L’art contemporain iranien : Avant, pendant, après la Révolution

Par Artbruxelles

3 Mitra Farahani (née en 1975) Begir bebar dast az saram bardâr [Prends ma tête mais arrête de me prendre la tête], 2014 Dessins au fusain sur toile, caisson en metal, Collection de l’artiste, Paris D’après une photographie de Alfred Yaghoubzadeh

En Iran, art, société et politique sont intimement liés. Le Musée d’Art moderne de la Ville de Paris présente actuellement cinquante ans d’art contemporain iranien (1960-2014) au travers d’une vingtaine d’artistes et de deux cent travaux. M…Belgique y était et vous raconte.

 L’exposition débute avec les abstractions linéaires de Behjat Sadr et les peintures inspirées de la mythologie grecque de l’immense Bahman Mohassess. Une période capitale s’étalant de 1960 à 1978, Qualifiée d’époque moderne, elle se caractérise par la volonté de se détacher du répertoire visuel traditionnel iranien (calligraphie, miniature, etc.) au profit d’un nouveau vocabulaire formel.

11 Bahman Mohassess (1931-2010),Portrait de la mère, 1974,Huile sur toile, © Musée d’art contemporain de Téhéran

Behjat Sadr, Unedited History. Iran 1960-2014, au Musée d’Art moderne de la Ville de Paris, 2014,Photographe : Benoît Fougeirol

Ces deux décennies attestant également de l’engouement pour les arts vivants – soutenus par le Shah et l’impératrice – tel que l’étonnant Festival des arts de Shiraz. Reconstitué ici par un corpus documentaire inédit (archives, vidéos, photos etc.), on s’imprègne de l’atmosphère cosmopolite et surréaliste de ce festival réunissant avant-gardes occidentales et artistes du « tiers-monde ». Onze éditions auront lieu avant l’arrêt de cet événement considéré « décadent » et condamné par le régime islamique en 1979. Puis l’on est interpellé par le travail du grand photographe Kaveh Golestan qui capture sur pellicule les prostituées de Téhéran et nous offre ainsi des photographies noirs et blancs vibrantes. Réalisées dans « La Citadelle », (leur lieu de travail) ce quartier sera détruit par un incendie criminel en 1979, deux jours avant la prise de pouvoir de l’ayatollah Khomeyni…

5 Kaveh Golestan (1950-2003), Série des Prostituées (Shahr-e No), 1975-1977 , Photographie, Epreuve Gelatino-Argentique Tirage d’époque, Collection Kaveh Golestan Estate, Londres

Une modernité avortée

1979, c’est cette année là que l’Iran atteint son climax avec la chute du Shah et la mise en place de la République islamique engendrant un bouleversement sans précédent dans la société iranienne : droits de la femme radicalement transformés, fermeture des lieux culturels, création de la police des « mœurs » etc. Le « modernisme » s’essouffle face aux transformations idéologiques. « Memories of destruction », trois heures de rush non montés du documentariste Kamran Shirdel, nous embarque dans la désolation, la violence mais aussi dans l’effervescence révolutionnaire. En 1980 Saddam Hussein attaque le pays. Le bilan? Une guerre « d’usure » de neuf ans totalisant au moins un million de morts. C’est grâce au courage de documentaristes et photographes guidés par leur conscience tels que Morteza Avini et de Bahman Jalali, que l’on peut découvrir des témoignages émouvants et des images inédites de ces jeunes soldats partis au front.

Unedited History. Iran 1960-2014, au Musée d’Art moderne de la Ville de Paris, 2014 Photographe : Benoît Fougeirol

Depuis les années nonante, une nouvelle génération d’artistes voient le jour et dont les œuvres supportent le poids de l’histoire. Les dessins surprenants de réalisme de Mitra Farahani représentent ainsi le thème de la décapitation dans des portraits géants de soldats. Arash Hanaei réalise lui avec ironie des dessins numériques, où messages publicitaires de marques occidentales se confondent avec les slogans autrefois dédiés aux martyrs. La jeune et courageuse photographe Tahmineh Monzavi dénonce quant à elle dans une série couleur crue et bouleversante les conditions de vie des femmes toxicomanes. Elle sera arrêtée en 2012 par la police et détenue en prison pendant plusieurs mois.

Mitra Farahani  Unedited History. Iran 1960-2014, au Musée d’Art moderne de la Ville de Paris, 2014, Photographe : Benoît Fougeirol

7 Arash Hanaei (né en 1978), Série Capital, 2009, Impression sur papier couché, Collection de l’artiste

Une exposition passionnante et intelligente qui atteste de la richesse et du renouvellement artistique d’un pays constamment mis au défi.

« Iran Unedited History 1960-2014 », Musée d’Art moderne de la Ville de Paris, 11 avenue du Président Wilson, 75116 Paris. Jusqu’au 24 août.

Article publié dans"M-Belgique Hebdo" du 8 au 21 août 2014