[GUEST 14] L'insoumis

Publié le 10 septembre 2014 par Teazine
[GUEST 14 : Louise, avec les lumières d'Emma]

illustration : Iris Marchand

"Connard, chien, espèce de connard ! Oui toi, c’est à toi qu’je parle ! Pourquoi, t’as un problème avec ça ?! Toi, si seulement tu m'approches encore une fois j’te tue dans la seconde !"
Un coup de tête. Le connard était par terre, le sang coulait déjà de son nez, brisé net. Ça avait fait un bruit d’enfer. Il était carrément sonné et ne comprenait pas encore qu’il venait de se faire casser la gueule par un mec comme Jacques qui hurlait des injures à qui voudrait bien l’entendre. Il avait pourtant rien fait le connard, juste une petite provocation dans un bar la nuit. Mais il savait pas qu’avec Jacques il fallait pas jouer à l’homme. Il savait pas qu’avec lui il fallait juste fermer sa gueule, rester à l’affut et baisser les yeux, surtout les soirs d'été quand l'air dehors est trop lourd et t'enferme. Pourtant tout avait commencé tranquillement. Ils buvaient tous les deux, chacun de leur côté, ils ne s’étaient même pas vus. Et puis Jacques avait dragué la mauvaise fille, celui de ce pauvre con qui s'était senti le roi du monde, le maître de cette nana même pas belle. Le type à commencé à s'exciter tout seul quand il a vu Jacques tourner autour de son bout de viande et lui montrer son plus beau sourire, prêt à l’embarquer et à la faire passer par la porte de derrière. La pauvre, elle ne comprenait pas ce qui lui arrivait. Elle était flattée comme jamais, elle écartait déjà les cuisses avec juste un sourire, juste son sourire à lui, complètement ravageur. Alors l’autre avait déboulé avec sa tête d’imbécile, son polo blanc d’imbécile. Forcément, tout d'un coup, Jacques a senti brûler son sang, il a senti monter l'envie, c'était le moment de jouer un peu au méchant, de s'écorcher les mains sur sa gueule et de s’essuyer de tout son rouge dégueulasse sur ce foutu polo blanc. Coup de tête envoyé, Il a juste eu le temps de s’échapper en bon loubard un peu flemmard. Les amis du connard étaient assez stupides et lâches pour hésiter entre sauter à la gorge du fou enragé ou porter secours à leur frère tombé au front, hurlant comme un gamin effrayé face à la mort. C'était juste un coup de boule en pleine gueule, pas de quoi en faire histoire.
Au fond Jacques c’est un gentil, un vrai gentil. C’est le genre à vous apporter le petit déjeuner au lit dans ses bons jours, à boire des menthes à l’eau en terrasse jusqu’à 18 heures en fumant des cigarettes et à jouer aux cartes avec ses amis jusqu’au petit matin en buvant du whisky. C’est celui qui sortira toujours la meilleure vanne et qui laissera gagner les plus vieux s'ils sont vraiment trop vieux. Sa mère répétait toujours "regardez cet enfant, il a le diable au corps !". Elle disait vrai sa mère, car jouer au méchant, être ce mec là dans les yeux de tous ça le fascinait et ça l’excitait comme jamais. Certains soirs il ne pouvait pas faire autrement. Il envoyait balader les convenances pour être celui sur qui les gens se retournent dans la rue, ce mec auxquels les filles pensent avant de s’endormir, ce mec qui hurle au visage du monde qu’il vous emmerde et qui se bat quand ses poings en ont marre de trouer le fond de ses poches, ça alors oui, pour lui, c'était le pied. Et puis tout ça, ça voulait rien dire après tout. Il pouvait reprendre sa vie normale dès que la pulsion était passée, c’était facile. Il avait juste à tourner à un coin de rue à toute vitesse, puis un autre coin de rue, manquer de s'exploser les genoux et la gueule en trébuchant sur le rebord d'un trottoir, se rattraper à une voiture, courir encore, tourner, tourner, prendre la rue suivante, à droite, hurler et enfin pouvoir marcher, paisible, sans jamais se retourner. Il aimait sentir sa respiration lui brûler la gorge et revenir doucement se calquer sur les pulsations de son cœur qui cognait contre son torse. Retour à la normale et c'était tout, le matin allait se lever. La nuit appartient aux fous et aux sages, ils restent là, à l’affut, ils sont les gardiens de la ville. Il avait juste le temps de se rincer les mains, de se passer un coup d’eau sur le visage et il se sentait prêt à affronter une journée de travail, exténué mais diablement heureux et libre. Ce soir là on l’avait laissé s’échapper pour une nuit et la ville était encore marquée par le passage de l’animal solitaire et sauvage. Il restait encore des traces de son récent carnage, mais la vie allait reprendre son cours et tout allait être oublié jusqu’à la prochaine échappée belle. Et lui, si vous l’aviez vu, il était diablement beau, plus beau encore que le diable en personne.
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Louise est un chic type, c'est ce que dit mon binôme à lunettes quand elle veut flatter mon ego. Ensemble on arpente Paris en bus, partout où on va on prend le bus. Où qu'on aille, on se perd toujours, alors pour passer le temps on parle de ce qu'on rêve d'écrire sans jamais l'écrire.
On aime s'assoir en terrasse et jouer au jeu des sosies en regardant les gens qui passent. Le problème c'est que je ne connais pas la plupart des noms qu'elle me cite. Vers dix-huit heures on commence à être un peu ivres alors il nous vient des idées que l'on trouve lumineuses et j'ai sûrement écrit ce texte après une longue nuit de discussion avec elle, ou alors Jacques était aussi assis à notre table... Je ne me souviens plus bien. Depuis trois ans on est en vacances, on se prépare à faire quelque chose d'extraordinaire, mais là on s'imprègne de l'ambiance de la ville. Emma et Louise sont des chics types, qui occupent leurs journées à la terrasse des cafés à fumer des cigarettes et à se donner des coups de coudes en regardant passer les gens.