La princesse du cirque, l'opérette de Kálmán au Cirque Krone de Munich

Publié le 27 juillet 2014 par Luc-Henri Roger @munichandco

Daniel Prohaska (Mister X), Alexandra Reinprecht (Princesse Fedora Palinska)

Théâtre en rénovation, le Gärtnerplatztheater de Munich doit constamment se trouver de nouvelles salles pour présenter ses spectacles. Le Cirque Krone, qui est toujours en tournée tant en été qu'en automne, propose alors son amphithéâtre à la location. On ne pouvait rêver de meilleur espace que celui d'un cirque pour monter la Princesse du cirque d'Emmerich Kálmán. Le théâtre lyrique populaire munichois s'y est installé pour y monter son opérette  dont l'action se déroule notamment dans un cirque à Saint-Pétersbourg. Une belle mise en abyme.
Vous croyez que l'opérette est un genre désuet et dépassé et que ses airs ne font plus valser que des seniors nostalgiques du temps de leurs grands-parents? Le Superintendant du Theater-am-Gärtnerplatz, Josef Köpplinger est certes d'un autre avis et nous livre ici une mise en scène qui part comme un feu d'artifice et qui ne se termine qu'au dernier tableau de trois bonnes heures d'un spectacle total de joie, de musique, de danse, de sons, de couleurs, de vivacité créative. Köpplinger fait valser la scène et le public de manière étourdissante. On est captivés et émerveillés à chaque instant, on sort du spectacle en chantonnant un des grands airs et on se dit qu'on reviendrait bien s'enviver de ce pur bonheur en septembre prochain lorsque le spectacle sera repris en ouverture de saison. La manière dont le metteur en scène autrichien revisite les opérettes est époustouflante de nouveauté et d'inventivité. Non, l'opérette n'est pas morte, ce n'est pas une musique pour croulants attendris, en tout cas pas à considérer le monde de l'opérette selon Köpplinger. Le public munichois s'est très vite rendu compte que le Gärtnerplatztheater avait eu la main des plus heureuses en accueillant son nouveau Directeur général: ses mises en scène de l'Auberge du cheval blanc, ou plus récemment, de Tschitti Tschitti Bäng Bäng, furent des réussites totales et ont montré qu'on pouvait renouveler le genre.
Le metteur en scène et son équipe ont été confrontés à divers problèmes, l'amphithéâtre et la piste d'un cirque ne répondant pas aux nécessités d'un opéra. Pas de fosse d'orchestre, une piètre acoustique, ni dessous de scène ni cintre. Josef Köpplinger a fermé les deux portions de l'amphithéâtre situées de part et d'autre de l'entrée des artistes. Il a placé l'orchestre dans la partie supérieure de l'une d'entre elles, et pour partie dans la petite loge d'orchestre située au-dessus de cette entrée, qui accueille d'ordinaire le petit orchestre du cirque. Quant aux chanteurs, ils étaient tous porteurs d'un micro, sans quoi leurs prestations auraient été quasi inaudibles. L'espace circulaire entre la piste du cirque et les spectateurs a été recouvert d'un plastique noir brillant, la piste proprement dite donnera l'illusion d'une patinoire pour les scènes hivernales de l'opérette. Quelques élements de décors sont apportés sur la piste, mais l'ambiance sera surtout suggérée par les costumes très élaborés et magnifiquement réussis de Marie-Luise Walek.

Le public est accueilli par une série de clowns qui le divertit de son attente par de gentilles pitreries. Les clowns ne quitteront plus la scène. Il ne s'agit pas d'artistes de cirque mais d'une quinzaine de danseurs et de figurants du Gärtnerplatztheater qui tout au long du spectacle réagiront en mimant ou en dansant les émotions que suscite l'action. On a au cours de la représentation tout le loisir de détailler la beauté de leurs costumes, tous individualisés, d'une sophistication rare, et de leurs mouvements individuels ou d'ensemble, un travail remarquable, attachant et réjouissant superbement orchestré par le chorégraphe Karl Alfred Schreiner, directeur de la danse du Gärtnerplatztheater, en parfaite complicité avec Josef Köpplinger. Aux premières mesures de l'orchestre, les clowns se rappocheront d'une grande malle de voyage qu'ils ouvriront avec curiosité. Un ballon en forme de coeur rouge s'en échappe et s'élève vers le chapiteau. Le ton est donné, on s'en doutait, l'opérette nous parlera d'amours romantiques. La piste et son cercle extérieur seront constamment animés par leur sarabande très colorée.

