Musée Soulages : un Rodez d'acier à l'ombre d'une cathédrale

Par Sergeuleski

   Si on lève la tête, dos au musée, la cathédrale Notre-Dame de Rodez sauve les lieux trois cents mètres plus loin, et plus haut, même si cela nécessite, à vol d’oiseau, de donner un sens nouveau à l’idée même de perspective. On sera donc charitable pas tant pour les arch(qui)itectes Aranda, Pigem et Vilalta (agence RCR), espagnols catalans dont on n’a vraiment rien à battre mais pour le peintre Pierre Soulages dont «… les peintures sont des maisons zen ; les trois quarts d'une maison zen dont le spectateur fait le quart restant. Ses tries noires, huilées, donnent à voir le rideau de fer baissé du magasin de Dieu. » C. Bobin 

Ce bâtiment qui se dit « musée » c’est tout l’art contemporain (pop art, art brut, art conceptuel, peluches, art trou de balle, mon cul sur la commode !) qui croit pouvoir encadrer, soutenir et prendre en charge l’Art moderne qui, il faut le rappeler, est l’aboutissementd’une « tradition », d’une continuité qui va des grottes de Lascaux à Zao Wou-Ki : travail, métier, savoir faire, recherche, l’Art art de vivre même et surtout fauchés.

  Cinq volumes d’acier- lego géant - fruit d’une architecture réduite à sa plus simple dimension et absence d’expression. Cinq conteneurs abandonnés à la rouille – manque plus que les quais d’un port et le son d’une corne de brume -, au service d’une architecture où rien ne doit dépasser, pas un cheveu et sûrement pas une mèche rebelle ;  architecture au ras de pâquerettes,rasée de près ; architecte de mort : la mort de l’architecture précisément : mort représentée par ces bunkers et blockhaus venus tout droit du mur de l’Atlantique et des côtes normandes dans une sorte de fascination-répulsion à rebours pour les édifices du 3e Reich ; c’est donc toujours la même histoire que l’on nous raconte : la mort, encore et toujours la mort !

A quand le rajout d’une DCA à son sommet qui prendra alors pour cibles, et pourquoi pas, la cathédrale de Rodez et tous les édifices dans un rayon de 60 kilomètres qui viendraient rappeler aux architectes à l’origine de ces volumes d’acier qui interdissent tous les débats, tous les commentaires et toutes les conversations - car, de quoi peut-on bien parler devant une telle dictature de la matière -, qu’il a existé, une fois… une Architecture avec un A majuscule.

   Il faut le savoir : la partie émergée du bâtimentqui n’abrite aucune œuvre  - les 500 tableaux du peintre seront relégués dans un 2e sous-sol, parking et tombeau – serait plutôt destinée, contre toute attente, à dissuader tout un chacun de franchir le seuil d’un hall d’accueil, d’une boutique et d’un restaurant-brasserie nommé « Café Bras » d’une imbécilité, d’une idiotie sans nom dans sa prétention à pouvoir assurer la continuitéde l’ouvrage : matière, lumière, espace jusque dans l’assiette.

   A son propos, une brochure n’hésite même pas : « Café Bras présente une offre alternant bistronomie et gastronomie dans l’esprit de l’œuvre de Soulages.»

On se savait pas que la peinture de Soulages était à ce point comestible. Mais alors, s’agit-il d’une nourriture de l’âme ? Rassurez-nous !

Et dire que ce lieu récréatif de restauration se voudrait lui aussi ouvert sur la ville de Rodez et ses habitants ! Quant à connaît le prix moyen d’un repas... c’est à pleurer de rire ou à désespérer d une bourgeoisie qui se paie une nouvelle fois la tête du populo.

Verrouiller à double tour, imperméable, infranchissable, force est de se dire que ce qui se croit être de l’architecture a cent ans de retard car Le Corbusier n’aurait pas fait pire avec le béton et un bâtiment qui ferme la porte à toute convivialité ou rencontre fortuite avec l’œuvre de Soulages : mieux vaut alors savoir où l’on va avant de se trouver nez à nez avec cet ouvrage impossible.

A aucun moment il n’est question de la main de l’hommecomme la cathédrale de Rodez nous le rappelle tragiquement, mais bien plutôt de raccourcis clavier, d’une souris laser et d’un logiciel de la marque Archicad pour une production d’espaces et de volumes à la queue leu leu, aux kilomètres carrés, en veux-tu, en voilà !

