Quand le sportif professionnel devient entraîneur

Publié le 21 avril 2014 par Sportpsy @sportpsy
Share

Les anciennes gloires du sport sont sous le feu des projecteurs depuis quelques temps. On l’observe particulièrement dans le tennis avec l’arrivée massive d’anciens champions auprès des meilleurs joueurs: Djokovic faisant appel à Boris Becker, Federer appelant Stefan Edberg à son chevet, Marin Cilic avec Goran Ivanisevic ou encore Nishikori avec Michael Chang. Est-ce un hasard ou une simple coïncidence? Cela survient pourtant après le succès d’Andy Murray, qui a fait appel à Ivan Lendl bien avant eux, pour parvenir à stopper sa malédiction des finales de Grand-Chelem perdues et remporter l’U.S open puis Wimbledon l’année suivante. On en parle aussi dans le football, depuis la reconversion de Zinedine Zidane qui tente de se frayer un chemin parmi les entraîneurs. Il existe dans le football, d’autres anciens joueurs qui ont réussi leur reconversion, comme Deschamps, Blanc, Wenger, Domenech ou Maradona parmi tant d’autres. Si pour le sportif, devenir entraîneur peut relever d’une certaine logique, je me demande si, pour autant, un ancien sportif professionnel devient automatiquement un bon entraîneur. Comment peut-il transformer son expérience pour pouvoir la transmettre?

L’ancien sportif professionnel peut être défini par sa propre expérience comme un expert dans son sport, sans même passer de diplôme. Celui qui a connu le plus haut niveau de performance a vécu ce que les autres entraîneurs ont découvert dans des livres. Il a vécu une expérience de l’ordre de l’intuition, de la découverte personnelle, des clés pour arriver à être performant sans forcément y mettre des connaissances sur ses expériences. L’expérience d’un ancien pro peut apporter des images, des histoires, des anecdotes qu’aucun autre entraîneur ne peut parvenir à transmettre. Sur ce point, il s’agit d’un atout majeur et c’est peut-être ce que recherchent ces joueurs en faisant appel aux anciennes gloires du tennis. Comme l’a expliqué Richard Gasquet, pour choisir Sergi Bruguera comme entraîneur: «Ces joueurs savent l’état d’esprit qu’il faut pour une finale. Et peut-être connaissant eux-mêmes la situation, ils comprennent mieux certaines décisions prises sur le court, sous la pression, alors que c’est plus difficile à saisir pour quelqu’un qui ne l’a jamais connu ». L’ancien sportif professionnel a déjà connu ces instants de griseries provoquées par les résultats et n’aura pas à les vivre en même temps que son poulain pour la première fois.

Ce que vient chercher un joueur professionnel auprès d’un ancien sportif n’est pas de l’ordre du technique et n’est donc pas à mettre sur le même plan qu’un entraîneur qui prendrait son joueur de A à Z et tenterait de le faire progresser. Il s’agit plutôt d’un rôle à part, comme Federer parle d’une « inspiration » ou Djokovic parle des « aspects mentaux ». Comme le dit Becker: « J’ai atteint dix finales de Grand chelem, je sais exactement ce que ressent un joueur une fois qu’il se retrouve dans les toutes dernières étapes d’un tournoi ». Il s’agit donc d’un autre apport, d’un « petit plus » et qui s’explique de plusieurs manières. L’impact positif de ce type de relation est à rechercher: soit parce que le joueur est flatté qu’une ancienne gloire s’intéresse à lui, devienne même son ami, soit ils ont besoin d’une personne qui leur parlerait d’égal à égal et ont donc la croyance que quelqu’un qui a réussi avant eux peut leur apporter. Il y a une admiration mutuelle qui fonctionne, une relation d’initié à guide qui ne peut pas durer si la relation ne repose que sur cela. Car l’admiration laissera place au réel et aux éventuels manques.  La relation affective pourra combler le joueur en fonction de ses besoins.

