deux italiennes

Publié le 23 septembre 2014 par Dubruel

d'après LES SŒURS RONDOLI de Maupassant

En montant dans le train de nuit

Qui allait nous mener de Paris à Gênes,

Je disais à mon ami Paul Mauduit :

-« Tu verras, elles sont charmantes, les italiennes. »

Or, une fille de type ultramontain caractérisé,

Etait déjà installée

Dans notre compartiment. Paul s’assit

En face de l’inconnue

Et me jeta un coup d’œil ravi.

Nous avions pris le Rapide, un jeudi soir.

Une jeune femme était déjà installée

Dans notre compartiment.

Paul me jeta un coup d’œil ravi

Et, en face de l’inconnue, s’assit.

Elle avait de beaux cheveux blond-roux

Mais était vêtue

Avec un évident mauvais goût

Qui révélait son origine ordinaire.

-« Je lui trouve l’air très comme il faut ! »

Me dit mon compère

Tandis que notre voisine

Mangeait une mandarine.

Sa manière d’en arracher la peau

Et de cracher les pépins par terre.

Révélait une éducation grossière.

-« Elle n’a pas l’air imprenable ! »

-« Parle-lui, je t’en serai redevable. »

-« Madame, est-ce que la fumée vous gêne ? »

-« Non capisco. » C’était bien une italienne !

Son comportement signifiait :

’’ Fichez-moi la paix ! ’’

Je dis à Paul : -« Nous pouvons fumer »

L’italienne m’a alors demandé :

-« À quelle heure on arrive à Gênes ? »

-« À vingt-trois heures, je crois.

Mon ami et moi

Allons également à Gênes. »

-« Demande-lui à quel hôtel elle descend.

Nous irions au même…

Interroge-la adroitement. »

Je fus soudain désireux moi-même

D’ouvrir des pourparlers constructifs

Avec cette fille d’aspect rébarbatif.

Elle me regardait pourtant avec intérêt.

Je lui dis en italien :

-« Permettez-moi de vous offrir un peu de vin. »

Elle prit le verre et le vida d’un trait.

Je lui tendis un sandwich au foie gras.

Elle le dévora.

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Le train ralentissait.

On arrivait.

Elle nous demanda tout à coup :

-« Voulez-vous que je vienne avec vous ? »

-« C’est que nous avons réservé dans un hôtel… »

-« Eh bien ! Allons à votre hôtel. »

En Italie,

On appelle celui

Qui prend soin de tous les vœux

D’une femme : un patito.

-« Lequel de nous deux

Voulez-vous comme patito ? »

Sans hésiter, elle me répondit : « Toi ! »

Paul ricana : « Pas de chance pour moi ! »

Je commençais à trouver l’italienne

Beaucoup mieux que précédemment.

J’ai senti ces petits frissons latents

Que la perspective d’une nuit d’amour

Vous fait passer dans les veines.

Nos chambres donnaient sur la cour.

En posant sa mallette

J’ai lu sur l’étiquette :

’’Francesca Rondoli – Gênes’’

Je m’assis sur le lit

À côté de l’italienne.

Elle me jeta un regard alangui.

Alors, je lui ai demandé :

-« Voulez-vous dormir maintenant ? »

Elle s’est exclamé :

-« Si ! »

Et dit sournoisement

Bonsoir à Paul qui m’avertit :

-« Fais ce que tu voudras

Mais ne viens pas

Te plaindre ensuite

Car tu vas attraper la vérole. Et vite. »

Quoi de plus joli

Qu’une femme endormie ! Et je me suis dit :

À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire.

Et là, ma foi, la victoire

Valut le danger !

Le lendemain matin, Paul nous attendait

Dans la salle à manger.

Nous décidâmes d’aller nous balader.

Nous visitâmes le palais Spinola,

Le palais Blanc, le palais Doria.

Toute la journée Francesca

A tenu mon bras.

Les jours suivants, nous allions nous promener

Tantôt dans la campagne tantôt en ville.

Je demeurais excité mais aussi préoccupé

Car je m’attachais à cette fille

Dont je ne savais rien.

La semaine se passa bien.

Mais d’où venait-elle ? Qui était-elle ?

Que faisait-elle ? Qu’attendait-elle ?

Je l’interrogeais. Elle ne répondait pas.

Nullement las de la tenir dans mes bras,

Je prenais plaisir à rester avec elle,

Vaincu par son charme sensuel.

Le terme de notre voyage approchait.

Nous devions rentrer à Paris le 16 Juillet.

Soudain, Francesca

Me proposa :

-« Demain, je dois aller voir mes parents

Viendrez-vous me chercher, après le diner ? »

Pour lui faire croire que j’acceptais,

Je répondais :

-« Mais oui, certainement.

Où faut-il aller ? »

-« 4 Rue Salieri. »

Le lendemain à midi,

Paul et moi montions dans le train pour Paris !

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Dix mois plus tard, je revenais en Italie.

Un souvenir flottait dans ma pensée.

Connaissez-vous cette obsession

D’une femme qu’on a possédée ?

C’est une insurmontable sensation.

Je décidai de revoir Francesca.

J’allai chez elle. Une grosse femme m’ouvrit.

-« Est-ce que Francesca est ici ? »

Je dis mon nom. Elle m’embrassa :

-« Je suis sa maman.

Comme elle a été peinée, la pauvre enfant !

Elle vous a attendu si longtemps.

Elle doutait que vous l’aimiez.

Elle n’habite plus ici maintenant.

Elle vient d’épouser un banquier.

Vous êtes venu seul cette fois-ci ?

…Si vous voulez, mon autre fille Carlotta

Vous accompagnera… »

Et elle l’appela : Descend. Viens ici ! »

J’ai voulu protester.

La mère insistait :

-« Elle vous tiendra compagnie… »

Viens, ma fille chérie…

Elle est plus gaie que Francesca. »

Une grande et jolie fille parut.

Mme Rondoli l’a mise aussitôt au courant :

-« C’est le Français de Francesca,

Celui qu’elle a connu

Il y a un an.

Il est tout seul, le pauvre. Je lui ai dit

Que tu irais lui tenir compagnie. »

Les beaux yeux bruns de Carlotta

Me fixèrent et elle murmura :

-« Je veux bien, oui. »

Alors, Mme Rondoli

m’expliqua :

-« Ça coûte cher d’élever cinq enfants.

Heureusement que Francesca

Est tirée d’affaire à présent.

Et vous,…surtout ne rentrez pas

Après dix heures, vous trouveriez

La porte de l’immeuble fermée. »

Carlotta prit mon bras

Et nous sommes partis nous promener

Comme avec sa sœur, l’année passée !

Et le soir, à dix heures, elle ne put rentrer…

La porte de son immeuble était fermée !