Ces autres réalités que le cas Thévenoud nous enseigne

Publié le 10 septembre 2014 par H16

On l’a amplement dit, ici, et ailleurs : le cas Thévenoud représente assez bien l’incroyable détachement de nos élus vis-à-vis des lois de la République, fiscales en particulier, et la capacité extraordinaire de ces membres des importants cénacles républicains à complètement oublier leurs devoirs citoyens dès lors qu’ils se savent protégés par leur statut. Mais ce n’est pas tout…

Soyons clairs : il faut tout de même une sacrée dose d’inconscience, de toupet, ou de « phobie administrative » pour oublier complètement de payer ses impôts. Le Cerfa du Trésor est, à n’en pas douter, assez rébarbatif, et les démarches administratives dans tout le pays sont de véritables abominations logiques et paperassières, on peut le dire sans craindre l’exagération. Mais apparemment, dès lors qu’on fricote avec l’Assemblée Nationale sur base pluri-quotidienne, les perspectives changent drastiquement.

Et pas seulement au plan des facilités de paiement, mais aussi des mansuétudes de la justice au passage : l’oubli de Thévenoud lui coûtera de solides pénalités (en plus, de façon collatérale, de sa place au gouvernement et, probablement, aux prochaines élections), alors que pour un Français « normal » (i.e. pas élu, pas connu), c’est plutôt de la prison et des enquiquinements à n’en plus finir. On m’objectera (et j’en conviendrai aisément) qu’on ne peut pas, avec les quelques éléments fournis, comparer réellement les deux cas, mais tout de même, la clémence fiscale pour l’un et la prison pour l’autre ne laisse pas d’étonner un peu.

On pourrait aussi s’étendre (comme ce fut fait précédemment) sur ce détachement moral assez exceptionnel qu’il convient d’avoir pour accepter un poste de ministre alors qu’on se sait pertinemment en délicatesse avec les impôts. De ce point de vue, on ne peut aussi s’empêcher une petite réflexion, un tantinet consternée, sur l’absence ou la grande légèreté de l’examen préalable à l’embauche d’un ministre qui devrait être minutieux pour éviter ce genre de péripéties au sein du gouvernement. On aurait pu croire, ainsi, que l’affaire Cahuzac aurait servi de leçon, mais à l’évidence, … non.

Et comme d’autres encore, on pourrait revenir à loisir sur le poste de l’épouse du député indélicat, chef de cabinet au sénat, et décortiquer le pouvoir de réseautage, les collusions et les connivences galopantes qui autorisent un népotisme institutionnel assez profond dans les institutions républicaines. Le monde politique français est décidément fort petit, les renvois d’ascenseurs nombreux, et les petits coups de mains familiaux devenus une norme que beaucoup trop semblent appliquer avec application.

Mais tout ces éléments ont été, je l’ai dit, largement débattus.

Au-delà de ces évidences, un autre aspect mérite amplement d’être à nouveau exposé, encore et encore, pour que chaque citoyen comprenne bien les tenants et les aboutissants de ses propres décisions lorsqu’il glisse un bulletin dans une urne. En effet, si le cas Thévenoud démontre à loisir les grandes largesses que certains élus prennent avec les lois de la République, l’ensemble de l’affaire et la façon dont elle fut traitée, tant par les médias que par les politiciens eux-mêmes illustre à tous ce que la politique a de pire à montrer, de plus vil et de plus bas.

Oh, bien sûr, Thomas Thévenoud a été satellisé hors du gouvernement avec une impulsion amplement méritée devant l’ampleur de sa bourde, mais vous pouvez parier que la découverte de son passé fiscal n’a, absolument, rien de fortuit.

Bien sûr, on pourrait gloser ici sur sa proximité amicale et idéologique avec le Prince de la Frétillance, Arnaud Montebourg. À l’évidence, elle a du jouer dans son aventure, et nettement en sa défaveur. Mais le fait est qu’à présent, après sa péripétie fiscale, la presse s’intéresse à ses déboires locatifs, informations en provenance directe du Canard Enchaîné, ce qui ne laisse aucun doute sur les jeux politiques qui se trament en coulisse, ce journal étant notoirement alimenté par les politiciens eux-mêmes lorsqu’ils veulent dézinguer l’un ou l’autre de leurs collègues, en toute tranquillité.

Oui, certes, on peut imaginer que la fuite provienne de la droite. Pari osé, mais compte tenu du nombre de casseroles que chacun des députés UMP trimballe régulièrement dans un concert tintinnabulant, le retour de bâton d’une telle fuite et d’une telle cabale de la droite contre un député PS serait probablement tout aussi dévastateur pour un parti en déshérence intellectuelle, sans chef, sans direction, sans substance et sans programme.

