Transition énergétique : un projet de loi bien timide

Publié le 31 juillet 2014 par Blanchemanche

30 JUILLET 2014 |  PAR JADE LINDGAARD ET DAN ISRAEL/ http://www.mediapart.fr/journal/france/300714/transition-energetique-un-projet-de-loi-bien-timideEn présentant ce mercredi son texte sur la transition énergétique, le gouvernement a affiché de grandes ambitions, voulant faire de la France « l’un des Etats membres de l’Union européenne les plus engagés ». Des promesses qui ne résistent pas à l'analyse : la future loi manque plusieurs occasions de renverser la table.
De très légères avancées nouvelles, encore quelques reculs, et plusieurs occasions manquées. Annoncé par François Hollande comme « l'un des plus importants du quinquennat », le projet de loi sur la transition énergétique est officiellement sur les rails. Le texte, censé initier un « nouveau modèle énergétique français », a été présenté ce mercredi en conseil des ministres et devrait commencer à être examiné début octobre par le Parlement. « Ce projet de loi fait de la France l’un des États membres de l’Union européenne les plus engagés dans la transition énergétique et la lutte contre le changement climatique, au moment où se discute au niveau européen le nouveau paquet énergie climat, a assuré le gouvernement. À l’approche de la Conférence de Paris sur le Climat de 2015, il traduit l’ambition française dans le cadre des négociations internationales. »Présenté dès la mi-juin à la presse par la ministre de l’écologie Ségolène Royal, au prixde quelques retournements de situation de dernière minute, le texte a depuis été soumis au Conseil national de la transition écologique (CNTE. Son avis est à lire ici) et au Conseil économique, social et environnemental (CESE dont l’avis est là). Les deux instances ont pointé des manques et des points à clarifier ou à compléter. Ils ont été en partie entendus : le gouvernement a ajouté au texte l’objectif de faire baisser la consommation d’énergie de 2,5 % par an jusqu’en 2030 et il a élargi la notion de véhicule propre au-delà des seuls véhicules électriques ou hybrides.Pour autant, les objectifs annoncés restent bien timides.« Rien de neuf sous le soleil », regrette le Réseau action climat, qui rassemble des experts militants spécialisés en transition énergétique. « Que ce soit sur les objectifs de moyen terme, la rénovation du bâtiment, la mobilité ou la production d'énergie, le projet de loi apporte quelques avancées à la marge mais ne donne pas l'élan nécessaire pour aller vers un modèle énergétique plus sobre, créateur d'emplois, plus proche des territoires et moins polluant », tranche l’ONG, qui appelle les parlementaires à étoffer la loi. Même attente à la fondation Nicolas Hulot, qui affiche toutefois son soutien de principe, en affirmant que « ce texte sera un acte majeur du quinquennat et une façon d'entrer enfin dans le XXIe siècle », à condition toutefois qu’il « dispose des moyens pour être appliqué, c’est-à-dire des financements à hauteur de son ambition, estimés à 20 milliards d’euros par an ».Retour sur les annonces du projet de loi, avec ses (quelques) bons points, et ses lacunes.LES BONUS
  • Dix milliards d’euros mobilisés
Ségolène Royal a indiqué qu'environ 10 milliards d'euros seraient mobilisés : 5 milliards apportés par la Caisse des dépôts pour des prêts dédiés aux collectivités, à un taux de 2 %, 1,5 milliard « pour renforcer le soutien aux initiatives locales exemplaires en matière de transition énergétique et d’économie circulaire », 1,5 milliard d'allègements fiscaux, mais aussi 1 milliard pour la rénovation énergétique des collèges, et divers prêts.Parmi les aides annoncées, figure un prêt à taux zéro pour les particuliers, que le gouvernement espère pouvoir faire passer de 30 000 à 100 000 par an (malgré les demandes des ONG, ces prêts ne seront cependant pas conditionnés à un bon niveau d’efficacité énergétique des travaux). Et les ménages réalisant des travaux thermiques avant 2015 obtiendront un crédit d'impôt de 30 %, « sans être obligés de faire plusieurs travaux à la fois, comme par le passé », a indiqué Ségolène Royal. L’allègement est plafonné à 8 000 euros pour une personne seule, et 16 000 euros pour un couple.Par ailleurs, les tarifs sociaux sont étendus aux ménages se chauffant au fioul et au bois, alors que seuls ceux se chauffant au gaz et à l’électricité pouvaient en bénéficier aujourd’hui. Mais le montant de ce chèque énergie n’est pas encore établi.
  • Le mix énergétique sur la bonne voie, mais toujours pas clair
C’était l’un des points que Mediapart jugeait incontournable, et il figurera bien dans la loi : les énergies renouvelables devront représenter en 2030 plus de 30 % de la consommation d’énergie du pays, en l’occurrence 32 % (contre 13,7 % en 2012). Et la mouture finale du texte a même ajouté une étape intermédiaire, la part du renouvelable devant être de 23 % en 2020.La loi reprend aussi les objectifs de long terme annoncés par François Hollande : diviser par deux la consommation d’énergie d’ici 2050, baisse de 40 % des gaz à effet de serre d’ici 2030. Jusqu’à présent, le texte ne proposait pas d’objectif intermédiaire. Écoutant les avis du CNTE et du CESE, le gouvernement a ajouté qu’il convenait « de porter le rythme annuel de baisse de l’intensité énergétique finale à 2,5 % d’ici à 2030 ». Mais cet ajout ne satisfait pas les ONG : « Il aurait été beaucoup plus lisible et clair pour tout le monde de trancher en faveur d’un seuil de baisse à atteindre en 2030 », souligne Mathieu Orphelin, de la fondation Nicolas Hulot.
LES MALUS
  • Le tiers financement reste sous contrôle bancaire
Ségolène Royal en a fait l’une des principales mesures de sa loi : la reconnaissance de l’activité des sociétés de tiers financement, ces sociétés d’économie mixte (SEM) créées par les régions pour aider les ménages à boucler le financement de leurs travaux de rénovation. Concrètement, une copropriété signe un contrat avec un opérateur qui coordonne la rénovation thermique de son bâtiment, et qui règle une partie des coûts aux artisans du chantier. En échange, les habitants lui versent l’équivalent de ce qu’ils ne dépensent plus en facture. La région Île-de-France a créé en 2013 la première SEM dédiée au tiers financement pour la rénovation énergétique, la SEM Energies POSIT’IF.

