True Detective Saison 1 – 17 ans de polar en Louisiane (HBO)

Publié le 30 juillet 2014 par Neodandy @Mr_Esthete

Les enquêtes blafardes et pâles des Experts; l’original mais essoufflé Dexter, les ingénieuses et affaires connues de Sherlock Holmes : autant d’enquêteurs différents qui ont à leur manière été adaptés dans des Séries Télévisées allant du moins subtil à l’excellence. 8 épisodes suffisent à True Detective pour se faire une place dans le haut palmarès de la concurrence tout simplement en les surpassant d’un revers de la manche. Fantastique et pourtant simple; osée quoiqu’usant des poncifs et clichés du policier-détective; HBO démontre définitivement qu’en 8 heures environ il est possible synthétiser une autre vision du polar. Elle est faite de peurs rationnelles, d’acteurs donnant le meilleur de leur talent devant la caméra et d’une approche quasi philosophique allant au-delà de la routine du schéma des analyses ADN, de l’interpellation du suspect puis de ses aveux. Bienvenu à Carcosa, Royaume du Roi Jaune et d’une Louisiane filmée en 2 temps différents : 17 ans d’enquête mènent l’inspecteur Martin Hart (Woody Harrelson) et Rust Cohle (Matthew McConaughey) dans une introspection personnelle … à cause d’un meurtre tout sauf banal.

  En 1995, une femme est retrouvée morte, nue et assassinée près d’un arbre en Louisiane. Yeux bandés, couronne de bois sur la tête et un cercle dans son dos sont les premiers indices à frapper notre duo d’enquêteurs dépêchés sur les lieux. Avant même de se lancer dans les analyses, tout laisse penser qu’il s’agit de l’un des meurtres sacrificiels les plus dérangeants. Presque tout oppose les deux "héros" de l’enquête : Martin Hart est le seul du service d’investigation à "accepter" la présence de Rust Cohle surnommée "Le Percepteur". Renfermé, discret, "réaliste-pessimiste" et surtout connu pour avoir eu une vie mouvementée dans la police : déboires, toxicomane aux services des stupéfiants, il n’en reste pas moins l’un des plus talentueux dans son métier. Attentif, songeur, acharné; toute la détermination de Cohle transforme l’affaire en leur affaire : une histoire qui durera 17 années.

Ces "attrape-rêves" seront les premiers indices retrouvés sur place.

   Ce qui aurait pu faire l’objet d’un film à rebondissements en plusieurs parties est finalement une série que l’on jugerait assez courte. (8 épisodes allant de 55mn à 59 mn) Rapidement, la narration se veut troublée et jongle entre deux périodes. On ne sait trop pourquoi, Martin et Cohle sont interrogés séparément et tour à tour sur "l’affaire" qui les a menée au sommet de leur carrière. De 1995 à 2012, nos deux inspecteurs rapportent l’un des travails les plus harassants de leur carrière. Le récit suit la mémoire, fait des allers-retours et plus encore, se confronte à un mélange entre la vérité supposée des faits (Ce qui est narré) et l’œil de la caméra (Ce qui est filmé et tenu "pour vrai"). L’on comprend rapidement l’intérêt, notamment dans le milieu de la Saison 1 puisqu’évidemment, "tout" ne peut pas être révélé dans les enjeux communs de nos deux personnages.

   Bien qu’agissant en binôme, la Série TV donne une plage suffisamment large à Matthew McConaughey pour s’imposer comme "le" caractère dominant de True Detective. Cette confiance qu’a eu Nic Pizzolatto dans le jeu de McConaughey s’avère être un choix efficace et terriblement dynamique pour l’intrigue. En lui, quasi tous les lieux communs du bon et de l’abusé employé de police sont concentrés. Grâce à un tempérament singulier, il est aussi la clef d’une seconde relecture quasi incontournable de cette 1ere saison qui offre bien 2 niveaux de lecture différents. Il y a, d’une part, l’intrigue que le réalisateur a voulu directe bien qu’enchevêtrée par les flashbacks continuels dans le passé puis, d’autre part, le paquet de métaphores, un discours un peu plus axé vers la réflexion et "l’après-coup". Une forme de philosophie de vie assez abrupte de Cohle qui devient plus limpide à mesure de la découverte des épisodes et d’un nouveau visionnage des épisodes. Quelle raison dispose ses multiples discours alambiqués ? Pourquoi le personnage dispose de "visions" déclarées comme des "retours d’acides" ? La trame du Roi Jaune et de Carcosa ?

L’enquête débute … Et finira peut-être ici ?