L’autre hypothèse, machiavélique mais bien plus probable, est que Thomas Thévenoud n’est lâché par nulle autre que les siens, au premier rang desquels on trouvera bien sûr Manuel Valls et François Hollande. Par le truchement de Thévenoud, un proche de Montebourg, nos deux compères de fortune ont ici une excellente façon de bien faire comprendre à tous ceux qui, l’esprit vaguement frondeur, seraient tentés par l’aventure en cow-boys de l’Assemblée. La proximité de cette sombre histoire avec le vote de confiance au gouvernement, les grognements entendus dans les couloirs de l’Assemblée, tout ceci sent bon la coïncidence commode.

Autrement dit, le député Thévenoud est devenu le morceau de barbaque sanglante offert aux médias pour faire comprendre à tous les petits députés picotés par les changements hebdomadaires de direction gouvernementale et le revirement centriste du gouvernement, que le moindre écart de conduite pourrait fort mal se terminer pour eux. Des dossiers existent. Des largesses furent prises, des oublis pratiques furent faits. Des fuites sur ces dossiers, ces largesses et ces oublis seraient possibles. Et si le message n’est pas assez clair, parions que Thévenoud sera même contraint à la démission de son poste (ce qui ne semble pas un prérequis au moment où ces lignes sont écrites).

Pour celui qui veut voir la politique telle qu’elle est et non telle qu’on nous la représente à longueur de campagne électorale, le cas Thévenoud illustre encore mieux que celui de Cahuzac la violence qui anime ces élus dont tout le processus de sélection, soi-disant démocratique, soi-disant issu d’une élection et d’un choix éclairé de citoyens ayant lu un programme politique, aboutit à faire émerger les pires sociopathes. Et si Cahuzac avait effectivement fraudé, il pensait pouvoir passer au travers grâce à ses connaissances. Malheureusement, l’affaire, une fois fuitée en place publique, fut trop grosse à étouffer. La gêne visible de l’Exécutif à se débarrasser de l’encombrant fardeau témoigne amplement de l’ampleur du problème. En revanche, pour Thévenoud, la violence avec laquelle il a été lâché est d’autant plus visible qu’il aurait été très simple d’éviter une telle guignolade. Bercy, après tout, est totalement aux ordres du gouvernement et aurait largement pu oublier le dossier du contribuable oublieux. Il n’en a rien été, ce fut même pire. Ce n’est pas un hasard.

Et au passage, non, le mot sociopathe n’est pas trop fort : de Hollande à Valls, dans les rangs de l’UMP autant que dans ceux du PS et, de façon générale de toutes les autres formations politiques, ces gens ont été choisis pour leur capacité inouïe à bobarder, à contourner la vérité, à utiliser le déni comme bouclier psychologique indéboulonnable. Ils sont arrivés là où ils sont non parce qu’ils ont démontré leur capacité à gérer un pays, mais bien pour avoir été plus féroces, plus méchants, plus industrieux en coulisse, plus machiavéliques, plus fourbes et retors que leurs adversaires. Ils sont là parce qu’ils ont survécu, ce qui fait d’eux non des héros, mais les pires magouilleurs, les pires comploteurs, les traitres les plus veules. Ceux que nous voyons émerger actuellement sont le résultat d’une sélection cancéreuse et perverse qui aura permis de filtrer et ne conserver que ceux qui sont, justement, prêts à tout pour arriver à leur place, des raclures qui n’hésiteront pas à griller un homme et sa famille pour aboutir à leurs fins. Ne vous méprenez pas : Thévenoud mérite amplement le sort qu’il subit, et ceux que les élus auront rôtis dans leurs jeux politiciens sont aussi dépourvus de la moindre moralité qu’eux-mêmes. Mais cette effarante réalité, cette égalité lamentable dans la bassesse et l’immoralité ne rend absolument pas ce qu’ils font plus juste ou légitime.

Et l’« affaire Thévenoud » nous rappelle ce fait avec force : ce sont bien ces sociopathes prêts à tout pour le pouvoir, pire compris, que vous élisez.

La prochaine fois qu’on vous parle de vote, rappelez-vous de tous les Thévenoud, tous les petits requins qui furent déchiquetés par les gros au motif d’un intérêt (individuel ou de parti) supérieur à eux, sans état d’âme, et, jamais ô grand jamais, pour l’intérêt du pays ou de ses citoyens, complètement oubliés dans ces jeux morbides.

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