Cependant, tout professionnel ne devient pas automatiquement un bon entraîneur. Car l’expérience peut aussi être un fardeau. Un des écueils les plus probables est de vouloir répliquer ce qu’ils font fait, appliquer leur recette et de se confronter à une autre personnalité qu’eux. Ce n’est pas parce qu’ils ont atteint le haut niveau par un chemin précis, que ce chemin mène à haut niveau. C’est plutôt la combinaison de leur histoire, de leur personnalité, de leur rencontre avec un entraîneur qui les a amené à haut niveau. En cela, il faut plutôt que l’entraîneur se détache donc de sa propre expérience, prenne du recul et puisse la transformer pour être utile au joueur. Comme l’a déclaré Philippe D’encausse, entraîneur de Renaud Lavillenie et ancien perchiste: « Pour moi, la première qualité d’un entraîneur, c’est d’oublier qu’il a été athlète. Le pire ce serait de faire du copier-coller, préparer un athlète comme on l’a soi-même été ». Entraîneur, n’est donc pas répliquer sa propre expérience car les besoins du joueur ne sont pas nécessairement les besoins de l’entraîneur.

Ensuite, devenir entraîneur suppose que le joueur passe au premier plan et que l’entraîneur ne soit qu’un support de la réussite. L’entraîneur doit donc se dégager de deux choses essentielles: – son égo (accepter que le joueur soit sous le feu des projecteurs) et abandonner l’idée de maîtrise (ce n’est plus lui qui est en charge du projet). Comme l’a précisé Erick Mombaerts, entraîneur de football: « Entraîneur, c’est viser l’émergence de quelqu’un qui nous échappe, c’est se dégager de notre désir de maîtrise qui nous conduit à vouloir faire le choix à la place de l’autre » (cf. La conception de l’acte d’entraîner, 1998, Editions du Creps).

Pour réussir à se dégager de ces deux paramètres, il faut que l’entraîneur ait pris du recul sur sa propre carrière et qu’il ait fait le deuil de son ancienne vie. Si l’entraîneur a été insatisfait de sa propre carrière ou qu’il a dû arrêter pour des raisons indépendantes de sa volonté (blessure), il voudra « réparer » son passé et projeter des attentes, qui ne sont pas nécessairement celles du joueur. Devenir entraîneur, c’est faire le deuil de son image et se détacher de son passé, qu’il soit glorieux ou non, pour ne pas s’identifier au joueur. L’entraîneur doit donc réfléchir sur les raisons profondes qui l’ont amené à choisir cette carrière et accepter de vivre des émotions à travers les résultats d’un autre. Comme l’a dit Paul-Henri Mathieu, qui a fait appel à Mats Wilander auparavant: « Ce qui est indéniable, c’est que les grands champions ont un bagage en plus par rapport aux autres entraîneurs. Mais ça ne suffit pas sinon tout le monde prendrait un ancien joueur…« Entraîneur, ce n’est pas juger les autres. c’est aussi se nourrir de son joueur ».

L’ancien professionnel peut réussir à transformer son expérience et devenir un bon entraîneur quand il comprend qu’il s’agit d’une autre carrière et que ce qu’il a prouvé en tant que joueur n’est pas essentiel pour la fonction d’entraîneur. Il faut qu’il accepte cette remise en question et puisse s’interroger sur ses manques et ce qu’il doit apprendre pour prendre cette place. Il voudra ainsi se prouver sa propre légitimité d’entraîneur.

Tout ancien professionnel ne devient pas forcément un bon entraîneur. A l’opposé, d’autres entraîneurs ont réussi leur carrière en n’ayant jamais été professionnel ni même à haut niveau. Etre entraîneur va bien au-delà de l’expérience et tout est une question de recul sur soi-même, de capacité à transformer ses propres expériences de vie (qu’ils soient dans le sport ou non) pour développer sa propre philosophie et l’adapter aux particularités de son joueur. Comme le dit Arrigo Sacchi, entraîneur de football, à qui on a reproché de n’avoir pas été joueur: «Je n’ai jamais pensé qu’il fallait d’abord être cheval pour pouvoir faire du cheval. Il n’y a pas de règle. L’important, c’est la volonté de s’améliorer. »