Valls 2 : les conséquences politiques d’un remaniement

Publié le 28 août 2014 par Lbouvet

A travers le nouveau gouvernement Valls, François Hollande semble trancher définitivement pour une ligne qu’on pourrait qualifier de libertaire sur le plan sociétal et de libéral sur le plan économique Ce tournant  peut-il alimenter le discours du FN sur le thème de l’UMPS    ?

Le choix d’un cap économique clairement orienté vers une « politique de l’offre » – en fait une dépense publique importante en faveur des entreprises plutôt que des ménages – est venu compléter, si l’on peut dire, depuis un an, une orientation assez libérale sur le plan « sociétal » ou culturel en place dès le début du quinquennat, conformément d’ailleurs au programme du candidat Hollande. Une orientation dont la grande bataille politique aura été celle qui s’est déroulée autour du « mariage pour tous ». Autour, car outre la loi elle-même instituant le mariage et le droit d’adoption pour les couples homosexuels, c’est tout un ensemble de débats qui se sont déployés, sur les moeurs, la famille, l’idée de progrès, etc., et ce sont des camps très marqués idéologiquement qui se sont affrontés à cette occasion.

Cette double orientation libérale donc, économique et « sociétale-culturelle » (pardon pour ce terme barbare), peut en partie favoriser le FN. A la fois parce qu’elle lui permet de valoriser, en opposition, un projet profondément antilibéral de fermeture des frontières et de préférence nationale mais également parce qu’elle lui permet d’incriminer l’ensemble des élites politiques et économiques à cause de leur vision convergente, au-delà des appartenances politiques : c’est le thème de l’UMPS.

On soulignera toutefois que le FN lui-même n’est pas à l’abri de débats sur le libéralisme tant économique que « sociétal » et culturel. Les variations du programme économique du FN ont été importantes ces dernières années même si aujourd’hui l’orientation étatiste semble l’emporter, et on a vu également que Marine Le Pen et la direction actuelle du parti ne participait pas aux manifestations contre le « mariage pour tous » alors que d’autres membres en vue de la formation frontière étaient très actifs dans ce combat, à l’instar de Marion Maréchal-Le Pen.

Face au libéral-libertarisme d’une partie d’une partie de la gauche et au libéralisme d’une partie de la droite, le social-conservatisme de Marine le Pen et  Florian Philippot est-il définitivement en train de s’imposer comme une alternative crédible ?

La critique par le FN du « système » et des élites regroupées autour d’une idéologie libérale globale, à la fois économique et « sociétale-culturelle » donc, porte davantage en période de crise, de crise à la fois économique et sociale et de défiance généralisée. On voit aujourd’hui le FN atteindre des scores importants aux différentes élections même si c’est moins d’ailleurs en raison d’une progression massive de son électorat que de la capacité de mobilisation de ses électeurs, et de l’abstention très forte, tout spécialement au sein de l’électorat traditionnellement de gauche.

La question de la crédibilité de son « projet » en vue de l’exercice du pouvoir notamment reste néanmoins, et malgré ses succès récents, posée. En raison d’abord d’une limite sociologique : l’absence de cadres qui seraient à même de le mettre en oeuvre si le parti arrivait au pouvoir ; et surtout d’une résistance forte de la société à une vision fermée et obsidionale de ce que pourrait devenir le pays. Cette vision étant en effet tout aussi sinon plus angoissante que celle d’un pays en difficulté certes mais qui reste ouvert sur le monde et au monde. Le rejet, de ce point de vue, de la proposition du FN de sortie de l’euro par une large majorité de nos concitoyens est un bon indicateur.

Nombre de nos concitoyens peuvent en effet trouver qu’il y a bien des excès, des erreurs et des défauts dans les politiques prônées ou mises en oeuvre par les partis de gauche et de droite « classiques », que les élites sont responsables de tout cela et que le peuple n’est pas écouté ; ils peuvent éprouver à la fois une grande insécurité économique et une grande insécurité culturelle face aux évolutions contemporaines du monde et de la société mais cela ne signifie pas pour autant que les solutions apportées par le FN les convainquent ou les séduisent. Comme si ce parti était capable mieux que d’autres d’incarner politiquement les critiques les plus vives adressées à ce qui se passe aujourd’hui mais pas d’y remédier.

Peut-on aller jusqu’à dire que le FN est le grand vainqueur de ce remaniement ?