   Artistiquement, la série TV place la barre haute dès le générique. Le réalisateur Cary Fukunaga prend plaisir à balader son spectateur et son audience dans une Louisiane revisitée par son côté tortueux, dévastée avec ce goût d’images délavées et ayant souvent un caractère solitaire. Peu de scènes en studio et des vues aériennes récurrentes donne un air de semi-abandon de notre duo sur les routes sableuses de Louisiane. Du point de vue visuel, on retrouve la même qualité que du côté de l’interprétation : divers talents se sont rencontrés et ont su trouver un point d’équilibre pour fournir quelque chose de cohérent et déboussolant tout en sachant se garantir de l’excès. "Visions" de Cohle, éléments fantastiques et autres scènes qui doivent être importantes le sont par une retranscription progressive, parfois inquiétante.

Le générique, visuel, de True Detective est sublimé d’une bande-son accrocheuse.

   True Detective gagne encore dans l’immersion de son audience avec une Original Sountrack (OST) d’une qualité certaine par les choix effectués. De la musique du groupe Handsome Family avec "Far from any road", d’un morceau de Bob Dylan ou de quelques pistes empruntées à The Black Angel, le résultat vise à la fois une ambiance Western, plus électrique ou tout simplement plus calme et plus reposante. Une bande-son qualitative malheureusement non disponible en CD physique.

17 ans après, Cohle (Matthew McConaughey) revient sur le meurtre le plus entêtant de sa carrière …

   Plusieurs lectures, nous l’avons évoqué, et surtout de multiples centres d’attention qui font de True Detective une production pertinente. Sans en connaitre le début; chacun en connait la fin. Sans encore savoir pourquoi, nos deux détectives ont quitté leur job’ alors qu’ils étaient au point culminant de leur carrière. 17 années ont coulé sous les ponts si bien que "tout" reste à faire puisque l’affaire ressurgit assez mystérieusement du passé. La suspension est maintenue par le séquençage des épisodes (En définitif, tout semble clos aux alentours des 4e et 5e épisodes) autant que par des portraits acides de l’Homme. A la place des figures du "bon et méchant Flic", ce sont deux personnages complexes dont l’un ne cache pas ses traits tandis que l’autre se découvre au fil de ses excès et de ses défilements à ses engagements.

   Dans un cas comme dans l’autre, ce laps de temps inhabituel de 20 années nous démontre l’évolution de ces être fictifs. Du début jusqu’à la fin, le fait est bien clair. L’histoire de 1995 emmènera 2 collègues à soulever quelques sujets tabous : la religion, la prostitution, la spirale de la drogue (Aussi bien pour les suspects que pour les membres de la police …), la pédophilie, le sordide et les enquêtes annexes difficilement soutenable. A sa manière, Nic Pizzolatto prend fragment après fragment les moments les plus difficiles et l’aspect le plus ingrat du travail. D’une manière semblable à H.P. Lovecraft, l’agent Cohle est conscient d’une "vérité cachée" qui l’amène régulièrement à conclure que des animaux existants, l’homme est le plus cruel d’entre eux.

Pessimiste ou réaliste, Cohle s’impose comme l’entité centrale du duo …

   Les yeux de la caméra sont en quelque sorte les pas à pas troublants de l’agent Cohle. Troublé ou mené en bateau, dans la vérité ou l’ignorance, il n’y a pas une seule seconde où la conscience peut se dire "Et s’il avait finalement tort dans tel raisonnement ?". A la remise en question et le doute, la Série s’amuse avec notre logique pour finalement suivre la voie tracée par l’interprétation de Matthew McConaughey. Le rendu installe une ambiguité supplémentaire à une trame qu’il suffit finalement de remettre dans un ordre de compréhension.

La piste du "Roi en Jaune" est alambiquée … Et à découvrir.

   Au final tombé, il reste d’excellentes choses. Le mieux encore étant de faire le lien entre chaque épisode : quasi chaque dialogue entre Martin Hart, Rust Cohle et les suspects resplendissent de la double énonciation. Cet aspect de court récit, simple et possible de traverser à plusieurs reprises est directement inspiré du ressort de la nouvelle Le Roi en Jaune. Exactement le sujet dont il est question derrière "la" grande trame scénaristique.

Incontournable ? True Detective achève une Saison 1 auréolée de qualités et de belles idées. Courte mais adaptée à son idée centrale, l’œuvre une fois à son aboutissement ne renouvelle pas le genre mais sait se rendre originale, efficace, exceptionnelle dans l’engagement d’une simplicité-complexifiée. Choix d’acteurs, goût pour les éléments fantastiques, sélection musicale adaptée aux séquences pour une bande-son mémorable : il n’y a pas un détail où True Detective pourrait faillir tant le résultat est concluant. Une surprise, une bonne, qui tient énormément de promesses avant la 2e Saison en préparation et écrite par Nic Pizzolatto.