Toni  (Otto Jaus) et Liese (Nadine Zeintl)

Les chanteurs sont en costumes d'époque. Les milieux de la haute noblesse russe et autrichienne se mélangent aux milieux du cirque. Les nobles courtisent les ballerines et les écuyères. La princesse Fedora  Palinska, une veuve jeune et richissime, est fascinée par un artiste de cirque, Monsieur X, un noble qui a choisi de se cacher sous un masque et de jouer la carte de l'incognito en devenant artiste de cirque, un monde qui le fascine. Un jeune Viennois, Toni,  tombe éperdument amoureux de Liesel, une dresseuse de caniches, et se fait passer pour le noble qu'il n'est pas: il prétend être le fils de l'Archiduc Karl, ce qui n'est qu'un mensonge digne de la casuistique. Sa mère dirige l'Hôtel Grossherzog Karl à Vienne. La dresseuse refuse ses avances, pas de galipettes sans mariage! Une nuée de hussards russes courtisent la princesse rendue immensément riche par un veuvage récent. La vodka et le champagne coulent à flots. Un prince russe est éconduit par la princesse et pour se venger, propose à Monsieur X de se faire passer pour un noble et d'épouser la belle Fedora. Il veut ainsi humilier publiquement la noble dame qui s'est permis de l'éconduire, en dénonçant son mariage avec un roturier, qui pis est un saltimbanque. Mais la princesse est amoureuse de Monsieur X, dont on sait déjà qu'il appartient lui-même à la haute noblesse. Il y aura bien humiliation et séparation, mais les nouveaux époux se réconcilieront dans l'hôtel viennois au dernier acte, un hôtel où arrivent aussi Toni et Liese, qui se sont mariés en secret. Toni devra avouer à sa mère qu'il a épousé une artiste de cirque. Il est aidé par le maître d'hôtel, qui est depuis trente ans dans la maison et est vraisemblablement le vrai père de Toni, avec qui la patronne a eu une aventure de jeunesse. Toute une série de quiproquos que la mise en scène met ingénieusement en exergue et qui sont suivis avec intérêt, en effet miroir, tant par la bande de clowns que par le choeur de la noblesse. Tout ceci requiert un énorme plateau, et c'est une vraie féérie de voir comment le metteur en scène et le chorégraphe font évoluer ce monde bigarré. 

A tout ce beau monde viennent s'ajouter de véritables artistes de cirques qui meublent les intermèdes, un excellent jongleur et surtout le numéro d'équilibristes comiques de deux jeunes artistes finnoises au talent exceptionnel, Stina Kopra et  Lotta Paavilainen. Aux artistes de chair et d'os, qui pour certains jouent les animaux de cirque, des ours blancs notamment, il faut ajouter les poupées de son: toutes une série de ballerines en tutu grandeur nature portées à bras le corps par les clowns et aussitôt enlevées par les hussards dont on se rend bien compte qu'ils n'en sont pas à une gaillardise prêt. Puis il y a ce moment délicieux où une femme-canon pénètre dans le fût d'un canon de foire et en est expulsée pour le plus grand plaisir du public puisque si c'est une femme qui y entre c'est une poupée qui en sort propulsée dans les airs. Ajoutons encore le charme et l'inventivité des décors: la piste qui se transforme en une patinoire glacée, la neige qui tombe, ce qui est particulièrement rafraîchissant par ce temps caniculaire. Pour le dernier acte qui se déroule à Vienne,  le changement de lieu est indiqué par l'arrivée sur scène de trois maquettes d'attractions viennoises des plus connues: la Stefanskirche, l'église cathédrale de la capitale impériale, la grande roue du Prater et et palais de Schönbrunn, tandis que le décorateur Rainer Sinell fait glisser un bureau de réception sur le rail qui entoure la piste, et installe un restaurant grâce à de simples chaises thonet  et des tables de bistrot, avec aussi un empilement de chaises des plus réussis, sur lequel viendront se jucher, comme un essaim confus, le groupe des clowns.
Jürgen Goriup au pupitre fait valser les instruments au rythme rapide et souple de la musique d'Emmercih Kálmán dans une prestation pleine d'allégresse et de légèreté. La valse règne en maîtresse. Sur la piste, un plateau de chanteurs et de chanteuses de tout grand format: Daniel Prohaska en Monsieur-X revêt un costume de Zorro pour se laisser ensorceler par la très talentueuse Alexandra Reinprecht, peut-être la meilleure interprète d'opérettes du moment à Vienne, qui fait une Fedora exquise. La paire Toni-Liesel est inénarrable de drôlerie. Otto Jaus (Toni) avec son excellent jeu scénique d'amoureux transi et maladroit est aux pieds de Nadine Zeintl avec son maquillage et ses couettes à la Nina Hagen, l'actrice chante et joue à ravir les effrontées vulgaires, un régal! Enfin les deux couples plus âgés, l'âpre hôtelière Sigrid Hauser et son maître d'hôtel Rober Meyer, et le couple directorial du cirque, Gisela Ehrensperger et Franz Wyzner, touchants dans  leur interprétation de vieillards contraints de renoncer à la direction d'un cirque qu'ils adorent, ne sont pas en reste de talent. On a là un plateau extraodinaire pour une parfaite soirée d'opérette.
Du cirque, des clowns, de grands chanteurs, de la danse et de la chanson, de l'amour à en revendre, tout cela présenté sous la forme d'un grand spectacle étourdissant. Un spectacle à ne pas manquer qui connaîtra une reprise à Munich en septembre puis, plus au nord, au Théâtre de Duisburg (Deutsche Oper am Rhein), à partir de novembre.
Agenda

Les 29 et 30 juillet 2014
Les 17, 19, 20, 21 et 23 septembre 2014 au Cirque Krone de Munich.
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Crédit photographique: Thomas Dashuber