Concertos pour un été. Platti par Luca Guglielmi et le Concerto Madrigalesco

Publié le 07 août 2014 par Jeanchristophepucek

D'un bon pas mais avec une relative discrétion, Luca Guglielmi poursuit, en parallèle d'enregistrements remarqués consacrés notamment à Johann Sebastian Bach, son exploration de l'univers de la musique pour clavier préclassique. Après Galuppi et Hasse (respectivement en 2010 et 2013 pour Accent), il revient à Giovanni Benedetto Platti, dont il avait déjà enregistré une très convaincante anthologie de sonates tardives parue en 2011 (Accent), en s'attardant cette fois-ci sur la partie concertante de sa production.

De ce compositeur très probablement né en 1697 à Padoue mais ayant fait l'essentiel de sa carrière, comme un certain nombre de ses contemporains, en terres germaniques (songez, par exemple, à Brescianello, natif de Bologne mais actif à Stuttgart), puisqu'il servit à la cour de Würzburg de 1722 à sa mort, le 11 janvier 1763, on conserve neuf concertos pour clavier et cordes, dont trois sont interprétés ici de façon judicieuse sur une copie d'un gravicembalo col piano e forte construit à Florence par Bartolomeo Cristofori en 1726 et un quatuor à cordes, un effectif qui permet de respecter les équilibres sonores et notamment à ce pianoforte des origines d'exploiter au maximum, sans jamais avoir à forcer le trait, la riche palette de dynamiques dont la recherche a justement présidé à son invention.

Le programme du disque a été intelligemment pensé de façon à démontrer que Platti occupe une place éminente parmi ces musiciens que l'on désigne, faute de mieux, comme « de transition. » Sa manière évolue des arabesques du baroque finissant aux premières lueurs du classicisme, éventuellement traversées par quelques éclairs préromantiques ; les œuvres les plus tardives proposées dans cette anthologie datent probablement de la décennie 1740, période durant laquelle commence à s'élaborer, plus au nord, la grammaire du style sensible (Empfindsamkeit) dont passe parfois le frisson dans le Largo des Concertos en sol majeur et en la majeur et surtout dans la superbe Sonate en ut mineur (1746), avec son premier mouvement qui annonce d'emblée la couleur par son titre de Fantasia avant d'enchaîner humeurs changeantes et éclats virtuoses. Tous deux en ut mineur, le Concerto I 49 (I pour Alberto Iesué, auteur d'un catalogue des œuvres de Platti) et la Sonate pour hautbois et basse continue, cette dernière de forme vaguement corellienne, relèvent plutôt de l'esthétique galante, ce qui n'est pas obligatoirement synonyme de superficialité, le compositeur s'y entendant pour valoriser les ressources expressives des instruments solistes dans les mouvements lents — c'est particulièrement frappant avec le hautbois dont la mélancolie chantante est particulièrement bien mise en valeur. La volonté de rationaliser les émotions, de tendre vers un équilibre lumineux tout classique trouve peut-être sa plus parfaite illustration dans le Concerto en la majeur qui joue sans barguigner la carte d'une simplicité pleine de fraîcheur diablement séduisante, là où celui en sol majeur tourne parfois un peu en rond, en particulier dans son Allegro assai final. La netteté de ses idées et la naturalité de leur enchaînement, le trouble qui affleure dans un Largo central, son finale radieux comme une belle journée d'été, tout concourt à rendre attachante cette œuvre dont l'art se cache habilement sous un caractère sans façons de musique composée pour être jouée entre soi.

Dirigeant le bien nommé Concerto Madrigalesco du clavier, Luca Guglielmi s'y entend pour donner leur juste densité à ces compositions. La légèreté de l'effectif autorise vivacité et transparence, ainsi qu'une grande interaction entre les pupitres, autant de cartes jouées ici avec enthousiasme et détermination, mais toujours avec un grand sens de la ligne et de la nuance. En effet, si la complicité est ici audiblement de mise, elle ne s'accompagne, pour autant, d'aucun laisser-aller ; tout est, dans cette lecture, parfaitement tenu et sait où il va. On y retrouve également ce qui est une des marques de fabrique de Luca Guglielmi, à savoir son sens inné du chant qui fait évidemment merveille dans la Sonate en ut mineur comme dans les mouvements lents des concertos, mais aide aussi à apporter de la substance quand l'inspiration de Platti se fait plus ténue — on n'ose parfois imaginer quel serait le résultat avec des serviteurs moins aiguisés que ceux réunis sur cet enregistrement. Le seul bémol viendra paradoxalement de la prestation du pourtant aguerri Paolo Grazzi, il est vraie desservie par une prise de son trop réverbérée, dont l'engagement dans la Sonate pour hautbois, très appréciable, m'a hélas quelquefois semblé avoir pour contrepartie quelques traits mal assurés voire un peu épais.

Cependant, ce disque, s'il ne constitue pas une révélation fracassante, n'en demeure pas moins recommandable à qui souhaiterait compléter ses connaissances sur le concerto pour clavier du XVIIIe siècle au moment où celui-ci amorce sa bascule vers une expression plus personnelle, tout comme au mélomane qui entendrait passer un moment d'agrément en exquise compagnie.

Giovanni Benedetto Platti (1697-1763), Concertos pour clavier et cordes en ut mineur I 49, en sol majeur I 55 et en la majeur I 57, Sonate pour hautbois et basse continue en ut mineur I 100*, Sonate pour clavier en ut mineur op.IV n°2, I 109

Concerto Madrigalesco
*Paolo Grazzi, hautbois
Luca Guglielmi, pianoforte & direction

1 CD [durée totale : 71'47"] Arcana A 375. Ce disque peut être acheté sous forme physique en suivant ce lien ou au format numérique sur Qobuz.com.

Extraits proposés :

1. Sonate en ut mineur op.IV n°2 : [I] Fantasia. Allegro

2. Concerto en ut mineur : [I] Andantino

3. Concerto en la majeur : [III] Allegro

Un extrait de chaque plage de ce disque peut être écouté ci-dessous grâce à Qobuz.com :

Illustrations complémentaires :

Giovanni Benedetto Platti (1697-1763), Concerto pour hautbois et basse continue en ut mineur, manuscrit Mus.2787-S-2, fol 1r, Dresde, Sächsische Landesbibliothek – Staats- und Universitätsbibliothek

La photographie de Luca Guglielmi est de Marco Borggreve.