Mais le lobby bancaire, en alerte sur le sujet (voir ici notre enquête), a obtenu que les SEM concernées soient soumises au code monétaire et financier, c’est-à-dire qu’elles se transforment elles-mêmes en établissement de crédit. Elles doivent notamment s’assurer de détenir assez d’argent pour garantir le même ratio de fonds propres que les banques, ce qui est bien sûr difficile pour une petite société et pour les collectivités locales.Dans une première version du projet de loi, datée du 14 juin, il était indiqué explicitement que cela ne devait pas être le cas. Depuis lors, ce geste de bonne volonté en faveur des SEM a disparu, et elles sont donc tenues, soit de devenir un établissement de crédit, soit de passer une convention financière avec une banque, qui se chargerait elle-même de l’offre de prêt.
  • Gouvernance du nucléaire
Le pré-projet de loi n’accorde pas à l’État le pouvoir de fermer un réacteur nucléaire pour une raison politique (voir notre enquête à ce sujet). Malgré son soutien au texte, le sénateur EELV Ronan Dantec remarque qu’« arrêter un réacteur nucléaire reste un tabou ».
  • Tarif de l’électricité : les gestionnaires ont obtenu gain de cause
Sujet hautement sensible politiquement, le tarif de l’électricité fait l’objet d’un article très favorable à EDF. Il concerne le tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité, le« Turpe ». Depuis 2002, ce Turpe rémunère les gestionnaires de réseaux publics, essentiellement ERDF, la filiale d’EDF, en échange de l’exploitation, de l’entretien et du développement des réseaux, et RTE qui gère le flux d’électricité. Il représente environ 11,4 milliards d’euros par an, dont 8,4 sont versés à ERDF. Or fin 2012, le Conseil d’État a annulé le Turpe mis en place pour la période allant de 2009 à 2013. Il était en fait surestimé de plusieurs centaines de millions d’euros (voir notre enquête à ce sujet) car il intégrait des dépenses déjà effectuées depuis longtemps.Or le projet de loi établit désormais que « les tarifs d’utilisation des réseaux publics de transport et de distribution d’électricité incluent une marge raisonnable qui contribue notamment à la réalisation des investissements nécessaires pour le développement des réseaux ». En clair, les filiales d’EDF ont le droit d'intégrer tous les coûts qu'elles souhaitent dans leurs prix.
  • Angles morts de la mobilité écologique
Le projet de loi ne s’intéresse à la mobilité des personnes presque qu’à travers le soutien à la voiture électrique : sept millions de points de recharge à l’horizon 2030, aide de 10 000 euros pour le remplacement d’un diesel polluant par un véhicule électrique, remplacement d’une voiture sur deux de la flotte publique par une auto roulant à l’électricité… Malgré les demandes du CESE et du CNTE, rien sur les infrastructures de transport, et rien sur les nouveaux services de mobilité. En revanche, comme suggéré, l’État a inclus dans sa définition des véhicules propres, outre les voitures électriques ou hybrides, celles qui émettent « un très faible niveau d’émission de gaz à effet de serre et de polluants atmosphériques ». L’État devra, lorsqu’il renouvelle sa flotte de véhicules, atteindre 50 % de véhicules propres.Le texte n’abolit pas l’avantage fiscal du diesel sur l’essence, malgré son impact avéré sur la santé publique.
  • Plus de citoyens actionnaires à coup sûr
C’était un des bons points que Mediapart avait relevé le 18 juin ; il a disparu aujourd’hui. Le texte aurait dû imposer que pour tout nouveau projet de production d’énergie renouvelable, le maître d’œuvre ouvre une partie de son capital aux citoyens et aux collectivités territoriales. Cet article 27 est maintenu, mais il n’est plus question d’obligation, puisqu’il indique désormais que ces entreprises « peuvent, lors de la constitution de leur capital, en proposer une part à des habitants résidant habituellement à proximité du projet ou aux collectivités locales sur le territoire desquelles il doit être implanté ».
  • Où sont passés les bâtiments à énergie positive ?
Lors de sa conférence de presse du 18 juin, Ségolène Royal avait vanté les bâtiments à énergie positive, ces constructions qui produisent l’énergie (de source renouvelable) dont elles ont besoin pour fonctionner. Dans sa version du 14 juin, le projet de loi obligeait toute nouvelle construction sous maîtrise d’ouvrage publique à être à énergie positive. Depuis, l'obligation a sauté : « Toutes les nouvelles constructions sous maîtrise d’ouvrage publique font preuve d’exemplarité énergétique et seront, chaque fois que possible, à énergie positive. »