L'apollonide : souvenirs de la maison close - 8/10

Par Aelezig

Un film de Bertrand Bonello (2011 - France) avec Noémie Lvovsky, Céline Sallette, Adèle Haenel, Hafsia Herzi, Jasmine Trinca, Alice Barnole, Iliana Zabeth

Un quasi docu... dérangeant et bouleversant.

L'histoire : 1899. L'Apollonide, une maison close qui tourne bien. La patronne, veuve, a monté son affaire toute seule, pour gagner de l'argent et pouvoir élever ses enfants comme il faut. De jolis appartements, des filles bien habillées, très soignées, des clients gentils et courtois...

Mon avis : Magnifique, ce film. Certains le trouveront peut-être un peu lent, un peu répétitif, mais si l'on s'intéresse au sort des femmes, et des prostituées, c'est immense et la réalisation sublime. Elle nous retourne comme des crêpes, et nous déchire le coeur après nous avoir fait prendre des vessies pour des lanternes...

Je m'explique : au début nous voyons donc cette maison close, confortable, raffinée, avec une mère maquerelle gentille et bienveillante, des filles bien traitées, se lavant, se désinfectant, se parfumant et portant de jolies toilettes pour accueillir les messieurs. Alors notre bon vieux fantasme clignote à tout va : Hé, c'était pas si mal, les maisons closes ! Rouvrons les ! Le problème de la prostitution sera réglé, les filles protégées... et les obsédés sexuels calmés. Damned !

Et puis une scène choc (que je vous laisse découvrir). Qui nous colle une belle baffe, remet les compteurs à zéro. Y compris dans la réalisation. Car nous n'avons ni le Avant ni le Après de cette image. Le réalisateur va alors nous raconter par flash-backs, par ellipses, avec quelques split-screens discrets, ce qui s'est passé, ce qui va suivre, et par la même occasion, tout l'envers du décor ! Des filles dont les gains sont aussitôt transformés en amendes (pour diverses sanctions), ce qui les rend prisonnières ; les psychopathes ; les maladies ; les grossesses ; la rentabilité et les "prestations très spéciales" qu'on réserve à celles qui ont perdu du sex-appeal ; les vrais sentiments que développent parfois les filles envers des clients, les espoirs d'être "rachetées" et de vivre comme tout le monde, et les déceptions qui vont avec ; et la drogue, pour oublier ce quotidien.

Et puis la présence des enfants de la patronne (qui rappelle l'extraordinaire La petite de Louis Malle) conforte le malaise...

Quand le film s'est terminée, je me suis exclamée : Purée, la prostitution doit être interdite, point barre ! A part quelques call-girls de luxe qui, comme certaines actrices porno, disent "aimer" ça, et bien gagner leur vie... pour l'immense majorité, c'est une horreur. C'est un peu comme l'esclavagisme : quelques uns, rarissimes, étaient extrêmement bien traités et ne quittaient pas leurs "maîtres" même une fois affranchis... mais 99,99 % des autres vivaient un cauchemar. Aurait-on idée aujourd'hui de dire : il y a de gentils patrons, et des esclaves heureux, alors laissons faire. NON ! Que les call-girls aillent se rhabiller et changent de métier, pour préserver les millions d'autres de par le monde qui croupissent en enfer.

Nom d'un chien.

La dernière séquence de la "vengeance" est extraordinaire, réutilisant toutes sortes de détails qu'on a vus tout au long du film (les masques, la panthère...).

Les actrices rivalisent de talent, elles rient, elles pleurent, elles souffrent, elles s'ennuient, touchante, émouvantes, et toujours d'un naturel époustouflant dans des rôles pas évidents car, évidemment, elles sont souvent nues. Mais ce nu n'est jamais racoleur ; d'une part il faut bien montrer ce qui est, et puis, artistiquement parlant, les filles sont photographiées à la manière d'un Renoir ou d'un Degas ; on va de la douce sensualité au réalisme de la chair, toute bête, qu'on lave, qu'on parfume, ou qu'on maltraite...

A noter aussi une bande son vraiment sympa, alternant morceaux classiques, opéra et musiques contemporaines, le tout avec une harmonie parfaite.

Un vrai bon et grand film français ! Comme quoi on sait faire quand on veut !

Les critiques sont partagées entre ceux qui adorent et ceux qui détestent. Pas de demi-mesure, bizarre. Les hostiles déplorent l'inutilité du propos (!!!), l'absence de sensualité (ils voulaient plus d'érotisme ???), des cadrages nuls (???)... Il paraît même qu'au Festival de Cannes, certains spectateurs ont même ri tellement certaines scènes sont soi-disant affligeantes... Je ne comprends pas du tout ! C'est d'une mauvaise foi absolue. Bonello aurait-il des ennemis ?

Le public semble extrêmement partagé, avec beaucoup plus de nuance cette fois, mais au final une moyenne pas tip top.

Comme quoi la prostitution est un sujet qui fait débat ! Inutile pour certains, essentiels pour les autres, ennuyeux pour beaucoup...

Pff...