour internationale de justice a rendu un arrêt déclarant le tracé du mur illégal au regard du droit international. Lire William Jackson, « Détruire ce mur illégal en Cisjordanie », Le Monde diplomatique, novembre 2004.(3) Cf. « The prohibited zone », Bimkom, Jérusalem, 2009.(4) Cf. le rapport de l’Assemblée nationale sur la géopolitique de l’eau dénonçant le « nouvel apartheid » pratiqué par Israël dans ce domaine (décembre 2011).(5) Rapport des chefs de mission de l’Union européenne à Jérusalem-Est, février 2013.(6) Lire Joan Deas, « A Gaza, la mer rétrécit », Le Monde diplomatique, août 2012.(7) Cf. « Failing to make the grade. How the EU can pass its own test and work to improve the lives of Palestinians in Area C » (PDF), Association of International Development Agencies (AIDA), 10 mai 2013.(8) « Trading away peace : How Europe helps to sustain illegal Israeli settlements », Fédération internationale des ligues des droits de l’homme, Paris, octobre 2012.