 

Car enfin… où est la fièvre de l’Art dans ces monolithes horizontaux ? Où trouver une fièvre spirituelle comparable à cette fièvre qui a érigé la cathédrale Notre-Dame de Rodez - cordages, échafaudages,poutres, sueur, sans et eau… ho ! Hisse ! Ho ! Hisse ! -, petites mains d’un Christianisme aux cent métiers, mille ans de savoir faire…

Et à défaut d’une fièvre… où trouver un enthousiasme pour l’architecture, une passion même contrôlée pour l’Art et le partage d’une inspiration et d’un élan dignes de ce nom avec le plus grand nombre ?

   Confrontés à une telle d’indigence conceptuelle, reste alors à développer autour de cette « pathologie » tout un discours… discours-escrocs, discours de commande du type « la rouille pestiférée, vecteur du tétanos, se mue en rhizomes de teinte brun-orangé et le noir, honni pour sa connotation mortuaire et satanique en plaques et lames sombres captant chaque variation de l’intensité lumineuse… »

Car il est dit que l’équipe responsable de ce bâtiment est « férue d’une clarté spatiale des espaces » : il est vrai que le message est on ne peut plus clair et l’acier aussi…

On nous précise que cet édifice qui se veut ou se voudrait un écho à l’œuvre de Soulages…, serait aussi le fruit d’une admiration partagé, entre l’artiste et les architectes pour les églises romanes : et là, on reste sans voix.

Certes, on pourra toujours se consoler et saluer le fait que ce bâtimentn’aura pas à vieillir car l'acier Corten, acier auto-patiné à corrosion superficielle forcée, utilisé pour son aspect et sa résistance aux conditions atmosphériques a tout prévu : personne n’aura à gérer techniquement et financièrement sa décrépitude, à peine né, le voilà déjà vieillard, pour l’heure encore enraciné dans le sol et encastré dans une colline ; il ne lui reste plus qu’à pourrir sur pied, ou bien plutôt à sombrer – pluies diluviennes, affaissement et glissement de terrain : pourvu que cela arrive les jours de fermeture !

   Sans rire, les architectes, maintenant paysagistes – c’est une brochure qui affirme contre toute évidence que l’acier Corten s’intègre dans l’environnement paysager -, évoquent un dialogue permanent entre la nature et l’acier ; quand on sait que ce bâtiment raye littéralement de la carte de Rodez le jardin public du Foirail…dont le kiosque de la fin du XIXe siècle modeste en superficie, et pour peu qu’on s’y attarde, a pourtant mille fois plus de présence et de charme que cette menace architecturale qu’est ce « musée » - violence et intimidation -,

Des milliers de tonnes d’acier et quelques plantes vertes n’ont jamais établi un dialogue quel qu’il soit mais bien plutôt, côté acier, un « Ferme ta gueule, c’est moi qui parle ! » sans contestation possible.

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   Il est vrai que Rodez reste une ville médiocre, sans architecture digne de ce nom… il suffit de passer devant sa salle des fêtes ! Une véritable injure à l’architecture, à la fête et à l’Aveyron…

Mais alors, qui décide dans cette ville, et depuis quand ? Marc Censi, le maire actuel ? Lui et son équipe de la communauté d’agglomération du Grand Rodez ?

Certes, ce lieu ouvert depuis le mois de mai comble Pierre Soulages ; de plus, c’ est une réussite commerciale, et comme l’argent sanctifie et le commerce aussi… on nous priera très certainement d’aller voir ailleurs si cela se fait que de déplorer non pas tant ce projet car l’œuvre de Pierre Soulages méritent ce retour sur sa terre natale, loin d’un Paris de happy-few de moins en moins heureux, mais bien plutôt ce mépris pour l’être humain et pour la vue sans précédent dans le domaine de l’architecture muséale qu’est cette construction si peu construite finalement.

Pauvre architecture ! Pauvre enseignement ! Pauvre modèle de prise de décision communale et démocratique !

   Contraints et forcés, comme si l’organisation au quotidien de l’existence qui nous est imposée n’y suffisait pas, les ruthénois, habitants de Rodez, devront apprendre alors à vivre avec cette nouvelle violence qui leur est faite car les architectes oublient un peu trop souvent que l’architecture est malheureusement « publique » : pas moyen d’y échapper et d’en réchapper !