Quelques notes

Par Gentlemanw

Mouchoir, je cherche dans le fatras de mon sac à main, avec discrétion, des mouchoirs. Indispensable dès maintenant en sentant l'émotion déjà me gagner face à cette scène vide. Les fauteuils se remplissent, les allées bruissent de discussions passionnées, entre parents et invités, entre professeurs et élèves. 

Une audition, un presque concours, un moment de présentation de longues heures de travail, entre son instrument et elle, ma fille, je suis prise par l'intensité de tous les efforts qu'elle a accumulés depuis des mois. Un piano, seul sous la lumière, le parquet, la salle qui parle encore, soudain le noir, un début de silence, les derniers bruits, le silence absolu.

Le velours du fauteuil, mon compagnon à côté de moi, son beau-père devenu premier complice de son implication, aidant sans connaître la musique, mais la motivant chaque jour, chaque fois qu'elle se relâchait, n'y croyait plus. Sa main, ma main, serrées en attendant la présentation, un professeur vient expliquer le déroulement de la séance, il nous invite à rester silencieux durant les morceaux, mais enthousiastes ensuite. Il salue quelques personnes, encourage et lance la première personne, une jeune femme, toute frêle, des partitions à la main. Chopin, des mains souples qui brisent le silence, des notes enlevées avec aisance, des variations, de la délicatesse. Elle joue, puis s'arrête, se lève pour recevoir les premiers applaudissements, une tension qui s'efface avec cette première interprète.


D'autres suivent, des adolescents, quelques adultes, des débutants, des quasi virtuoses, parfois très jeunes. Je l'attends, soudain c'est elle, concentrée. Son visage n'émet aucun signe de tension, elle est si passionnée, si heureuse dans la musique. Face au clavier, dans une routine naturelle, elle s'asseoit, positionne sa partition, pose ses mains, et là la magie opère. Ma première larme juste après la première note, intense en moi et pourtant un trémolo si doux, un Liszt soyeux, maintes fois entendu à la maison. Mais là, la dimension de la scène, le lieu, ma fille, son interprétation parfaite, sa rigueur, sa droiture, je suis émue, prise dans son jeu. Rien de compte, sauf ce bien-être qui m'enveloppe de sons mais plus encore me remplit d'émotions. Des années de travail, une passion nourrit depuis le plus jeune âge, avec des ruptures, des doutes, des retours plus tard vers ce clavier si exigeant mais aussi si émouvant. Elle et lui, ils s'expriment ensemble, devenant une échappée de volutes musicales, plus uniquement une vision de solfège, mais un sentiment communicant. Rien n'est plus beau, et je n'avais imaginer cette explosion, des larmes avec, des notes encore, et les dernières notes, celles que je connais. 

Libérée, elle ralentit ses mains, sort de cette symbiose, s'extrait de l'instrument, se tourne vers la salle, debout, pour elle seule. Applaudissements, un enthousiasme de connaisseurs, et pour moi, le coeur qui bat si fort, celui d'une mère horriblement fière d'elle. Juste un regard flou, où est ce mouchoir ? Je pleure de joie, je reste sans voix, je la regarde, elle brille.

Nylonement