Non, certainement pas. Encore une fois, si le FN est capable mieux que d’autres aujourd’hui de cristalliser les mécontentements et les peurs, d’en jouer et de les instrumentaliser politiquement, il n’apparaît pas comme une solution politique crédible.

C’est le doute et la défiance vis-à-vis des institutions et des responsables politiques qui dominent très largement aujourd’hui chez nos compatriotes. Aucune alternative politique ne se dessine clairement. C’est d’ailleurs, me semble-t-il, un élément important de la chute aussi rapide de popularité de François Hollande : il proposait un changement, une rupture avec la période sarkozyste, et il a déçu les attentes de ce point de vue. Dès lors, son électorat de 2012 s’est détourné de lui et plus généralement de la gauche qui l’a emporté il y a deux ans. Et, ça va sans dire, l’état actuel e la droite parlementaire ne permet pas non plus d’y voir une force capable de restaurer une quelconque confiance dans l’avenir. 

L’éventuelle recomposition d’une gauche critique à l’égard de la mondialisation autour d’Arnaud Montebourg et Jean-Luc Mélenchon  peut-elle venir perturber l’ascension de Marine Le Pen ?

Cette gauche critique rencontre trois difficultés majeures qui, à mon sens, l’empêchent de récupérer électoralement une partie de l’électorat déçu par François Hollande et d’empêcher Marine Le Pen et le FN d’incarner plus facilement le mécontentement.

La première tient au fait qu’il n’y a pas de projet commun aux différentes composantes et personnalités de cette « gauche de la gauche ». Même au sein des « frondeurs » du groupe socialiste, il y a des approches différentes, on le verra sans doute rapidement. Entre un Mélenchon et un Montebourg, il y a certes une critique de la mondialisation, mais si vous regardez leurs positions sur les solutions pour en sortir, notamment en termes écologiques par exemple (gaz de schiste, nucléaire…), ils sont très opposés ! Et les exemples de ce type sont légions.

La deuxième difficulté est davantage d’ordre idéologique. Elle tient à la cohérence d’ensemble de l’antilibéralisme affiché par cette « gauche de la gauche ». Le problème de cohérence vient de ce que le discours antilibéral sur les questions économiques et sociales, la mondialisation, le capitalisme… n’est pas déployé dans d’autres domaines, notamment ces questions « sociétales » et culturelles que l’on évoquait plus haut. Or le combat idéologique contre le libéralisme ne peut pas s’arrêter aux contraintes que l’on peut ou doit faire peser sur le comportement de l’acteur économique, il doit s’intéresser à l’individu et à la société dans son ensemble. On voit ainsi, par exemple, aujourd’hui que la liberté religieuse pose autant de problèmes de limites que la liberté économique.

La troisième difficulté renvoie au décalage entre le discours tenu et l’électorat auquel s’adresse prioritairement la « gauche de la gauche ». En effet, cet électorat n’est pas en première ligne des méfaits et conséquences de la mondialisation que le discours de cette gauche critique. Il est davantage issu du public (fonctionnaires, agents publics…), il subit donc moins le chômage, les délocalisations et la précarité de manière générale que des salariés du privé exposés aux effets de l’ouverture des frontières et de la concurrence internationale. Quand les propositions politiques avancées par cette gauche apparaissent comme favorisant d’abord et avant tout le public et ses agents, les perspectives électorales sont très vite limitées – on l’a vu dans les élections récentes.

Cette gauche est-elle en mesure de s’unir pour passer devant la gauche de gouvernement comme la fait Syriza en Grèce ? 

Pour les raisons évoquées précédemment, cela me paraît difficilement envisageable pour le moment. On peut ajouter que la France n’est pas la Grèce, tout particulièrement en ce qui concerne la présence de l’Etat et plus généralement la place des collectivités publiques ou de la sécurité sociale dans le pays, sans même parler de sa structure économique. On est donc assez loin en termes de comparaison avec la situation grecques.

Toutefois, si la situation devait se dégrader plus avant et que la gauche de gouvernement ne pouvait plus se maintenir au pouvoir, malgré les institutions très protectrices de la Vème République, les recompositions au sein de l’ensemble de la gauche pourraient donner davantage de poids à cette « gauche de la gauche ». Mais on rentre là dans une forme de politique-fiction dont je me garderai bien.

Entretien publié sur le site Figaro Vox, le 27 août 2014.


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